Cela n’aura pas échappé aux internautes qui relaient l’information depuis hier soir, l’accompagnant de nombreux hommages sur les réseaux sociaux : hier, mercredi 4 janvier, le chef français Georges Prêtre est décédé chez lui, dans sa propriété du château de Vaudricourt à Navès dans le Tarn, à l’âge de 92 ans – alors que l’an passé, on louait encore sa direction à la Scala de Milan le 22 février dernier. Il devait par ailleurs diriger le Philharmonique de la Scala du 13 au 17 mars prochain.
Né d’un père bottier le 14 août 1924 à Waziers dans le Nord, c’est à sept ans seulement que Georges Prêtre découvre la musique. Il entre au Conservatoire de Douai afin d’y apprendre le piano et la trompette avant d’intégrer à 15 ans le Conservatoire de Paris. Il y suit, entre autres, les cours d’harmonie de Maurice Duruflé, ce qui lui permettra de s’essayer plus tard à la composition d’opérette et de musique légère sous un nom d’emprunt. Il en ressort finalement en 1944 avec un Premier prix de trompette ; nous sommes alors en pleine France d’après-guerre et Georges Prêtre ne dédaigne pas le jazz en vogue à l’époque.
Georges Prêtre jeune ; DR
A 19 ans, la rencontre d’André Cluytens qui devient son mentor l’amène à la carrière de chef d’orchestre. Pour ce grand chef, « la direction ne s’apprend pas » : Georges Prêtre n’était pas un adepte des idées préconçues et servait avant tout la musique. Il disait à ce propos : « Il faut avoir une vision de la partition, en pensant que vous n’êtes qu’un interprète. Vous devez servir l’oeuvre, pas vous servir ».
Ce n’est qu’en 1946, soit deux ans après sa sortie du Conservatoire, qu’il fait ses débuts à l’Opéra de Marseille. Le 21 juin de l’année suivante, il épouse la mezzo-soprano Suzanne Lefort, mais il s’agira d’un mariage de courte durée : ils se séparent le 6 décembre 1949, puis Georges Prêtre épouse le 20 avril 1950 la soprano Gina Marny, fille de Jean Marny, alors directeur de l'opéra municipal de Marseille. De cette union naîtra deux enfants, Isabelle et Jean-Reynald. Le décès de ce dernier en 2012, alors âgé de 57 ans, fut une véritable « cassure » pour le chef français.
Il poursuit sa formation « sur le terrain » dans les opéras de province, comme à Lille en 1948, Casablanca en 1949 ou encore Toulouse de 1951 à 1955. En 1956, il entre à l’Opéra Comique et dirige Manon avant de créer quelques temps plus tard la Première française du Capriccio de Richard Strauss avec Elisabeth Schwarzkopf. En 1959, il crée également La Voix humaine avec Denise Duval (décédée il y a à peine moins d’un an, le 25 janvier 2016) toujours à l’Opéra Comique. Francis Poulenc appréciait tout particulièrement le chef français et le reconnaissait comme l’un de ses chefs favoris, de même que Maria Callas. De Poulenc, Georges Prêtre a tout enregistré à l’exception des Mamelles de Tirésias et des Dialogues des carmélites. Très proche du compositeur, il en fut le porte-voix dans le monde entier. Avec Maria Callas, qui le reconnaissait également comme l’un de ses chefs favoris, il enregistre Carmen de Bizet, Tosca de Puccini ainsi qu’un disque d’airs d’opéra pour EMI (devenu aujourd’hui Warner Classics) en 1961. Il dirige également les derniers récitals de la diva à Paris et Londres. Lorsqu’il apprit le décès de la Callas à la radio le 16 septembre 1977 en étant dans le Sud-Ouest, il part aussitôt pour Paris afin de se rendre dans l’appartement de l’avenue Georges-Mandel afin de lui rendre un dernier hommage.
Toujours en 1949, le maestro devient un hôte privilégié du Palais Garnier où il dirige les grands titres du répertoire français et italien jusqu’à la fin des années 1980. Bien qu’il ait démissionné de son poste de directeur artistique en 1970 après une année seulement de fonction, il dirige le concert d’ouverture de l’Opéra Bastille le 13 juillet 1989. Il crée la Symphonie n° 4 de Marcel Landowski en 1988, année durant laquelle il dirige le Wiener Symphoniker dans sa région natale, à Douai (Une vie de héros de Richard Strauss et la Symphonie n°1 de Johannes Brahms). Il faudra attendre février 1996 pour qu’il y revienne avec l’Orchestre national de Lille (Danses hongroises de Brahms, La Mer de Claude Debussy, suite de valses du Rosenkavalier de Strauss et La Valse de Maurice Ravel).
Georges Prêtre; DR
Sa carrière s’ouvre à l’international où il est reconnu et acclamé, finalement bien plus qu’en France. En 1962, année où il crée L'Opéra d'Aran de Gilbert Bécaud au Théâtre des Champs-Élysées à Paris, il collabore avec Herbert von Karajan à l’opéra de Vienne pour Capriccio de Strauss avec Lisa della Casa (le différend qui naquit alors entre les deux hommes est connu, Georges Prêtre reconnaissant lui-même qu’il n’était pas des plus diplomates). Entre Vienne et le maestro français, l’histoire d’amour est indéfectible et le restera jusqu’à la fin. En 1986, il devient le premier chef invité de l’Orchestre symphonique de Vienne (jusqu’en 1991) avant d'en devenir chef d’honneur à vie. Pour ses 80 ans, les Viennois promeuvent Georges Prêtre membre d’honneur de la Société des amis de la musique de Vienne (comme Hector Berlioz ou Camille Saint-Saëns avant lui). En 2008, il est le premier chef français depuis 50 ans à diriger le prestigieux Concert du Nouvel de Vienne (qu’il redirigera deux ans plus tard) et triomphe sur place. Il obtient alors une ovation de trois longues minutes dans cette salle mythique. « Vous comprendrez que je me sente un peu viennois… » disait-il non sans raison (ce qui ne l’empêche pas de diriger le Concert du Nouvel An de La Fenice le 1er janvier 2009).
Outre cette belle histoire viennoise, Georges Prêtre dirige les plus grands orchestres dans les lieux les plus prestigieux à travers le monde : en 1962, il devient chef associé du Royal Philharmonic Orchestra de Londres et travaille régulièrement avec l’Orchestre symphonique de la SWR de Stuttgart entre 1995 et 1998. Il dirige également à Chicago, San Francisco et New York où il prend la succession des Français Pierre Monteux et Charles Munch. Toutefois, le temps passant, la France finit par faire de nouveau appel à lui durant ces dernières années et il obtient une Victoire de la Musique Classique dans la catégorie "chef d’orchestre" en 1997 et devient Grand officier de la Légion d’honneur en 2009. Le 14 janvier 2013, il donne son dernier concert au Théâtre des Champs-Elysées à la tête du Philharmonique de Vienne, mais c’est bel et bien dans la capitale étrangère qui lui était si chère qu’il donne son dernier concert où il obtient une standing ovation au Musikverein. Il laisse le souvenir d’un chef éminemment romantique, enthousiaste et bienveillant, privilégiant le coeur et l'émotion qui étaient à la base de ses directions.
Elodie Martinez
05 janvier 2017 | Imprimer
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