C’est une bien triste nouvelle qui est tombée comme un couperet à Lyon : Les Grands Concerts doivent rendre les clefs de la Chapelle de la Trinité, et disparaître suite à une décision de la Métropole et de la Ville, désormais sous bannière écologiste.
La ville de Lyon pouvait s’enorgueillir de compter dans ses murs l’association Les Grands Concerts, qui offrait depuis 25 ans environ une programmation principalement axée sur la musique baroque, riche, et permettant d’entendre de grands noms lyriques (généralement absents par ailleurs des scène de l’Opéra et de l’Auditorium, comme par exemple Cecilia Bartoli). Las, malgré un succès toujours au rendez-vous, la Métropole a décidé de lancer un appel à manifestation d'intérêt pour la Chapelle de la Trinité en début d’année et n’a pas retenu la candidature des Grands Concerts, mettant fin à la belle histoire qui unissait cette perle baroque de l'architecture lyonnaise et l’association pourtant prisée des habitants.
La Chapelle de la Trinité
Il faut dire que le lieu a de quoi attiser les convoitises. Datant du XVIIe siècle, cette chapelle érigée au cœur de la ville (dans le 2e arrondissement, presque accolée au quai Jean Moulin et à la passerelle du collège) « est l'un des plus beaux fleurons de l'architecture baroque » (cf. lyon.fr), avec ses magnifiques revêtements de marbre de Carrare.
Bâtie dans le style baroque par Etienne Martellange, elle est consacrée comme église en 1622 par François de Sales et devient le premier bâtiment ecclésiastique de style baroque de Lyon avec l'église Saint-Bruno des Chartreux, le tout dans un contexte de Contre-Réforme. Elle est ensuite gérée par les jésuites (elle est d’ailleurs toujours physiquement liée au collège Ampère), puis est redécorée en 1754 par Jean-Antoine Morand. C’est à ce dernier que l’on doit l'utilisation du marbre de Carrare.
En 1702, elle abrite le premier observatoire de Lyon au-dessus du fronton de l'église. Deux petites tours comportant chacune 202 marches, posées sur trompe, s’élevaient également. Malheureusement, l’observatoire sera partiellement détruit lors du siège de Lyon en 1793. Après une restauration en 1817, l’observatoire déménage finalement au palais Saint-Pierre en 1863.
Elle est également un lieu d’importance historique, puisque c’est dans ses murs qu’eut lieu la Consulte de Lyon du 11 au 26 janvier 1802. Une réunion extraordinaire durant laquelle Napoléon Ier préside une assemblée de plus de quatre-cent-cinquante députés, qui aboutira à la transformation de la République cisalpine en République italienne. Elle est finalement désacralisée en 1920, puis classée Monument historique en 1939. Menaçant de s’effondrer, il faut attendre les années 1990 pour la voir enfin restaurée après avoir ainsi été lieu de culte, lieu de décision politique, siège d’astronomie, mais aussi gymnase, foire aux tapis, marché au ski ou même entrepôt !
L’arrivée de la musique baroque dans la Chapelle : la naissance des Grands Concerts
Tout débute en 1983, lorsque Eric Desnoues crée le Festival de Musique Baroque de Lyon soutenu par le Mécénat de la Société BioMérieux et du Crédit Lyonnais. A cette époque, il est un pionnier dans la redécouverte de cette musique, et lorsque les travaux de restauration de la Chapelle de la Trinité arrivent à leurs fins, Raymond Barre propose à Eric Desnoues de « sédentariser son activité festivalière, à condition de garder des mécènes et du public » (cf. Le Petit Bulletin). Les Grands Concerts évoluent afin de proposer une saison complète, puis en 2006, « la Société de Musique de Chambre de Lyon délègue sa direction aux Grands Concerts afin de donner un souffle nouveau à sa programmation et développer son public » (cf. site des Grands Concerts). Il y a 10 ans, l’association élargit sa programmation en l’ouvrant à la Musique Romantique puis, plus tard, au jazz, à la pop ou encore à la musique du monde. On peut même y écouter les populaires concerts Candlelight.
Ce que l’on retient toutefois des Grands Concerts demeure son essence baroque, son excellence et son incroyable capacité d’attrait, puisque l’association parvient à faire venir des artistes de renommée internationale : Philippe Jaroussky, Cecilia Bartoli, Marie- Nicole Lemieux, Nathalie Stutzmann, Carlo Vistoli, Sonya Yoncheva, etc.
