Une éblouissante distribution pour Le Retour d’Idoménée à l’Opéra de Lille

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Le Retour d’Idoménée, Opéra de Lille ; © Simon Gosselin

Le Retour d’Idoménée, Opéra de Lille ; © Simon Gosselin

Cette rentrée aura eu l’effet d’une « opera pride » pour les maisons d’art lyrique, qui ont dû déployer des trésors d’ingéniosité pour pouvoir fièrement monter des spectacles dont la mise en œuvre s’est avérée laborieuse à cause d’un certain virus. L’Opéra de Lille pousse le curseur un peu plus haut en osant l’Inattendu festival, le tout premier du nom, à travers une série de visites, de lectures, et surtout de concerts en partie inspirés par le compositeur André Campra. L’initiative est née de l’impossibilité à proposer intégralement son opéra Idoménée en début de saison. L’accroissement du nombre d’événements pour pallier la baisse de la jauge est en effet une idée porteuse pour faire revenir le public. Quitte à avoir fait travailler en amont une équipe artistique (menée par Emmanuelle Haïm et Àlex Ollé) sur Idoménée, autant en présenter une version adaptée aux normes sanitaires. Ainsi s’est profilé le projet du Retour d’Idoménée, qui ouvre sous les meilleurs auspices vocaux le festival et la saison de ce théâtre lyrique conventionné d’intérêt national.

Condenser cinq actes en une œuvre d’1h30 nécessite des coupes drastiques, mais encore faut-il que l’histoire conserve son intelligibilité. C’est là que le bât blesse : ce soir, on a vu communiquer des personnages identifiés psychologiquement, mais pas par leur rang, leurs dilemmes ou leurs ressorts dramaturgiques. Les raisons de leurs différends ne sont que peu évoquées (voire pas du tout), ni dans le livret, ni dans la mise en scène. Plutôt qu’avec les moyens du bord, Àlex Ollé (de La Fura dels Baus) a dû faire avec les règles en vigueur dont on est désormais familier, comme les contacts très limités et l’impossibilité des mouvements de chœur. Si les tragédies grecques s’accommodent bien de minimalisme, l’austérité du puits central et des chaises qui l’entourent ne trouvent ici jamais le ton juste. Les vidéos portraits sursaturées ont très grand mal à s’extirper de la banalité et de l’impression de « remplissage ». C’est finalement de la mise en scène pour de la mise en scène, comme une solution de repli pour tout de même faire patienter le public avant une production « entière » par les mêmes créateurs à la rentrée 2021.

La construction musicale du spectacle donne un aperçu fidèle de l’écriture aérée de Campra, tout en rendant plus compactes les intrigues amoureuses, sans les moments de respiration que sont les danses. Les instrumentistes du Concert d‘Astrée sont placés en fond de scène (derrière le fameux volume central) : ils gagnent en proximité avec les chanteurs et participent à l’action. On a cependant connu Emmanuelle Haïm plus inspirée pour raconter les histoires avec malice et réactivité. On peut supposer que la scénographie ne permette pas une diffusion du son aussi pleine que depuis la fosse, mais l’exécution prudente manque cruellement de grands élans. L’action vigoureuse des dieux peine à émerger des ensembles, les considérations familiales perdent leurs enjeux vitaux en chemin.


Le Retour d’Idoménée, Opéra de Lille ; © Simon Gosselin

Concernant le cast et le chœur accompli du Concert d’Astrée, plus aucune réserve, c’est tournée générale ! Les deux sopranos qui se disputent Idamante extériorisent toutes leurs qualités comme s’il advenait de leur propre honneur : Chiara Skerath campe une Ilione puissante, nourrie et vénéneuse, extraordinairement engagée dans le ton qu’elle accorde au verbe et aux caractères ; Hélène Carpentier met en exergue le sang royal d’Électre, sa soif de vengeance comme ses failles, dans une prosodie agitée allant droit au but et des ornements suspendus. Samuel Boden, Idamante angélique, répond à ces déchaînements passionnels par une douceur dessinant des horizons lumineux généreux. Les récitatifs coulent de source, les airs frémissent. Idoménée a beau régner sur la Crête, Tassis Christoyannis l’interprète à fleur de peau, comme le plus humain et le plus sensible des mortels sauvés du trépas. Il prie, implore, et déclame en rondeur, projection et nuances pastel. Yoann Dubruque, Enguerrand de Hys et Frédéric Caton font en outre de prestigieux seconds rôles dans cette galerie de personnages meurtris.

Thibault Vicq
(Lille, 3 octobre 2020)

Le Retour d’Idoménée, d‘après Idoménée d’André Campra, à l’Opéra de Lille jusqu’au 11 octobre 2020 (Inattendu festival jusqu’au 17 octobre 2020)

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