Comme un certain nombre de chanteurs, le ténor genevois Emiliano Gonzalez Toro est passé récemment de l’autre côté du podium, et partage désormais sa carrière entre sa casquette de chanteur et celle de chef, à la tête de l’ensemble I Gemelli qu’il a cofondé avec Mathilde Etienne et Thomas Dunford en 2019. C’est à la tête de cette formation que nous l’avons récemment entendu au Victoria Hall de Genève, dans Le Retour d’Ulysse en sa patrie de Claudio Monteverdi, dont il incarnait également le rôle-titre. Avant de le retrouver dans ces mêmes lieux, le 23 janvier prochain, pour L’Orfeo du même compositeur, nous avons voulu en savoir plus, entre autres choses, sur la genèse d’I Gemelli et sa passion pour Monteverdi…
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Opera-Online : Quelle a été votre formation musicale puis vos débuts dans l’art lyrique ?
Emiliano Gonzalez-Toro : Je me suis formé à Genève, d’abord au Conservatoire populaire, puis à la Place neuve, dans la Maîtrise « Les Pueri » - dont sont issus nombre de musiciens genevois aujourd’hui - avec qui je chantais enfant au Grand-Théâtre. Puis la mue arrivant, j’ai débuté le hautbois. Après ma mue, j’ai poursuivi mon cursus comme chanteur en parallèle à mes études de hautbois, et j’ai longtemps cherché un professeur de chant qui puisse m’accompagner et m’aider à me construire. Après plusieurs rencontres malheureuses, j’ai trouvé d’abord Anthony Rolfe Johnson, puis Ruben Amoretti, et finalement Christiane Stutzmann (la mère de Nathalie). À la fin de mes études de hautbois, il me fallait choisir, je chantais déjà avec Michel Corboz qui m’offrait mes premiers solos, et j’auditionnais pour Christophe Rousset à Lausanne : ma carrière a alors débuté.
Aux côtés de votre carrière de chanteur lyrique, vous avez décidé de passer de l’autre côté pour devenir également chef d’orchestre. Vous avez aussi créé votre propre formation baroque il y a quatre ans : I Gemelli…
En réalité, tout a débuté - c’est une histoire qui revient très souvent dans le cinéma et la musique d’ailleurs - par une envie, un manque, une frustration. Je chantais depuis plus de quinze ans dans ce métier, et un rôle me passait systématiquement à côté : L’Orfeo. Ou bien on ne me le proposait pas et les productions se montaient sans moi, ou alors on me le proposait mais en même temps qu’à d'autres collègues, et finalement ça ne se faisait pas non plus. Je savais que non seulement je pouvais être un bon Orfeo, mais que mon amour et ma passion pour cette musique pouvaient être un atout pour le chef qui m’engagerait. Hélas, 2017 arrivait à grand pas et la seule production dans laquelle j’avais été distribué était celle de l’Opéra de Cremona (pour le festival Monteverdi) avec Ottavio Dantone à la baguette. J’en étais absolument enchanté, mais ça ne me suffisait pas. À l’époque Mathilde Etienne (mon épouse, et cofondatrice d’I Gemelli), Thomas Dunford (qui n’avait pas encore monté son ensemble Jupiter), Rodrigo Calveyra et moi ressentions cette même frustration, et l’envie de monter un Orfeo au plus près de la partition, respectueux des annotations de Monteverdi dans une optique très vocale et moderne, grandissait fortement. J’ai pris mon courage à deux mains, je suis allé voir le directeur du TCE, je lui ai expliqué ma démarche ; j’ai aussi pris contact avec les Concerts Parisiens, et nous avons décidé d’une date, le 28 mai 2019, et I Gemelli est né. Si on retire les 18 mois de covid sans activité, nous avons en réalité à peine un an et demi d’activité. Nous sommes encore des bébés ! (rires) Au final, je ne regrette pas du tout les années difficiles où ce rôle m’a échappé tant de fois, c’est grâce à ça qu’I Gemelli est né ; Rien que pour ça, je ne peux que remercier les personnes qui ne me l’ont pas donné.
Vous avez une grosse actualité de concerts en ce moment et vous alternez justement entre L’Orfeo de Monteverdi et son autre chef d’œuvre qu’est Le retour d’Ulysse en sa patrie. Pourquoi Monteverdi ?
Tout simplement car c’est le compositeur dont je me sens le plus proche, c’est une vocalité qui me parle à cent pour cent, que je comprends, et que j’aime travailler plus que tout. Et nous, ténors, sommes particulièrement gâtés avec lui. Entre les nourrices, les héros, les guerriers, les poètes, les bergers, la virtuosité des vocalises, l’extraordinaire tendresse et sensualité qu’on retrouve jusque dans ses Vêpres, non décidément, je ne vois pas comment ne pas être dingue amoureux de ce compositeur et de sa musique !
Et en dehors du répertoire du XVIIème siècle, avez-vous des envies ? N’y-a-t-il pas un risque quand on est un ténor « baroque » de se laisser « catégoriser » dans ce type de répertoire ?...
C’est déjà le cas qu’on le veuille ou non. Changer de répertoire, de style est, et restera toujours, une difficulté. Il faut toujours faire ses preuves et quelque part c’est normal. Les programmateurs ont besoin de remplir les salles (et encore plus aujourd’hui...) et que ce qu’ils proposent au public soit cohérent. Aujourd’hui je suis, je pense, légitime dans le Seicento, tant du point de vue vocal que de la direction. Mais si je veux faire de la musique du XVIIIe italien ou français, il va falloir convaincre. Personnellement, je ne suis pas inquiet par ces étiquettes, car si elles ont été collées, on peut les décoller. À partir du moment où vous mettez les moyens : les heures de travail, la rigueur, la passion et l’honnêteté dans ce que vous faites, ça viendra. Même si, oui, parfois ça prend du temps.
Comment voyez-vous l’évolution de votre carrière ? Plus tard, aimeriez-vous enseigner par exemple ?
Aujourd’hui j’ai 45 ans, des projets plein la tête et beaucoup d’envies. Concernant ma carrière scénique, il me reste encore quelques saisons à concilier ma carrière de soliste et I Gemelli, mais il semble évident que d’ici quelques années, si tout va bien, l’activité d’I Gemelli va croître et que je m’y consacrerai à cent pour cent. En ce qui concerne l’enseignement, je me suis souvent posé la question, ça viendra aussi, c’est certain, mais c’est encore pour le moment un peu tôt. Cela dit, je serais très heureux de débuter par des masterclass du style monteverdien…
Propos recueillis en novembre 2021 par Emmanuel Andrieu
01 décembre 2021 | Imprimer
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