Le résultat est un public répondant présent et des finances saines : 76 % provient de la billetterie, 10 % du mécénat, 8 % de la Ville et 6 % de la Région. Les subventions publiques s’élevaient initialement à 100 000 euros avant d’être baissée en 2023 puis en 2024 jusqu'à 60 000 euros.
Une décision « arbitraire et brutale »
La politique et l’administration compliquent néanmoins parfois les choses : à l’origine, le lieu appartenait à la Ville de Lyon. A la fin des années 2000, c’est la Métropole qui en est devenue propriétaire avec le processus de métropolisation. Toutefois, la Métropole a décidé d’en confier la gestion… à la Ville ! Un véritable micmac administratif, où la première conventionnait la deuxième pour enfin conventionner les Grands Concerts. Le résultat en a été la publication d’un appel à manifestation d'intérêt de la part de la Métropole, à laquelle s’est jointe la Ville de Lyon qui se préserve néanmoins la possibilité de se retirer si le choix de la Métropole « ne correspondait pas à leurs orientations culturelles » (cf. Le Petit Bulletin).
Bien que la pilule fut amère à digérer pour les Grands Concerts, l’association n’a pas baissé les bras et a déposé un dossier en réponse à cet appel, aux côtés de cinq autres candidats : les Concerts de l'Hostel Dieu, les Chartreux, les Nouveaux Caractères, Little Tribeca, et le festival Superspectives. Des dossiers qui devaient répondre à un cahier des charges particulièrement contraignant avec, entre autres, une véritable mission de service public comprenant des exigences de démocratisation du lieu et de diversité des publics – à se demander si la musique demeure réellement au cœur du projet recherché.
De façon peu compréhensible pour beaucoup, ce ne sont pas les Grands Concerts qui ont été retenus mais les Concerts de l'Hostel Dieu. Ainsi que l’indique Eric Desnoues : « Je rends effectivement les clefs le 30 juin. La Ville de Lyon a mis en place une AMI (Avis à manifestation d’intérêt) sans obligation juridique et sans avoir concerté l’association. En décembre, nous sommes passés avec un dossier extrêmement construit devant un jury composé de deux élus qui ne sont jamais venus à un seul de nos concerts, Nathalie Perrin-Gilbert (adjointe à la Culture à la Ville de Lyon) et Cédric Van Styvendael (vice-président à la Culture à la Métropole et maire PS de Villeurbanne) ». Il ajoute : « Le 5 mars, Cédric Van Styvendael m’a appelé pour me dire que notre candidature ne correspondait pas aux exigences du service public renforcé. Renforcé n’existe pas en droit. C’est le Concert de l’Hostel Dieu avec lequel je n’ai pas de contact qui a été choisi car il entrerait plus dans les critères. » Il dénonce une « décision brutale et politique de la part de la mairie et du Grand Lyon » (cf. Le Progrès). Il poursuivait : « nous avons invité les plus grands interprètes de ce répertoire et plusieurs centaines d’ensembles indépendants français et internationaux. Nous avons porté une attention particulière aux nouvelles générations d’artistes ainsi qu’aux ensembles lyonnais et Rhône-Alpins que nous sommes fiers de vous avoir fait découvrir. Nous avons établi un partenariat étroit et confiant avec les Conservatoires de musique comme avec le Lycée Ampère (où est située la chapelle, NDLR). Nos finances sont saines et certifiées sans réserve par notre Commissaire aux Comptes ».
Par ailleurs, le directeur et fondateur des Grands Concerts rappelle : « On a fait donner de l’argent à la Ville pour compléter la rénovation, on a nous-même investi dans le lieu et nous l’avons équipé à nos frais (…) on s’attendait donc à être traité en partenaire reconnaissant plutôt qu’en prestataire que l’on peut remplacer du jour au lendemain ». Il ajoute : « C’est une décision arbitraire et très brutale, il n’y a pas eu de concertation avec notre association, ni aucun égard par rapport au service que nous avons rendu à la Ville depuis 25 ans ». L'association « se réserve la possibilité d’utiliser toutes les voies de droit à sa disposition pour obtenir réparation du préjudice majeur subi » (cf. LyonPeople), mais cette éviction de la Chapelle de la Trinité pourrait marquer la fin des Grands Concerts et de l'excellence qui les caractérisait.
Quant au nouvel occupant, il récupèrera les lieux très certainement vidés de toute l’installation – coûteuse – actuelle le 1er juillet 2024, pour une durée de cinq ans renouvelables une fois. Reste à découvrir l’accueil qui lui sera réservé dans de telles circonstances.
28 mars 2024 | Imprimer
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