Jusque-là habitué aux petits rôles de comprimari (Sir Hervey dan Anna Bolena à Avignon, Tchekalinski dans La Dame de pique à Strasbourg ou encore dernièrement Gaston dans La Traviata à Bordeaux), le temps semble être venu pour le jeune ténor français Jérémy Duffau de se frotter aux premiers sur de grandes scènes ! Après le rôle-titre de Titus dans l’ouvrage éponyme de Mozart à l'Atelier lyrique de Tourcoing l’an passé, c’est le rôle de Pâris dans La Belle-Hélène d'Offenbach à l’Odéon de Marseille qu’il vient tout juste d’endosser, avant d’y retourner en janvier prochain (si tout va bien…) pour le rôle-titre du Chanteur de Mexico de Francis Lopez. Le temps était donc venu pour Opera-Online d’aller à sa rencontre…
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Opera-Online : Pourquoi le choix du chant lyrique ?
Jérémy Duffau : J’ai toujours aimé la musique, mon père faisait de la guitare, et mon grand-père de l’accordéon, dès l’âge de 8/9 ans j’ai commencé le saxophone, la chorale et le solfège, puis adolescent, je m’amusais à chanter des chansons difficiles quand j’étais tout seul à la maison ! (rires). A 18 ans, je suis entré au Cours Florent car mon premier désir était de devenir comédien, et c’est dans cette école que j’ai eu la révélation du chant lyrique ! En effet, il y avait une classe de chant/chorale où l’on montait des spectacles musicaux allant de la comédie musicale à Offenbach en passant par Lopez ou Kurt Weill. J’ai auditionné et le prof, Laurent Austry, lui-même chanteur lyrique, m’a de suite dit que j’étais ténor, que j’avais des facilités et qu’il me prenait comme soliste ! Ce moment précis a été un déclic dans ma vie artistique, je ne connaissais que Luciano Pavarotti, les trois Ténors, Roberto Alagna et Maria Callas chez les femmes, mais ces voix extraordinaires me fascinaient et l’opportunité de devenir un ténor professionnel moi aussi, et gagner ma vie grâce à ma voix, a fait passer ma passion pour le théâtre au second plan tellement celle du chant est devenue subitement plus forte et profonde.
Vous êtes donc passé par les célèbres Cours Florent. Le théâtre tient du coup une place importante dans votre carrière de chanteur lyrique ?
Oui, comme je vous disais, mon premier désir était de devenir acteur, faire des films, du théâtre, et ce depuis tout petit ! Le Cours Florent a été une expérience magnifique pour moi, je me suis développé artistiquement et humainement, j’ai fait disparaître ma timidité, j’ai fait de nombreuses rencontres, participé à de nombreux projets et j’ai élargi ma vision artistique en faisant à la fois du théâtre classique, de la commedia dell’arte, du théâtre contemporain, mais aussi beaucoup de danse (neuf heures par semaine !) et de chant.
Aujourd’hui l’Opéra a beaucoup changé et on demande aux chanteurs d’être de vrais acteurs à part entière, j’ai eu la chance de le vérifier lorsque j’ai collaboré entre autres avec des metteurs en scène comme Laurent Pelly, Olivier Py, Robert Carsen, Christian Schiaretti, le réalisateur italien {Mario Martone] ou encore le multi récompensé aux Molière Jean-Philippe Daguerre !
Quels souvenirs gardez-vous de votre passage par le Studio de l’Opéra national du Rhin ?
J’en garde un très bon souvenir, un esprit de troupe à l’allemande, et beaucoup d’expérience avec pas moins de soixante-cinq représentations et concerts dans la saison en ce qui me concerne ! Un certain nombre de masterclasses également, avec notamment Sylvie Valayre, Françoise Pollet, le ténor Nicola Martinucci ou encore Jean-Philippe Lafont... L’opportunité également, une fois sorti du studio, de participer à des productions de l’Opéra national du Rhin comme La Dame de Pique de Tchaïkovski où Le Roi Arthus de Chausson.
Vous semblez plutôt spécialisé dans l’opérette ... est-ce un choix ou une nécessité pour vous ?
