L’intelligence artificielle générative suscite aujourd’hui autant d’intérêt que d’inquiétude chez les artistes. Le Festival de Salzbourg consacrait une table ronde à cette thématique de l'Art et de l'IA, invitant les spectateurs à comparer l’interprétation de « la vraie » Asmik Grigorian à son double cloné numériquement.
L’intelligence artificielle (l’IA) suscite aujourd’hui autant d’intérêt que d’inquiétude de la part du monde artistique. La technologie permet de générer des images et du son comme autant de ressources pour les artistes, mais parfois avec un tel niveau de sophistication que ces mêmes technologies pourraient être à même de remplacer les artistes eux-mêmes. C’est pour débattre de cette place ambigüe de l’intelligence artificielle générative dans l’art que le Festival de Salzbourg organisait ce 15 août une table ronde « Art et IA » réunissant des développeurs et ingénieurs spécialisés dans l’IA et des artistes, utilisant ou non le numérique dans leur travail – parmi eux, le spécialiste de l’IA David Yang et le développeur Miller Puckette (à qui l’on doit des logiciels destinés aux artistes numériques), le metteur en scène et réalisateur Stefan Kaegi, l’artiste et ingénieur Gerfried Stocker, mais aussi la soprano Asmik Grigorian, actuellement à l’affiche du Joueur de Prokofiev à Salzbourg.
Les enjeux artistiques de l'IA
On le sait, le numérique est aujourd’hui omniprésent dans la culture. Les projections vidéo sont maintenant courantes dans le spectacle vivant, il n’est plus rare que les compositeurs utilisent de la musique électronique dans leurs créations et même la réalité augmentée s’invite sur les scènes lyriques – on se souvient de la production de Parsifal du Festival de Bayreuth l’année dernière. L’intelligence artificielle devient aussi un outil précieux pour les compositeurs et musiciens, que ce soit pour écrire leur musique, mais aussi pour la « générer » et donc l’entendre en cours de composition, avant qu’elle ne puisse être jouée concrètement dans une fosse d’orchestre – l’Ircam, l’Institut de recherche et coordination acoustique/musique, y consacre certains de ses cursus.
Pour autant, cette même intelligence artificielle générative est aussi capable de « cloner » des voix humaines : sur la base de quelques enregistrements, la technologie peut « faire parler » un artiste avec sa propre voix – parfois sans son accord ou pour lui faire tenir des propos qu’il ne revendique pas. On se souvient par exemple de Scarlett Johansson, accusant en mai dernier la société OpenAI d'avoir copié sa voix à son insu, et c’est notamment ce type de dérives qui avaient motivé les 118 jours de grève des interprètes hollywoodiens en fin d’année dernière.
Une Asmik Grigorian numérique ou en chair et en os
Dans ce contexte, sur la « SZENE Salzburg » de la table ronde du festival, Asmik Grigorian se prêtait néanmoins au jeu. Elle autorisait le clonage de sa voix le temps d’une démonstration dans le cadre de la conférence : l’intelligence artificielle a été utilisée pour « composer » un chant à la manière du compositeur arménien Komitas Vardapet, avant de l’interpréter avec la voix de la soprano.
Pour quel résultat ? Selon Asmik Grigorian dont les propos sont rapportés par le média autrichien Der Standard, il manquait sans doute de l'authenticité et de la passion, mais aussi les imperfections propres à l’interprétation humaine qui suscitent l'émotion, ou encore l'instantanéité et le caractère éphémère d’une prestation, qui la rendent unique. Selon la soprano, « sans émotion, pas de chant ». C’est précisément le domaine de recherche de David Yang, qui travaille sur l’IA Morfeus, censée être dotée d’une composante émotionnelle – faisant dire au chercheur que l’avenir appartient à une société hybride, faite d’êtres humains augmentés grâce à la technologie et de robots partiellement composés d’ADN. On n’y est sans doute pas encore tout à fait, et comme pour en faire la démonstration, selon Der Standard, c’est bien le récital de (la vraie) Asmik Grigorian qui a profondément ému le public en fin de conférence.
publié le 18 août 2024 à 09h09 par Aurelien Pfeffer
18 août 2024 | Imprimer
Commentaires