La 69e édition du Festival Puccini s’ouvrait vendredi avec une nouvelle production de La Bohème, également proposée le 29 juillet ainsi que les 10 et 25 août. Une ouverture en forme de forte polémique, puisque le maestro Alberto Veronesi s’est présenté les yeux bandés pour diriger l’œuvre.
Un signe de protestation qui n’a pas enchanté le public : celui-ci ne s’est pas retenu de crier au moment des saluts « Vergogna » (Honte), « Vai via » (Va-t’en) ou encore « Buffone » (Bouffon). Ce à quoi le chef aurait répondu qu’il « ne voulait pas voir cette mise en scène ».
La mise en scène du Français Christophe Gayral transpose l’action dans le Paris de mai 1968, dans le contexte des manifestations étudiantes et des tensions sociales qui ont embrasée la capitale française. Cette lecture avait déjà soulevé quelques réticences avant même la Première, notamment de la part du secrétaire d’État italien à la Culture, Vittorio Sgarbi, qui avait invité le chef à « ne pas diriger l’orchestre » en signe de « respect pour l’art et la mémoire de Puccini. Je suis certain que Veronesi n’aurait rien contre le fait de diriger un opéra de Luigi Nono avec ces mêmes décors (situés en 1968), mais pas de Puccini. » C’est donc finalement un autre signe de protestation qu’a choisi Alberto Veronesi (également président du Comité de promotion des célébrations pucciniennes, mais aussi proche du parti Fratelli d’Italia) en se couvrant les yeux. Un geste symbolique, mais qui a été condamné par le festival, le jugeant « irrespectueux envers l'orchestre, le chœur, les acteurs, les solistes et tous ceux qui ont travaillé avec passion et professionnalisme pour réaliser cette production ». C’est pourquoi le festival se réservait le droit de ne pas laisser le chef diriger les autres dates. Selon Diapason – et bien que cela ne soit pas encore affiché sur le site officiel du festival – le chef aurait d’ailleurs déjà été remercié.
Un geste plus politique qu'artistique
Bien que la question de la transposition d'une mise en scène se pose toujours plus ou moins, l'enjeu est toutefois davantage politique qu'artistique ici. En effet, Vittorio Sgarbi (cité plus haut) est membre du gouvernement d'extrême droite de la première ministre italienne Giorgia Meloni et prône donc une approche plutôt nationaliste de l'art en Italie. C'est d'ailleurs dans ce contexte que le conseil des ministres italiens a adopté en mai dernier un décret mettant à la retraite d’office les directeurs d’opéras – étrangers, puisque aucun directeur italien n'est proche de cette limite d'âge – à 70 ans. Stéphane Lissner se voyait ainsi congédié du Théâtre du San Carlo de Naples le 1er juin dernier (il a fait appel de la décision), tandis que Dominique Meyer, directeur de la Scala, devra pour sa part céder sa place dans une quinzaine de mois.
La transposition du metteur en scène français en France d'un monument du répertoire italien heurte manifestement Vittorio Sgarbi. Selon lui, Christophe Gayral trahit « toute vision et tout esprit pucciniens » avec cette transposition dans un contexte historique et social totalement différent des événements originels de l'œuvre de Puccini. Dans un communiqué, le sous-secrétaire a par ailleurs déclaré : « J'espère qu'un vrai musicien comme Alberto Veronesi, et président du comité de promotion des célébrations de Puccini, aura la force et la fierté de ne pas diriger l'orchestre. Son geste ne peut être interprété comme celui d'un politicien mais comme un acte de respect pour l'art et la mémoire de Puccini ». Il faut dire que déjà le 6 juillet dernier, lors de la conférence de presse pour la présentation du programme des célébrations de Giacomo Puccini qui tomberont en 2024, Vittorio Sgarbi contestait cette nouvelle production « hérétique » de La Bohème. Quant au maire de Viareggio, Giorgio Del Ghingaro, il a pour sa part préféré plaisanter en déclarant que « Maestro Veronesi avait voulu démontrer qu'il connaît la partition par cœur ». Un acte politique, donc, laissant peu de place à la musique.
17 juillet 2023 | Imprimer
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