Enea Scala : « Je suis et je reste une personne optimiste »

Xl_enea_scala-1 © DR

Après l’avoir applaudi en décembre dernier dans La Bohème à l’Opéra de Marseille, le ténor sicilien Enea Scala était à l’affiche du Théâtre Royal de La Monnaie les 11 et 12 mars pour un doublé belcantiste (Elisabetta, Regina d’Inghilterra de Rossini et La Favorita de Donizetti), donné en version de concert « améliorée » – à la place du spectacle Bastarda !, projet conçu à partir de la tétralogie Tudor de Gaetano Donizetti, repoussé à une saison future. 
Nous l'avions déjà rencontré il y a cinq ans à l'occasion de sa prise de rôle de Leopold dans 
La Juive de Halévy à l'Opéra de Lyon, mais la tentation était trop forte de recueillir son point de vue notamment sur les conséquences de la situation sanitaire sur sa carrière, ce doublé belgo-belcantiste, ou encore sa vision de l'avenir...                        

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Opera-Online : La crise sanitaire a déjà ruiné votre participation dans pas moins de six productions lyriques. Comment le vivez-vous ?

Enea Scala : C’est exact : on a perdu et on continue de perdre de nombreuses productions et autant de spectacles. Et au final, on ne fait presque plus que du streaming… et les dégâts ne se comptent plus ! Cependant, je prends les choses comme elles viennent, avec optimisme, en espérant que petit à petit on va pouvoir recommencer. J’estime d’ailleurs avoir beaucoup de chance car, malgré tout, j’ai toujours travaillé, certes par intermittence, mais je ne me suis jamais arrêté trop longtemps, à l’exception évidemment du premier grand confinement.

Parlez-nous de la voix de ténor. Est-ce une voix facile ? La vôtre donne l’impression d’être solide, puissante, d’avoir des aigus qui se déploient aisément… Mais est-ce une voix qui donne du souci ?

Les voix de ténor ont toujours été parmi les plus difficiles, d’autant plus quand on est dans une phase de formation, au début de sa carrière. Construire cette voix de ténor vous met à rude épreuve et très souvent, cela met en crise de nombreux jeunes chanteurs. On peut alors très souvent avoir l’impression de ne pas être fait pour ce travail, de devoir abandonner et d’être contraint à chercher autre chose avant qu’il ne soit trop tard. Moi-même, pendant mes études, j’ai beaucoup souffert... Il arrive en effet alors qu’on ait de bons résultats, d’un seul coup, le corps ne réussit plus à faire la même chose, et cela parce que la mémoire n’est pas encore automatique. Il faut être vraiment patient avec soi-même, face à ses propres limites, et se fier au professeur avec qui l'on travaille.
Aujourd’hui, la maîtrise technique acquise me permet de bien vivre, sans angoisse particulière. Il y a quelques exceptions comme les fois où, comme tout être humain, l’on attrape une infection à la gorge ou que l’on éprouve un mal-être physique ou personnel, ou bien encore quand sa voix s'avère un peu fatiguée après de nombreuses répétitions et peu de repos. Dans ces cas-là, on ne dort pas sereinement, mais on s’en remet le plus possible à la technique qui, heureusement, sauve ce qui peut l’être.

Ces dernières années, vous avez interprété (entre autres) les rôles d’Alfredo, de Fenton, du Duc de Mantoue, ou encore dernièrement de Rodolfo à l’Opéra de Marseille. Vous semblez entretenir des rapports particuliers avec cette maison…

C’est vrai, je chante souvent sur cette scène, et j’en suis très heureux. Le public marseillais s’attache aux bons chanteurs et ceux-ci lui rendent la pareille en tentant de ne pas le décevoir. J’aime l’idée d’être dans un théâtre où je me sente en famille. J’ai ce même sentiment de familiarité au Théâtre Royal de La Monnaie de Bruxelles. C’en était de même pour les grands chanteurs du passé, pour certains théâtres avec lesquels ils entretenaient des relations particulières et dont le public était toujours là, fidèle. Je suis très fier d’avoir ce type de relation, car elle vous donne l’occasion de grandir, à chaque fois, dans des rôles et des répertoires même éloignés les uns des autres.

Vous venez de participer à un double projet belcantiste (La Favorita de Donizetti et Elisabetta, Regina d’Inghilterra de Rossini) en version de concert au Théâtre Royal de La Monnaie. Pouvez-vous nous en parler ?

Je chante principalement dans La Favorita, où j’interprète le rôle de Fernando. C’est grâce à une idée géniale de Peter De Caluwe et de son équipe que ces deux opéras ont été choisis, pour se substituer au projet Bastarda ! qui était programmé ce mois-ci, mais qui a été reporté pour d’évidentes raisons. Et afin d’employer tous les chanteurs prévus sur Bastarda !, le Théâtre de La Monnaie a repris l’intégralité de la distribution pour deux opéras qui restent toujours dans le cadre du répertoire belcantiste.
Ces deux projets ont pris la forme de concerts entrecoupés de vidéos. Le fil conducteur du récit visuel sera incarné par la présence d’une enfant et d’une adolescente. Celles-ci, chacune dans une œuvre, représenteront l’unique lien entre le public et les personnages que nous interprétons, en s’adressant parfois directement à nous.

Malgré les difficultés présentes, comment voyez-vous l’avenir ? 

Heureusement, je suis et je reste une personne optimiste. Je crois que, grâce aux vaccins, nous serons bientôt à un tournant. Et ce qui est positif, c’est que le public - qui aimait déjà l’opéra et qui aujourd’hui a hâte de retourner au théâtre, hâte de voyager pour nous suivre certains artistes pour ne rater aucun de leurs nouveaux rôles - sera encore plus nombreux, d’autant plus qu’il craindra d’éventuelles nouvelles fermetures des théâtres. Et je serai personnellement vraiment content de revoir mes fans les plus invétérés, à la sortie après le spectacle, quand ils m’attendent pour me féliciter ou m'encourager…

Propos recueillis en mars 2021 par Emmanuel Andrieu

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