Après une carrière de chef d’orchestre et son mandat de directeur musical de l’Opéra de Saint-Étienne, Laurent Campellone était nommé directeur général de l’Opéra de Tours en septembre 2020. Animé par des idéaux forts (notamment en matière d’inclusion et de mixité sociale), il œuvre à la fois pour la redécouverte d’ouvrages rares et pour l’accès du plus grand nombre à l’opéra. Et en ce mercredi 30 novembre, le directeur dévoile sa saison du premier semestre 2023 pour l'Opéra de Tours (soit de janvier à juillet, avant de reprendre son cours calendaire normal, qui sera annoncé en juin), ainsi que le nom de son prestigieux parrain. Il évoque également la création récente de la maîtrise populaire de l'établissement tourangeau, ayant notamment pour vocation de lutter contre les inégalités d'accès à la pratique musicale, et profite aussi de l'occasion pour nous parler de deux sujets qui lui tiennent à cœur.
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Opera-Online : A quoi la saison lyrique 2023 de l’Opéra de Tours va-t-elle ressembler ?
Laurent Campellone : J’ai placé la saison du premier semestre 2023 sous le signe des « Italiens à Paris », notamment au travers du compositeur ayant écrit le plus d’ouvrages en français au XIXe siècle pour la capitale : Gaetano Donizetti. Nous monterons ainsi d’abord Lucie de Lammermoor dans sa version française, en coproduction avec l’Opéra de Québec. J’en ai confié la mise en scène à Nicola Berloffa, tandis que Jodie Devos incarnera le rôle-titre ; Matteo Roma sera Edgard, Florian Sempey interprètera le rôle de Henri et Jean-Fernand Setti celui de Raymond. La jeune cheffe polonaise Joanna Slursarczyk dirigera (les 3 et 5 février). Un mois plus tard, les 3 et 5 mars, nous donnerons Deux hommes et une femme (NDLR : plus connu dans sa version italienne sous le nom de Rita) avec Patrizia Ciofi en Rita, Dietrich Henschel en Pépé et Léo Vermot-Desroches en Gasparo. La production sera signée par Vincent Boussard et sera dirigée par Vincenzo Milletari. Nous donnerons également La Petite Messe solennelle de Rossini, créée à Paris en 1863, et que notre chœur maison, accompagné au piano par David Jackson et Vincent Lansiaux, interprétera (le 14 mars). Et le versant lyrique de la saison sera couronné par un récital de notre parrain pour cette nouvelle saison, Roberto Alagna, qui offrira un florilège d’airs français et italiens, le 13 juin, lors d'un concert que je dirigerai moi-même.
Nous sommes aussi très fiers de créer, dès janvier 2023, une Maîtrise populaire de l’Opéra de Tours, à destination d’enfants âgés de 8 à 11 ans, en complément de la Chorale populaire, créée en janvier 2022, et qui regroupe plus de 200 tourangeaux et tourangelles, à ce jour. Ils donneront ensemble un concert gratuit pour la Fête de la musique, le 21 juin.
Comment voyez-vous l’avenir des institutions lyriques du pays, et quels en sont les principaux enjeux ?
Nos maisons sont aujourd’hui face à des difficultés nouvelles, tant notre public change. Les difficultés économiques que nous traversons font qu’il faut de nouveau aller le chercher et/ou l’aider à venir au spectacle. Depuis trente ans, il y a toujours eu des médiations et des tarifs spéciaux, mais nous sommes dans une période où les enjeux sont inédits, où notamment beaucoup d’étudiants doivent choisir entre manger ou aller au spectacle. A ce titre, petit aparté, parce que de plus en plus d’étudiants nous ont fait savoir qu’ils sont désormais contraints de se priver d’un repas s’ils veulent pouvoir aller voir un spectacle, nous avons décidé de mettre en place une offre inédite, dés janvier 2023, et pendant l’entracte de chaque représentation, tout spectateur détenteur d’une carte étudiant pourra s’offrir un repas complet pour seulement un euro ! Cette première mondiale permettra, nous l’espérons, à tous les jeunes passionnés de musique de ne plus devoir choisir entre pouvoir se nourrir et avoir accès au spectacle vivant.
De même, nos structures sont également impactées par la crise, et Les Forces musicales viennent de publier un rapport alarmant qui précise que les budgets des institutions musicales de notre pays vont être amputées de 900.000 euros, en moyenne, la saison prochaine, car l'inflation pèse également très lourd sur le budget des maisons. L’érosion du public, avec des jauges souvent 30 % inférieures à l’avant-Covid, et l’augmentation du point d’indice mettent en danger nos équilibres financiers. Après la période Covid, ce sont donc de nouveaux périls économiques auxquels vont devoir faire face l’ensemble des structures.
Ce constat appelle des plans d’action pour - individuellement et collectivement - passer à travers ces nouvelles turbulences. Il faudra ainsi repenser la façon de monter des spectacles, notamment à travers des coproductions, et il est temps que le ministère de la Culture mène une réflexion sur les réseaux de coproduction entre les différents opéras du pays. Je pense qu’il faudrait systématiser les coproductions, pourquoi pas à l’échelle régionale, comme nous allons le faire dans une « Région Grand-Ouest », comprenant les villes d'Angers, Nantes, Rennes et Tours, afin de mutualiser nos forces et nos équipes de production. Sans cela, le danger à court ou moyen terme est la mort de la création, avec des maisons qui ne pourront plus qu’accueillir des spectacles clés en main.
Comment voyez-vous la place de l’opéra et du spectacle en général dans notre société à moyen et long terme ?
Il y a des mutations que l’on sent venir, qui sont très profondes, notamment sur le rapport que les gens peuvent avoir avec l’objet musical, et de manière générale sur les spectacles. C’est pour l’instant encore loin de nous, mais dans les quinze années à venir, le « métavers » sera prépondérant dans notre société, je pense, c’est-à-dire des espaces virtuels partagés qui seront accessibles via interaction 3D ou 2D. On en a peur, comme de l’Internet quand il est apparu, mais la réalité virtuelle et augmentée sera de plus en plus prépondérante dans nos vies dans un futur plus ou moins proche. Cela va percuter et changer notre façon de vivre les spectacles, et concrètement il faut imaginer que l’on vivra des concerts virtuellement, au milieu d’une salle et de spectateurs virtuels, tout en étant tranquillement dans son salon avec un matériel adapté. Cette façon de vivre un spectacle ne va pas forcément se substituer aux concerts en salle, mais en tout cas le compléter. Il y aura toujours des salles de spectacle, mais il y aura aussi l’accès à ces mêmes concerts sous format virtuel. Le « métavers » va permettre des expériences inédites, auxquelles il faut se préparer dès aujourd’hui. Je pense que ca sera un jour un champ de création, et qu’il y aura même des productions à destination seulement du « métavers », qui ne sera plus une simple retransmission sous format virtuel, mais un vrai lieu de création, pratiquement sans limite.
Interview réalisée le 30 novembre 2022 par Emmanuel Andrieu
30 novembre 2022 | Imprimer
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