La troupe d'Opéra Junior s'empare de Barbe-Bleue à Montpellier

Xl_lerpmmha_copie © Marc Ginot

Depuis sa création en 1990, l'ensemble Opéra Junior ne cesse de proposer à des dizaines d'enfants chaque année de goûter au plaisir de pratiquer l'art lyrique, tant par le chant que par le théâtre ou parfois la danse. Chaque année, l'ensemble propose un opéra que le public prend plaisir à venir voir et entendre à l'Opéra Comédie de Montpellier. Cette année, les différents groupes de la troupe se réunissent pour un savoureux Barbe-Bleue... Nous avons rencontré les différents acteurs de la production, jeunes ou moins jeunes.  

Ces mardi 29 et mercredi 30 avril, l’Opéra de Montpellier laissera sa scène à Opéra Junior qui s’attaque cette année à Barbe-Bleue d’Offenbach. Marion Guerrero signe la mise en scène et l’adaptation du livret, tandis que le directeur d’Opéra Junior, Jérôme Pillement, dirigera en fosse l’orchestre de la maison mais aussi sa troupe de jeunes artistes. Nous avons eu la chance de pouvoir nous faufiler dans les coulisses du spectacle ce weekend et de rencontrer différents acteurs de cette belle aventure.

Pour Marion Guerrero, Barbe-Bleue ne peut pas s’en tirer si bien...

Faire jouer Barbe-Bleue par une troupe de Juniors entraîne une adaptation de l’œuvre, sur laquelle se penche Marion Guerrero depuis septembre. Son travail avec les jeunes de l’ensemble a pour sa part débuté par des weekends et des stages dès janvier avant d’arriver à ces 15 derniers jours. Mis bout à bout, cela représente une trentaine de jours, « ce qui est très peu, même pour des acteurs professionnels ! » Malgré la course des derniers moments, la metteuse en scène a très gentiment accepté de nous accorder de son temps pour échanger sur cette production un peu particulière.

Lorsque nous lui demandons la différence qu’il peut y avoir à travailler avec des enfants, la metteuse en scène admet « qu’à part un rapport d’autorité un peu différent, cela ne change pas vraiment : même la capacité de concentration n’est pas forcément pire que chez les adultes ! Le plus difficile est davantage le nombre de personnes à diriger (80 au total dans cette production). Ce qui change, c’est plutôt le fait qu’il s’agisse d’amateurs : ils n’ont pas forcément les réflexes des professionnels. Toutefois, parmi eux, il y a vraiment des acteurs et actrices en puissance. Surtout, ils sont très à l’écoute et je suis très heureuse de l’évolution de chacun et chacune dans leurs rôles ».


Barbe-Bleue, Opéra Junior à l'Opéra de Montpellier (2025) © Marc Ginot

Il a néanmoins fallu adapter l’ouvrage à cette jeune troupe, mais comment le faire tout en restant fidèle à l’œuvre originelle ? En suivant l’histoire du livret de Meilhac et Halévy, elle-même tirée du conte de Perrault, « la principale contrainte étant ici de réduire la durée totale à environ 1h30, contre environ 2h30. Il fallait conserver le fil de l’histoire tout en transformant certaines scènes ». Lorsque Marion Guerrero commençait à étudier l’œuvre, elle s’est dit que « Barbe-Bleue ne pouvait pas s’en tirer aussi bien, ce n’est pas du tout en adéquation avec aujourd’hui ». L’affaire Pelicot débutait alors dans les médias, et l’idée du procès du personnage lui est venue : « celui-ci permettait d’ajouter de nouveaux personnages (avocats, présidente,...) qui font avancer le récit différemment, créant les narrateurs et narratrices dont j’avais besoin pour couper certaines parties, remplacées alors par un récit plus rapide. Nous avons également coupé de la musique et des airs avec le chef ».