Tout d’abord, je ne suis pas vraiment « spécialisé » dans l’opérette puisque j’ai chanté durant cette première décennie de carrière beaucoup plus d’Opéra ! L’opérette et l’opéra-bouffe doivent représenter vingt pour-cent de mon répertoire, mais il est vrai que j’y tiens et que c’est une corde supplémentaire à mon arc ! Ma formation justement, un peu à l’anglo-saxonne, où j’ai travaillé à la fois le théâtre, le chant et la danse me permet d’être à l’aise dans ce registre et cela serait dommage de s’en priver !
Je pense par ailleurs qu’il est nécessaire de remettre ce répertoire à sa juste place, et lui rendre sa noblesse. En effet, il faut savoir tout faire dans l’opérette, chanter comme dans un opéra, avec des tessitures parfois extrêmes, jouer la comédie comme dans une pièce de théâtre ou de boulevard, et danser comme dans du Music-Hall. Quand on sait faire ça... on peut tout faire !
Vous n’avez jamais tenté d’explorer le répertoire antérieur à Mozart, c’est-à-dire le baroque ?
Non, il est vrai que je suis plutôt un ténor romantique et qu’à l’exception du Messie de Haendel que j’ai eu beaucoup de plaisir à chanter, ce répertoire ne convient pas particulièrement à ma vocalité. Déjà chez Mozart, où j’ai interprété les rôles de Belfiore dans La Finta giardiniera, Tamino dans La Flûte Enchantée à plusieurs reprises et Titus dernièrement, je dois freiner mes ardeurs romantiques pour garder les lignes épurées de la période classique...
Du reste, mis à part le baroque, j’ai un répertoire très varié allant donc de Mozart à Britten en passant par les romantiques Tchaïkovski, Verdi, Puccini, Gounod, Massenet, Bizet mais aussi Ravel, Poulenc, Chausson, Fauré, les œuvres de Lopez et Offenbach, le belcanto de Rossini et Donizetti mais aussi des créations contemporaines comme Blanche-Neige de Länge et Le rouge et le noir de Barcaroli ... Quel plaisir et quel pied de passer de La Traviata au Chanteur de Mexico, et de La Belle-Hélène à La Clémence de Titus ! Cela développe et assouplit la voix et l’on ne s’ennuie jamais !
Avez-vous des modèles ?
Oui, j’ai passé énormément de temps à écouter des ténors, principalement ! Il est quasiment impossible de n’en citer qu’un tellement chaque voix a ses propres caractéristiques, mais pour ma part je suis un grand fan de Franco Corelli, sa puissance, son timbre, sa facilité dans les aigus, son physique de star du cinéma, sa mélancolie, sa façon de jouer sa vie sur chaque note...
J’ai aussi toujours adoré la pureté et le soleil dans la voix de Pavarotti, la diction limpide et châtiée d’Alagna comme de George Thill dans le répertoire français, l’élégance et l’aristocratie dans la voix d'Alfredo Kraus, la classe hollywoodienne et le naturel de Mario Lanza, l’insolence et la marginalité de Franco Bonisolli, la force tranquille de Jon Vickers, et plus généralement j’aime justement les « touche-à-tout » dont je m’inspire, comme Nicolaï Gedda, qui chantait parfaitement toutes les langues, Fritz Wunderlich , une des plus belles voix de ténor du vingtème siècle, qui chantait autant Bach que Strauss ou Verdi, et enfin j’ai une tendresse particulière pour Jerry Hadley, ténor moins médiatique, mais qui a énormément enregistré, créateur du Candide de Bernstein, et qui chantait autant Tamino que Faust, Lenski, Tom Rakewell, le musical, l’oratorio et le répertoire contemporain !
Vous venez d’interpréter le rôle de Pâris dans La Belle Hélène à l’Odéon de Marseille. Pouvez-vous nous parler à la fois de votre personnage et de la mise en scène de Bernard Pisani ?
C’est la troisième fois que je chante Pâris et la deuxième dans cette mise en scène de Bernard Pisani, après l’avoir déjà fait à l’Opéra de Nice. C’est un très beau rôle, très vocal, très « opératique », très exigeant ! Il faut des graves, un bon medium et des aigus solides, ainsi qu’une belle voix de tête jusqu’au contre-Fa ! Le premier air « Au mont Ida » est un grand air du répertoire de ténor avec pas moins de sept Si bémol, le duo du rêve est magnifique, on dirait un grand duo de Massenet, et pour ma part dans cette mise en scène je chante le deuxième air de Pâris « Je la vois, elle dort ... », qui est plus doux et romantique... Par ailleurs, c’est un vrai rôle de théâtre où l’on passe du Berger au Prince, du séducteur au paria avant de revenir comme le sauveur à la fin de l’œuvre, et on peut autant faire rire qu’émouvoir dans ce rôle. Nous avons tout de suite bien accroché avec Bernard, avec des idées et un humour compatible. Sa mise en scène est un bon mélange entre tradition et modernité, et chaque personnage, chaque choriste est important. On passe du péplum au théâtre de boulevard, en faisant un détour par le cabaret, le tout dans un rythme endiablé !
