Béatrice et Bénédict, mariage mafieux à Angers Nantes Opéra

Xl_beatrice-et-benedict-angers-nantes-opera-2023_repetition-107 © Bastien Capela

Angers Nantes Opéra inaugure sa saison 2023-24 avec une nouvelle production de Béatrice et Bénédict, opéra-comique de Berlioz « d’une gaieté charmante », librement adapté de Shakespeare. Le metteur en scène Pierre-Emmanuel Rousseau aborde l’ouvrage comme une comédie musicale et situe l’action au sein d’un clan mafieux sur les plages de Sicile dans les années 1980.

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Quand en 1862 Hector Berlioz compose Béatrice et Bénédict, son dernier opéra, le compositeur est malade et prématurément vieilli. Il signe pourtant un ouvrage d’une légèreté et d’une allégresse juvénile étonnante que le musicien qualifiait lui-même « d’une gaieté charmante ». Il faut dire que Berlioz nourrissait son projet depuis près d’une trentaine d’années : dès 1833, il esquissait un livret librement inspiré de la pièce de Shakespeare Beaucoup de bruit pour rien qui faisait alors écho à la fois au goût du compositeur pour l’Angleterre (qui lui réserve généralement un meilleur accueil que la France), à sa passion pour l’Italie (qui inspirera le cadre et la musique de son opéra-comique) et à son amour pour l’actrice irlandaise Harriet Smithson (que le compositeur épouse cette année-là... avant qu’une mésentente durable ne s’installe au sein du couple). Trente ans plus tard, Béatrice et Bénédict apparait comme un réquisitoire drolatique contre le mariage, opposant l’enfer conjugal aux délices du sentiment amoureux, dans un ouvrage réjouissant teinté de mélancolie.

Dans son opéra, Berlioz se focalise sur le couple secondaire de la pièce de Shakespeare. Le dramaturge élisabéthain centrait sa comédie sur les amours de Claudio et Héro, le héros de guerre et sa jeune fiancée faussement accusée d’adultère par Don Juan. Le compositeur français leur préfère Béatrice et Bénédict : à Messine au XVIe siècle, Bénédict s’est couvert de gloire au combat et pourrait prétendre à un beau mariage comme son compagnon d’arme Claudio avec Héro, mais est néanmoins réfractaire à l’idée de convoler. De son côté, Béatrice fait un beau parti, mais elle aussi dédaigne les plaisirs simples de la vie conjugale. Les deux jeunes gens sont caustiques, s’affrontent dans de brillantes joutes oratoires... pour mieux se cacher à eux-mêmes qu’ils sont amoureux l’un de l’autre.

C’est avec une nouvelle production de Béatrice et Bénédict qu’Angers Nantes Opéra inaugure sa saison 2023-24, à partir de ce 11 octobre, dans une mise en scène de Pierre-Emmanuel Rousseau, déjà signataire d’une Clémence de Titus réussie dans la maison angevine fin 2021.

Quand Béatrice et Bénédict rencontre L’Honneur des Prizzi

Le livret de Béatrice et Bénédict dont Berlioz a posé les bases laisse peu de place au suspens. Faute de véritables scènes de confrontation et d’obstacles sérieux à la relation amoureuse des deux rôles principaux, le public perçoit rapidement que les vrais faux ennemis ont vocation à s’unir et finiront par se marier. De même, la dimension parodique de l’ouvrage et la caricature que Berlioz fait de l’académisme musical de l’époque sont sans doute peu perceptibles pour le public d’aujourd’hui – en inventant le personnage burlesque du maître de chapelle Somarone (qui n'existe pas dans la pièce de Shakespeare), le compositeur ciblait son ancien maître Gaspare Luigi Spontini, qui lui causa bien des tourments durant ses études.


Maquette de la production de Béatrice et Bénédict à Angers Nantes Opéra, par Pierre-Emmanuel Rousseau (voir d'autres images).