Notons toutefois la présence d’un chanteur adulte professionnel (Gabriel Rixte) pour le rôle-titre. Est-ce une façon de le « marginaliser » par rapport aux autres rôles (tous tenus par des enfants d’Opéra Junior) ? A cette question, la metteuse en scène nous répond que « l’idée vient de Jérôme Pillement, notamment parce que ce rôle est très difficile à chanter. Mais j’ai pensé que l’idée était bonne parce que, effectivement, ça le marginalise, ça rend le personnage d’autant plus « différent ». Après, dans les faits, il a 32 ans, certains jeunes ont un peu plus de 20 ans, donc on n’a pas non plus l’impression que c’est un papi entouré d’enfants ! »


Barbe-Bleue, Opéra Junior à l'Opéra de Montpellier (2025) © Marc Ginot

Enfin, si le cadre du procès nous place dans un tribunal, les autres lieux mentionnés par le livret apparaissent eux aussi sans jamais gommer le fond du décor principal. Ici, Marion Guerrero laisse parler son goût pour « transformer les espaces, souvent avec des choses simples : un décor qui tourne, un tapis qu’on déroule... A l’origine, l’idée du palais de justice fait aussi écho au palais du roi avec ce décor cossu (du bois, des moulures, comme par exemple à celui de Montpellier). Il y a donc peu d’éléments à modifier pour passer de l’un à l’autre. Par ailleurs, il s’agit de décors récupérés, de même que les costumes ».

Rencontre avec Jérôme Pillement, chef et directeur d’Opéra Junior

Après cette rencontre avec la metteuse en scène, nous avons eu la chance de pouvoir rencontrer Jérôme Pillement. Il nous explique qu’Opéra Junior est « un ensemble contenant plusieurs groupes de jeunes qui chantent. Cela commence maintenant dès la maternelle, puis il y a un groupe de primaire assez important d’une soixantaine d’enfants. Ils montent un opéra pour enfant par saison ; ils travaillent pour cela avec un chef de chœur et ont accès à un encadrement musical tout au long de l’année. En janvier arrive une personne pour leur faire travailler la scène. Certains vont alors avoir des rôles solistes puisqu’Opéra Junior est une troupe et non un chœur.

Nous avons la même chose avec les collégiens, qu’on pourrait appeler une maîtrise car nous sommes toujours à voix égales. On peut aller un peu plus loin dans le répertoire, parfois nous passons commande de pièces aussi pour eux. Ils vont aussi avoir une activité de concert puisque ces jeunes vont monter un programme de concerts en plus de l’opéra. Enfin, il y a les plus grands (du lycée jusqu’à 22 ans) avec qui on monte parfois de « vrais » opéras.

Tout l’encadrement artistique d’Opera Junior est fait par des personnes qui aiment enseigner, bien sûr, mais qui ne sont pas que professeurs : ils et elles sont avant tout des gens de la scène. Nous ne sommes pas du tout en concurrence avec le conservatoire par exemple ; nous accompagnons ces jeunes, nous les conseillons mais nous ne sommes pas diplômant. Nous restons avant tout une pratique amateur, même si elle est encadrée professionnellement ».


Barbe-Bleue, Opéra Junior à l'Opéra de Montpellier (2025) © Marc Ginot

Mais alors, quelle différence y a-t-il concrètement avec une Maîtrise ? Pour le directeur d’Opéra Junior, « c’est avant tout le côté théâtre. Dans les Maîtrises, le travail est avant tout axé sur le chant même si on commence à voir le travail s’ouvrir sur des aspects plus physiques ». Il rappelle également que sur les trois dernières années, l’ensemble a « abordé deux créations (Climat et Belongings) dont les sujets sont aussi pour les jeunes ». Cette année, avec Barbe-Bleue, « l’idée de dresser le procès du personnage, sinistre à l’origine, fait écho aux nombreux procès qu’on voit de plus en plus. C’est donc là aussi un sujet qui parle aux jeunes : on ne peut plus aujourd’hui parler aux femmes comme on le faisait il y a 50 ans, il y a une prise de conscience dans la société. Encore une fois, ce sont souvent les plus jeunes qui ont ces prises de conscience plutôt que les anciens ».

