Il semblerait qu’une série noire s’abatte sur le chant lyrique français. Après le décès de la grande dame qu’était Mady Mesplé, c’est à présent au tour d’une autre « immense dame » (selon les mots de Gabrielle Philiponet) de s’en aller, à lâge de 99 ans : Janine Reiss. Certes, elle n’était pas sous les projecteurs et n’officiait pas en tant que cantatrice, mais un nombre impressionnant d’artistes lui doit beaucoup en tant que cheffe de chant et directrice des études musicales.
Née en 1921, Janine Reiss débute le piano à neuf ans et suit une formation de claveciniste, sans toutefois passer par la filière classique du Conservatoire puisqu’elle fait une entrée par concours à la Schola Cantorum à Paris, ce qui lui permet de suivre les cours qu’elle désirait. Elle suit ainsi de nombreuses disciplines : l’harmonie, le contre-point, le chant grégorien, le piano, le clavecin et comme la Schola dispensait des cours de chant, c’est tout naturellement qu’elle y assistait. Pour elle, « la voix est le plus bel instrument qui soit car elle dévoile l’âme humaine avec tout ce que celle-ci a de beau, et parfois, de laid, ce qui peut parfois servir pour certains rôles… »
C’est donc assez naturellement qu’elle décide finalement de se spécialiser au cours des années 1960 dans l’accompagnement et la préparation des chanteurs, notamment au répertoire lyrique français. Ce choix l’amènera à travailler avec certains des plus grands interprètes internationaux, comme Luciano Pavarotti, Placido Domingo, Ruggero Raimondi (notamment pour le Don Giovanni de Joseph Losey tourné en 1978 dont était la conseillère musicale), Mirella Freni ou encore Jessye Norman, mais aussi Régine Crespin et la désormais regrettée Mady Mesplé. Parmi ces artistes à la renommée planétaire se détache également un nom, celui de Maria Callas, avec qui Janine Reiss a travaillé presque 10 ans, notamment dans le cadre de ses fameux récitals Callas à Paris.
Sa rencontre avec la diva grecque remonte à sa venue à Paris pour l'enregistrement de l'album Maria Callas à Paris (pour EMI), qui comprenait alors des airs du répertoire français. La cheffe de chant racontait cette rencontre en ces termes :
« Le jour convenu, à 18 h précises, Maria, La Divina, a sonné à ma porte : elle était d’une ponctualité déconcertante. J’ai ouvert la porte de mon appartement et très curieusement, après l’avoir fait entrer, j’étais d’un calme absolu. Une grande amitié s’est rapidement nouée entre nous. Elle travaillait chez moi et m’a rapidement tutoyé. On a créé une relation de confiance. Elle me parlait beaucoup de sa solitude, c’était une personne très mélancolique qui enviait ma vie car, contrairement à elle, j’étais mariée et j’avais des enfants. Ce n’était pas facile de s’appeler Callas » (entretien réalisé pour le Tarn Libre).
Elle raconte également que l’un des souvenirs qui l’a le plus marquée avec la cantatrice date de 1964, lorsque cette dernière allait chanter Tosca à Londres et qu’elle l’avait invitée en ces termes : « Parfois, Janine, dans notre travail, je sais que je te donne du mal. J’espère ainsi qu’à Londres, je pourrai te donner un peu de plaisir ! »
Elle ne regrettait ainsi absolument pas cette éblouissante carrière dans l’ombre des plus grands, et se définissait elle-même comme « Professeur de rôles ». Elle n’hésitait par ailleurs pas à faire quelques incursions dans le domaine des variétés, en travaillant notamment avec Mireille Mathieu. En 2003, Thierry Thomas et Pierre Bouteiller lui consacraient un documentaire intitulé Janine Reiss : L'Esprit de l'Opéra, tandis que dix ans plus tard, Dominique Fournier écrivait un livre à son sujet, dont la préface est signée par Alain Duault : La Passion prédominante de Janine Reiss.
Aujourd'hui, ils sont nombreux à témoigner leur affection à cette grande dame et à lui devoir beaucoup...
02 juin 2020 | Imprimer
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