Les enjeux dramatiques de l’ouvrage peuvent donc paraitre maigres aujourd’hui, mais le metteur en scène Pierre-Emmanuel Rousseau contourne l’obstacle pour aborder l’œuvre sous un angle plus contemporain et lui (re)donner de la profondeur : tout en adaptant les dialogues parlés de cet opéra-comique, il transpose le livret sur une plage de la Sicile dans les années 1980 alors qu’une famille mafieuse prépare le mariage de Claudio et Héro – dans une esthétique haute en couleur inspirée de L’Honneur des Prizzi, le film de mafioso de J. Huston. Béatrice y est une « femme libre, indépendante qui ne veut pas se retrouver entravée dans un mariage, et avoir le destin des femmes de la mafia (tenir une maison, faire des enfants, et pleurer les morts) » ; de son côté, Bénédict devient « le lieutenant de cette famille puissante ». L’un et l’autre « sont dans l’impossibilité de vivre un amour apaisé et serein », que le mariage condamnerait à vivre une histoire anti-conventionnelle.

« Ils ne peuvent vivre avec ou sans l’autre », et le metteur en scène entend raconter leur histoire « à la manière d’une comédie musicale » sur fond de fête de mariage et de bal populaire – dans un décor coloré mais responsable, conçu pour pouvoir être démontés et réutilisés, à Angers, Nantes, puis Rennes.

« Ce sont les deux ailes de l’âme »

Si Hector Berlioz est l’auteur du livret de Béatrice et Bénédict, il en est surtout le compositeur. Avec « ce petit ouvrage » comme il le qualifiait lui-même, Berlioz avait à cœur de démontrer qu’il n’était pas qu’un musicien « bruyant » comme le lui reprochaient certains de ses détracteurs : il concocte alors une partition qui cherche à traduire cet insaisissable frémissement du rêve amoureux – selon Berlioz, « l’amour ne peut pas donner une idée de la musique, la musique peut en donner une de l’amour… Pourquoi séparer l’un de l’autre ? Ce sont les deux ailes de l’âme ».

C’est précisément ce qui séduit manifestement Sascha Goetzel, le directeur musical d’Angers Nantes Opéra qui dirigera la production – à la tête de l’Orchestre National des Pays de la Loire à Nantes et Angers, puis de l’Orchestre National de Bretagne à Rennes. Dans la note d’intention de la production, le chef d’orchestre autrichien précise que « l’opéra est en grande partie de la musique de texte », en ce sens que c’est la musique qui insuffle l’émotion à l’action qui se déroule sur scène : « beaucoup de choses à l’opéra ne sont pas directement "dites" par les chanteurs, mais clairement ressenties à travers la musique ». Gageons que le chef aura à cœur de transcrire le raffinement de l’écriture orchestrale de Berlioz qui souligne les sentiments des personnages – s’inscrivant ainsi dans l’héritage du compositeur qui dirigera lui-même la création de son opéra-comique à Baden-Baden, jugeant l’ouvrage « beaucoup plus difficile d’exécution musicale que Les Troyens, parce qu’il y a l’humour ».


Répétitions de Béatrice et Bénédict à Angers Nantes Opéra (2023)

Sur scène, cet humour plein de vivacité de Béatrice et Bénédict sera porté par une distribution bien connue des spectateurs d’Angers Nantes Opéra : dans les deux rôles titres, Marie-Adeline Henry et Philippe Talbot (l’une était Iphigénie en 2019 in loco, l’autre retrouve sa ville natale où il s’est déjà produit à plusieurs reprises) et à leurs côtés, Olivia Doray (déjà Servilia dans La Clémence de Titus de Pierre-Emmanuel Rousseau) et Marc Scoffoni (en résidence avec Angers Nantes Opéra depuis 2019) pour incarner le couple que forment Héro et Claudio. Une distribution qui promet un esprit de troupes pour faire virevolter le clan mafieux imaginé par Pierre-Emmanuel Rousseau et inviter à la redécouverte d’une œuvre réjouissante longtemps restée boudée mais qu’Angers Nantes Opéra a donc la bonne idée de programmer. 

Cette nouvelle production de Béatrice et Bénédict se dévoilera les 11, 13, 15 et 17 octobre au Théâtre Graslin de Nantes, les 12, 14, 16 et 18 novembre à l’Opéra de Rennes, puis le 3 décembre au Grand Théâtre d’Angers. Plus d'informations sont disponibles sur le site de l'Opéra

Aurelien Pfeffer
1er octobre 2023

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