C’est une magnifique Leonora (« une des meilleures que nous ayons entendues sur scène… », comme nous l’écrivions dans notre recension du spectacle) que la soprano sicilienne Roberta Mantegna (découverte dans des Masnadieri monégasques) interprète actuellement dans l’enceinte du sublime Sferisterio de Macerata. L’occasion pour nous de rencontrer l’artiste pour une interview qui, pour brève qu’elle fut, ne s’en est pas moins révélée passionnante.
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Opera-Online : Vous êtes née en Sicile… Cette île semble bénie des dieux pour les chanteurs lyriques ?
Roberta Mantegna : C’est en effet une des régions d’Italie qui a donné naissance à de splendides voix, hier et aujourd’hui, peut-être sous l’influence de la beauté qui est partout présente, tant dans la Nature que dans les constructions des hommes, mais aussi de la succulence de nos plats traditionnels ! (rires). Par chance, toute l’Italie vibre pour ce patrimoine national qu’est l’opéra, si ancré dans notre riche et lointain passé. J’espère que cela ne va pas changer et rester ainsi longtemps encore…
Vous avez remplacé Sonya Yoncheva dans Il Pirata à La Scala (nous y étions…). Comment avez-vous vécu cette proposition, puis le rôle ? Un tel cadeau doit booster une carrière ?
Au-delà de ma carrière, j’ai toujours accepté les défis car je n’aime rien de plus que pousser toujours plus loin mes limites, et dépasser mes peurs. Déjà pendant les auditions, le maestro Riccardo Frizza m’a demandé à quel point j’étais motivée pour affronter un tel rôle et de tels débuts à La Scala. Cela m’a obligée à trouver le courage – et un soupçon de folie (rires) – pour accepter les risques d’une scène comme La Scala dans un rôle qui est marqué dans ces murs par des dive telle que la Callas ! Et je ne pensais pas arriver au milieu de la série des représentations, au sein d’une équipe de collègues parmi les plus demandés de la planète. Mais les choses ont été tellement vite qu’en fait, je n’ai pas vraiment eu le temps ni la lucidité de me poser toutes ces questions : plutôt que de la surprise ou de la crainte, j’ai au contraire ressenti une sorte d’euphorie d’avoir la chance de recueillir les fruits de mois et de mois de travail acharné sur cette partition. Je pense que je me rappellerai toujours de cette période comme une des plus heureuses de ma vie, celle qui a en effet fait exploser ma carrière…
On vous a également entendue, cette fois au Teatro dell’Opera de Rome, dans Les Vêpres siciliennes dans leurs versions originales françaises. Avez-vous aimé votre personnage de Hélène et par ailleurs aimez-vous chanter en français ?
Les Vêpres siciliennes, plus que n’importe quel autre opéra, sont d’une effroyable exigence, demandant à la fois une énorme énergie et beaucoup de concentration. J’ai beaucoup étudié pour pouvoir chanter en français et par bonheur ma répétitrice était d’origine française, et m’a enseigné les nombreux secrets de la langue française chantée, alors que ma première expérience avait été la version française du Trouvère au festival de Parme il y a deux ans. En fait, chanter dans une langue étrangère peut paraître compliqué au début, voire un véritable obstacle, mais le travail permet de franchir tout cela. Chanter en français a surtout été facilité par l’enseignement que j’ai reçu pour maîtriser ma technique vocale, et les nuances lyriques de ma voix.
Pour ce qui concerne le personnage de Hélène, j’ai choisi de conjuguer certains aspects de sa personnalité avec les miens propres, comme l’obstination, le rejet viscéral de toute forme d’injustice, et la foi dans l’amour passionné, quel qu’en soit l’objet…
Est-ce que la crise sanitaire que nous traversons tous vous a changée en tant que personne, et quelles en ont été les conséquences sur votre vie personnelle et professionnelle ?
J’ai été touchée en plein cœur par ce fléau. Tout le monde l’a été de manière plus ou moins importante, et tout le monde a pu craindre pour ses proches, surtout les plus vulnérables. Avant tout, je crois que la première leçon que nous avons tous pu en tirer est la vulnérabilité de nos existences, et le besoin de nous protéger. Je crois que les conséquences économiques dues au virus sont peu de chose face au danger qu’il représente pour la vie humaine. J’ai personnellement essayé d’utiliser cette « pause obligée » pour retrouver de l’énergie, pour me reposer, pour faire de l’ordre dans ma vie personnelle mais aussi me retrouver. J’ai également réfléchi, et j’espère que tout le monde a eu la même démarche que moi, à la vie en tant que « grand tout », et au respect que l’on devrait tous avoir envers notre planète, ainsi qu’envers la valeur intrinsèque de la vie humaine. Revoir toutes nos priorités me semble être la première conséquence à tirer de ce que nous venons de traverser, mais j’ai peu espoir que les êtres humains sachent enfin tirer la leçon de leurs erreurs passées… En tout cas, j’ai, à titre personnel, revu mes priorités et me suis promise de rester fidèle à ces valeurs que j’ai choisies pour guider ma vie future.
À part ça, j’ai été bien sûr peinée d’annuler certaines prises de rôle qui comptaient beaucoup pour moi. Par chance, elles sont toutes repoussées à une date ultérieure. La musique possède un grand pouvoir de guérison, et je pense qu’elle devrait ainsi retrouver la place qu’elle a malheureusement perdue dans notre culture aujourd’hui…
Pouvez-vous nous parler de votre prochain agenda, mais aussi de votre principal rêve en tant qu’artiste lyrique ?
J’attends avec impatience mes débuts dans le rôle-titre de Luisa Miller, et de retourner à La Fenice de Venise par la même occasion, mais aussi de retourner à l’Opéra de Monte-Carlo car mon meilleur ami fait partie des chœurs de cette maison-là. Et pour ce qui est de mon plus grand rêve, qui se réalisera bien un jour, j’ose l'espérer, c’est de me produire au Metropolitan Opera de New-York !…
Propos recueillis (et librement traduits de l'anglais) en juillet 2020 par Emmanuel Andrieu
Crédit photographique © Rosellina Garbo
31 juillet 2020 | Imprimer
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