Si la carrière de Jean-Sébastien Bou s'internationalise – il a chanté l'été dernier dans Charlotte Salomon au Festival de Salzbourg, puis le rôle-titre de Don Giovanni à la Monnaie de Bruxelles –, il reste fidèle à l'Opéra de Lyon, où on a pu l'entendre ces deux dernières saisons dans Claude et Le Comte Ory. Ces jours-ci, il y reprend le rôle d'Escamillo dans la production qu'Olivier Py avait montée in loco il y a trois ans. Rencontre avec une des meilleurs barytons français de sa génération.
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Opera-Online : Vous avez interprété le rôle de Pelléas sous la direction de Marc Minkowski à l'occasion du centenaire de la création de cette œuvre à l'Opéra-Comique. Quel souvenir conservez-vous de cet événement ?
Ce n'était pas la première fois que je chantais Pelléas. C'est un rôle que j'ai abordé très tôt, à l'Opéra de Tours, sous la direction de Jean-Yves Ossonce. Je l'ai ensuite chanté sur plusieurs scènes, notamment en Allemagne. Et c'est justement en Allemagne, alors que j'interprétais le Requiem de Fauré à la Philharmonie de Berlin sous la direction de Marc Minkowski que ce dernier a pensé à moi pour interpréter le Pelléas du centenaire. C'est un concert qui a été décidé un peu à la dernière minute, et le titre a été rajouté en cours la saison, pour fêter le jour exact du centenaire de la création de l'œuvre. Et oui, cela a été une grande émotion, et c'est un grand souvenir pour moi, Magdalena Kozena et François Leroux ont été des partenaires fabuleux. Je vais reprendre le rôle au TCE en 2017, mais peut-être qu'au vu de mon âge et de l'évolution naturelle de ma voix, il est peut-être temps pour moi de le troquer contre Golaud...?
Les noms de l'opéra de Tours et de Jean-Yves Ossonce reviennent souvent lorsque l'on évoque votre parcours...
Je lui dois énormément de choses en effet ! Notamment l'opportunité de tout un tas de prises de rôles. J'ai dû chanter dans un bonne vingtaine de productions à l'Opéra de Tours, comme Der Freischütz, Pelléas, Iphigénie en Tauride ou plus récemment Bérénice d'Alberic Magnard. Mais Jean-Yves aime donner sa chance aux jeunes talents et je vais forcément m'y faire plus rare, d'autant que ma carrière s'internationalise. Cela dit, j'y retourne l'année prochaine pour interpréter Sharpless dans Madama Butterfly et le rôle-titre d'Eugène Onéguine, qui sera une prise de rôle pour moi.
Et le rôle-titre de Claude (Escaich/Badinter) dans la mise en scène d’Olivier Py à Lyon ?
Là, j'ai été contacté directement par Olivier Py. Il y a une vrai confiance et une forte amitié entre nous, qui fait que je comprends et entre en interaction immédiatement avec son univers. Au départ, un autre chanteur que moi avait été pressenti pour le rôle de Claude, mais le français n'était pas sa langue maternelle, et c'était une composante qui était essentielle aux yeux d'Olivier : on a donc finalement pensé à moi... J'ai ainsi reçu la partition seulement un mois avant la première, et j'ai été fasciné par la musique composée par Thierry Escaich, un homme d'une grande générosité.Je me suis dépensé sans compter dans cette production, sans me poser la moindre question, et puis comment ne pas adhérer au sujet...?!
Vous semblez manifester un grand intérêt pour la création d'œuvres contemporaines. D'où vient cette disponibilité ?
C'est une chose primordiale ! C'est ce qui fait vivre et perdurer la musique classique. Il faut continuer à commander et à monter de nouvelles œuvres. A ce titre, des opéras comme celui de Lyon ou l'opéra Comique à Paris jouent pleinement leur rôle. Le Festival de Salzbourg accueillera bientôt le premier opéra de Gyorgy Kurtag, Fin de partie, d'après Samuel Beckett, et j'y chanterai le rôle de Clow. Il devait être monté cet été mais la création est finalement repoussée à une date ultérieure... (NDLR : la reprise scaligère est également annulée et sera remplacée par Wozzeck).
Il semble ces derniers temps que votre voix se soit développée et qu'elle ait gagné en ampleur, aussi bien dans le grave que dans l'aigu. Allez-vous désormais vous orienter vers des rôles plus dramatiques ?
On doit toujours chanter avec les moyens qu'on a et aller dans le sens de l'évolution de sa voix. Il faut savoir faire le deuil d'anciens rôles qui ne correspondent plus à sa voix ou même à son âge. J'ai la chance d'être baryton et d'entrer seulement maintenant dans ma maturité vocale, une maturité qui me permet d'aborder aujourd'hui des rôles de barytons plus lyriques, comme Luna ou Posa dans le répertoire verdien, voire même certains rôles de barytons-basses...
Pensez-vous aborder un jour l’opéra allemand ?
Je ne demande pas mieux ! J'ai des affinités particulières avec cette langue et avec le répertoire allemand, mais je n'ai malheureusement chanté que deux rôles dans des ouvrages allemands : Ottokar dans Freischütz et Le Hérault dans Lohengrin. Il y a des rôles lesquels Olivier Py ou Krystof Warlikowski me verraient bien, comme Wozzeck par exemple : j'attends qu'une maison me le propose...!
Vous interprétez en ce moment le rôle d'Escamillo à l'Opéra de Lyon. Comment s’approprier un rôle aussi « marqué », dans une mise en scène aussi déroutante que celle d'Olivier Py ?
Pour commencer, je ne trouve pas que la proposition scénique d'Olivier Py soit si déroutante que cela. Cela dit, je parle il est vrai de l'intérieur. Olivier Py s'est posé la question : comment monter Carmen en débarrassant l'ouvrage de ses clichés et trouver un propos profond pour ce livret ? Hors, l'univers de cabaret choisi par Py n'est pas si éloigné du sens profond de cet opéra, notamment avec cette idée de danger permanent. La mise en scène d'Olivier Py montre le décor et l'envers du décor, tout ce qui est l'essence du théâtre en fait, et il joue avec l'ambiguïté de savoir si cette histoire est réelle ou si elle est fantasmée. Mon personnage est celui d'un chanteur d'opéra qui arrive dans le cabaret où travaille Carmen pour y faire son numéro, et on ne sait jamais s'il en est vraiment amoureux ou s'il joue les amoureux. Se bat-il vraiment avec Don José ou fait-il juste semblant pour le show ? Dans la même optique, Carmen - après avoir été assassinée - se relève et part dans les coulisses... Alors certes c'est déroutant, mais c'est cela qui est intéressant !
Y a-t-il des rôles dont vous rêvez et que l'on ne vous propose pas ?
J'ai la chance d'avoir chanté la plupart des rôles que je voulais chanter, à commencer par Don Giovanni qui s'est révélé être une expérience exceptionnelle sous la direction de Warlikowski à La Monnaie de Bruxelles, en décembre dernier. Je l'avais déjà chanté à Tours mais sans posséder la maturité nécessaire pour camper vocalement et scéniquement le personnage. Chanter Don Giovanni est une véritable expérience existentielle, et quand on a la chance en plus d'être dirigé par quelqu'un comme Warlikowski, c'est un incroyable bonheur...!
Propos recueillis à Lyon par Emmanuel Andrieu
Jean-Sébastien Bou chante le rôle d'Escamillo dans Carmen à l'Opéra National de Lyon, jusqu'au 17 mai 2015
Crédit photographique © MatejaLux
10 mai 2015 | Imprimer
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