De manière plus générale, quel est votre rapport à la mise en scène et aux metteurs en scène ?
Évidemment, ayant commencé par le métier de comédien, au théâtre et à la télé, j’accorde une grande importance à la mise en scène. J’aime qu’un metteur en scène sache exactement ce qu’il veut tout en utilisant qui il a en face de lui avec ses qualités et ses caractéristiques qui lui sont propres. J’attends aussi d’un metteur en scène qu’il me traite comme un acteur mais sans jamais oublier que nous devons chanter, et souvent des choses difficiles, et que cela implique un minimum de confort ! Enfin, j’aime qu'un metteur en scène me surprenne, je ne suis pas contre le fait de moderniser certaines œuvres mais je déteste que l’on change l’histoire d’un opéra ! Que Carmen tue Don José à la fin ou que La Bohème puisse être jouée sur la Lune sont des aberrations monumentales et nombrilistes pour moi ! Et encore je reste poli...
Comment avez-vous vécu le premier confinement en comment abordez-vous le second ?...
Ce deuxième confinement est une véritable catastrophe pour notre métier, pour l’art, la culture, et plus largement l’art de vivre et la liberté ! Je ne rentrerai pas dans des considérations politiques et scientifiques car il y aurait trop à dire… Le premier confinement n’a pas été si difficile à vivre car j’ai la chance de vivre au Cap-Ferret, près de l’océan, de ma famille, avec ma compagne et un adorable husky... et nous en avons profité pour faire des travaux d’aménagement, des balades en forêt, cuisiner et passer un maximum de temps ensemble...
Professionnellement, plusieurs productions dans lesquelles je devais participer ont été annulées : La Cambiale di Matrimonio à Tourcoing puis à Marrakech, Nabucco à Marseille, Princesse Czardas à Aix-les-bains, Barbe-Bleue par Pelly à Oman etc. Par chance, tous mes contrats ont été respectés ou alors les productions ont été reportées... Cette fois, c’est Andalousie de Lopez à l’Opéra de Nice en novembre qui risque fortement d’être annulée (même si à ce jour nous gardons un mince espoir de faire tout de même les répétitions et une captation...), et je devais également être doublure du beau rôle de Fenton dans Falstaff de Verdi à La Monnaie de Bruxelles en décembre, cela aussi est annulé...
J’ai d’ores et déjà d’autres annulations sur la suite de la saison car de nombreux théâtres privés ne peuvent pas honorer leur programmation à force de remplir des demies salles et de devoir fermer tous les trois mois... C’est extrêmement triste et préoccupant mais mon optimisme naturel me pousse à croire que la culture se relèvera toujours, que l’humanité en a besoin, et que nous ne pourrons pas continuer à confiner les gens avec des restrictions liberticides éternellement...
Quels sont vos prochains rôles et ceux dont vous rêvez pour l’avenir ?
Hormis les annulations, il y a un nouveau Titus de prévu à l'Opéra de Montréal, Laërte dans Hamlet à Saint-Étienne, et j’espère le report de Barbe-Bleue à Oman, Macduff dans Macbeth à Marseille, mais aussi La toison d’or de Lopez à Toulouse...
Pour l’avenir, de nombreux rôles me font envie ! J’ai déjà chanté Roméo et Rodolfo ainsi que Don José dans la version de « La Tragédie de Carmen », trois rôles qui me faisaient rêver, et j’espère ajouter à mon répertoire des rôles comme Edgardo dans Lucia di Lammermoor, le duc dans Rigoletto, Pinkerton, Werther, Faust ,Des Grieux, Lenski... et quand je serai un peu plus âgé, je rêve de Lohengrin, Hoffmann, Cavaradossi, Riccardo dans Un Ballo in maschera, Alvaro dans La Force du destin... entre autres !...
Propos recueillis en octobre 2020 par Emmanuel Andrieu
02 novembre 2020 | Imprimer
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