Pour sa version de La Bohème, créée en 2009 à l’English National Opera et maintenant présentée au Liceu, Sir Jonathan Miller transpose l’action dans le Paris des années 30, celui immortalisé par les photographes Cartier Bresson et Brassaï. Ce n’est pas la première fois que le metteur en scène britannique s’essaie à illustrer un opéra au travers de visuels connus en lieu et place des décors. En 1982 déjà, il créait un Rigoletto inspiré de l’ancien Manhattan mafieux, devenu l’un de ses plus grands succès dans le monde du théâtre. Dans la dernière scène de celui ci, il crée notamment une version 3D du célèbre tableau "Les Nighthawks" (1942), le plus réputé d’Edward Hopper.
Si l’on met de côté les références photographiques, cette production passe-partout de La Bohème pensée par Miller demeure classique et conventionnelle, tant dans la présentation des personnages que dans les diverses situations et les conflits dramatiques. Les codes sentimentaux, émotionnels et éthiques de l’ancienne Bohème, celle du doux vérisme d'antan, continuent de fonctionner aujourd’hui encore et persistent à se répéter jusque dans les films les plus récents. Jonathan Miller s’efforce précautionneusement à laisser ces code intacts, révélant – sans ajouts superflus – l'intrigue traditionnelle de l'oeuvre aux sensibles âmes du public.
La direction d’acteurs est correcte, et le seul moment de confusion et de désordre scénique (qui semble inévitable dans La Bohème) arrive au début du IIème acte, qui commence dans une profusion de personnages sur scène.
Si l’on tient compte de la longue tradition d’accorder une importance à La Bohème au Liceu (avec plus de 250 représentations dans la maison barcelonaise), cette version est plus que correcte, mais n’atteint pas l’excellence. Néanmoins, le succès reste considérable puisque, comme chaque metteur en scène le sait, une Bohème seulement bonne est toujours un certain triomphe.
Marc Piollet, apprécié à Barcelone pour avoir dirigé Carmen (2010-11) dirige l’orchestre avec une approche douce et pleine de nuances, d’un beau phrasé et consciencieux du rythme, sans toutefois utiliser le ton mélodramatique qui accompagne souvent l’œuvre de Puccini. Ce choix de direction musicale s'avère fructueux et élégant, mais tout le monde ne le partage pourtant pas.
La moscovite Tatiana Monogarova, pour ses débuts au Liceu, montre un professionnalisme, un dévouement et un beau goût musical, mais sa voix aux couleurs inégales dans sa tessiture, laissait entendre un ton sombre dans le registre inférieur qui ne correspond pas à la tradition lyrique du rôle. Elle manque également de clarté dans les notes les plus hautes (sans être pour autant stridente) dontétaient dotées les sopranos légendaires de ce rôle. Sa prestation est très satisfaisante, mais Mimi n’est probablement pas un personnage fait pour sa voix. Matthew Polenzani, faisant également ses débuts au Liceu, semble être fait pour le personnage de Rodolfo, qu'il chante d’une voix homogène, belle et resplendissantedans les notes les plus hautes. S’il apparait d’abord trop prudent et que son « Che gelida manina » n’est pas particulièrement mémorable, il s’améliore substantiellement dans les dernières scènes.
Artur Ruciński est un Marcello idéal, confiant, pourvu d’une très belle voix et d’une belle projection. Nathalie Manfrino, encore une autre première au Liceu, donne toute sa confiance en soi, son agressivité, sa coquetterie et son détachement pour faire vivre sa Musetta, un choix qui s’avère être toujours un succès pour ce rôle et son interprète, même si sa voix n’était pas merveilleuse.
Si David Menendez incarne un très bon Schaunard, le Colline de Paul Gay est très insuffisant, son « Vecchia zimarra » est pauvre et faible, et sa voix trop peu solide, surtout dans le registre bas.
Enfin, le très, très bon chœur propose un beau travail d’équipe dans le désordre scénique de la deuxième scène.
Librement traduit de la chronique en anglais de Xavier Pujol
05 juillet 2016 | Imprimer
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