C’est avec émotion que nous avons appris la disparition de l’un des plus grands compositeurs contemporains : Péter Eötvös s’est éteint dimanche à l’âge de 80 ans des suites d’une longue maladie.
A la fois compositeur et chef d’orchestre, Péter Eötvös demeure une référence pour tous les amateurs de musique contemporaine. Il laisse derrière lui une œuvre marquée par le cinéma et le théâtre, des formes d’art dont on trouve l’écho dans la structure de ses grandes pièces orchestrales.
Les premières années
C’est à Székelyudvarhely (en Transylvanie, alors hongroise) que naît Péter Eötvös, dans une famille bercée par la musique avec une mère pianiste. Celle-ci emmenait son fils à diverses représentations ou répétitions (d’opéra, d’opérette ou de théâtre), lui transmettant son goût pour ces spectacles. Un goût que l’on retrouve dans la carrière du jeune homme où les influences de ces différents genres se font ressentir. Il apprend naturellement le piano (par la musique de Béla Bartók), mais montre également un goût marqué pour la composition très tôt : à 12 ans seulement il signe une première pièce, Solitude, qu’il dédie à Zoltan Kodaly. Ce dernier s’avèrera être le président du jury de son examen d'entrée en classe de composition de l’académie Franz Liszt de Budapest deux ans plus tard.
Bien qu’il poursuive ses études, cela ne l’empêche pas de débuter dès 16 ans dans la vie professionnelle en signant alors ses premières musiques de film et de scène, et en travaillant en tant que répétiteur des chanteurs dans des théâtres. Une expérience qui le marquera et qui marquera également son travail de compositeur.
Une fois son diplôme obtenu, il postule pour une bourse en Russie et en Allemagne. Ce sera finalement Cologne (et sa Hochschule für Musik) qui l’acceptera et c’est ainsi qu’à 22 ans, il part étudier la composition et la direction en Allemagne de l'Ouest.
Un début de carrière fulgurent
Les années qui suivent son particulièrement riches et marquées tout d’abord par sa rencontre avec Karlheinz Stockhausen, dont il intègre l’ensemble comme pianiste et percussionniste, et qu’il suivra pour une résidence au Japon. Ce pays le marquera d’ailleurs profondément. Il travaille également comme ingénieur du son pour le studio de musique électronique de la Radio de Cologne, ce qui lui permettra d’en apprendre davantage sur les nouvelles technologies musicales.
En 1978, Pierre Boulez l’invite pour diriger le concert inaugural de l'Ircam devant l'Ensemble Intercontemporain qui vient d’être créé. Au programme : Pierrot lunaire de Schoenberg et Marteau sans maître de Boulez, deux œuvres particulièrement difficiles mais avec lesquelles il s’en sort parfaitement. Le succès est tel qu’on lui propose le poste de directeur artistique de l'Ensemble Intercontemporain, avec lequel il créera Chinese Opera en 1986. Une fonction qu’il occupera jusqu’en 1991.
Un compositeur mais aussi un grand chef d’orchestre et un pédagogue
Bien que l’on retienne essentiellement ses œuvres en tant que compositeur, son succès avec l'Ensemble Intercontemporain rappelle à quel point il était également admiré et reconnu en tant que chef d’orchestre, principalement dans le répertoire des XXe et XXe siècles bien qu’on l’entende avec autant de talent dans un répertoire plus vaste encore. On le retrouve ainsi à la tête des plus grands ensembles à travers le monde, comme à la Scala de Milan, à la Royal Opera House de Londres, au Théâtre royal de La Monnaie de Bruxelles, ou encore le Théâtre du Châtelet. Il est également le principal chef du BBC Symphony Orchestra de 1985 à 1988, puis il est nommé à la tête de l’orchestre du festival de Budapest de 1992 à 1995 avant de se retrouver à la tête de l’orchestre philharmonique national de Budapest de 1998 à 2001, de l’orchestre de chambre de la radio de Hilversum (Pays-bas) de 1994 à 2005, de l’orchestre symphonique de la radio de Stuttgart de 2003 à 2005, ainsi que de l’orchestre symphonique de Göteborg en 2003.
Il est également reconnu comme étant un grand pédagogue. C’est d’ailleurs pour aider les jeunes artistes qu’il fonde en 1991 la Fondation internationale Eötvös, puis la Fondation Eötvös pour la musique contemporaine en 2004, pour les jeunes chefs d’orchestre et compositeurs. Il n’hésite pas à endosser la casquette de professeur, et enseigne à la Hochschule für Musik à Karlsruhe puis à la Hochschule für Musik de Cologne où il avait lui-même fait ses études.
Son œuvre
Malgré une carrière de chef déjà bien remplie, Péter Eötvös demeure avant tout un compositeur extrêmement prolifique, et cela jusque dans les derniers mois de sa vie puisqu’il signait encore en janvier dernier deux créations mondiales pour la Maîtrise et l'Orchestre philharmonique de Radio France. Il laisse ainsi un catalogue particulièrement riche parcourant de nombreux registres, entre pièces solos, musique de chambre, musique orchestrale, ou encore œuvres lyriques.
Treize opéras comptent parmi ses créations, beaucoup portant la patte de son épouse Mari Mezei pour le livret. Son premier grand succès demeure Trois Soeurs, d’après l’œuvre de Tchekov, créé à l’Opéra de Lyon en 1998. La pièce fait d’ailleurs aujourd’hui partie du paysage lyrique, et il s’agit de « l’opéra contemporain qui a connu le plus de nouvelles productions » ainsi que nous le notions en 2018 depuis une représentation à Francfort.
Parmi ses autres opéras, citons Le Balcon (2002), Angels in America (2004), Love and Other Demons (2007), Senza sangue (2015, et pour laquelle nous assistions à la création scénique en 2016), ou encore, le plus récent, Sleepless (nous assistions à sa création à Berlin en 2021). Selon notre chroniqueur, cette œuvre est « l’un des plus beaux opéras d’Eötvös, un des grands opéras de ces dernières années, et une œuvre qui mériterait bien d’être reprise ».
Après avoir assisté à la création à Budapest de Valuska (son treizième opéra, et le premier écrit en hongrois), et alors qu’il était attendu en janvier dernier à Paris afin de diriger plusieurs de ses œuvres dans le cadre d’événements en son honneur, le chef et compositeur avait été contraint d’annuler sa venue à cause de sa santé. Il souffrait d’un cancer, et cette annulation laissait penser que son état de santé s’était dégradé au point de devenir préoccupant. Il s’est finalement éteint dimanche à Budapest, à l’âge de 80 ans.
25 mars 2024 | Imprimer
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