Il ne faut pas toutefois oublier que l’écriture musicale d’Offenbach est « musicale fine, délicate, pas forcément facile à chanter » et qu’elle représente « une nouvelle expérience pour les jeunes après deux œuvres du XXIe siècle ». Afin de s’y préparer, il a fallu débuter – comme toujours – par « un travail purement musical, avec l’apprentissage de la musique, des répétitions ou des cours de chant, des cours de formation musicale. Même si nous ne sommes pas une école, il faut bien aider à apprendre la grammaire, ce que nous appelions le solfège. Puis va arriver la mise en scène, alors avec un travail d’interprétation dramaturgique de l’œuvre en parallèle, jusqu’à aboutir à un mixage des deux aspects. Au final, ils travaillent 15 jours durant ces vacances de Pâques où, comme pour un opéra professionnel, les artistes connaissent leurs partitions, leurs rôles, et la metteuse en scène donne ses indications. Les chefs de chœur et chefs de chant de la maison font travailler les artistes. Arrive ensuite l’orchestre, qui accompagne ces jeunes avec beaucoup d’attention, de tendresse et de bienveillance ».

Quant à la distribution, elle repose en premier lieu sur le volontariat des jeunes artistes. Les rôles et les tessitures sont expliqués en début d’année, avant de leur demander ce qu’ils souhaitent, tous les enfants ne désirant pas forcément être sur le devant de la scène. S’ajoute également la question des capacités de chacun.


Barbe-Bleue, Opéra Junior à l'Opéra de Montpellier (2025) © Marc Ginot

Les différents groupes d’Opéra Junior étant réunis pour cette production, une double distribution a été mise en place, « permettant à davantage de jeunes de s’approprier les rôles ». Une audition a toutefois été organisée avec l’équipe artistique, et les jeunes ont été guidés pour la préparer au mieux. Du côté de Jérôme Pillement, qui a conscience que « certains ont envie d’aller plus loin dans ce métier ou cette passion » et que ceux-ci vont donc potentiellement davantage travailler, demeure le désir de leur offrir la chance de rôles plus importants sans pour autant que cela soit systématique.

Ce qui ressort tout particulièrement d’Opéra Junior est qu’il s’agit un groupe uni : « Au-delà de la musique, du théâtre ou du spectacle, il y a à Opéra Junior un groupe social, très important pour eux. Il est hors école, hors collège, hors lycée. Certains sont là depuis 10 ans. Pour eux, Opéra Junior est une grande partie de leur vie. Il y a une vraie cohésion, une véritable bienveillance entre eux qui m’a toujours beaucoup touchée. C’est important, notamment avec la pression qu’ils peuvent ressentir face au spectacle à donner, et c’est très beau à voir ».

Mais qui sont ces jeunes d’Opéra Junior ?

Poursuivant nos échanges, nous avons le plaisir de rencontrer Gabriel Bertrand et Belem Vignaud-Michon, deux des nombreux jeunes artistes présents sur scène au cours des deux représentations qui attendent le public. Faisant partie d’Opéra Junior depuis respectivement huit ans et cinq ans environ, ils nous confient qu’appartenir à cette troupe leur apporte avant tout le plaisir de jouer, notamment sur une scène telle que celle de l’Opéra Comédie, mais aussi de « chanter de belles musiques, rencontrer de nouvelles personnes... C’est super ! » (Gabriel). Belem y ajoute : « chanter dans des conditions professionnelles » ou encore le fait de rencontrer des chanteurs professionnels, comme lorsqu’ils ont fait La Bohème.

Ce qui les a amené à Opéra Junior est leur goût pour le chant, mais pas seulement : Gabriel est « allé voir Le monstre du labyrinthe au Corum dans lequel il y avait Opera Junior, ce qui m’a donné envie d’en faire partie. Je voulais déjà chanter, mais je ne savais pas où ». Pour Belem, « ce sont mes parents qui, vu que j’aimais bien chanter, m’ont proposée Opera Junior. En plus il y a du théâtre, parfois de la danse... Donc j’ai essayé, ça m’a plu et je suis restée ! »

Concernant cette production, Gabriel nous confie qu’il « connaissait Offenbach, mais pas cette œuvre ». Belem s’est aussi montrée tout de suite enthousiaste : « Je me suis dit que ça allait être cool parce que c’est Offenbach ! Et puis il y avait l’idée des costumes, de la mise en scène... Il y a quelque chose de particulier avec lui. Même à son époque, il mettait des choses dans ses opérettes que tout le monde ne mettait pas ». Une fois la découverte de l’œuvre faite restait encore la question de la distribution. Les conditions n’étaient pas exactement les mêmes selon les différents groupes : pour celui de Gabriel, « tout le monde a un peu postulé pour tous les rôles, même s’il y avait des préférences, la question des voix et des tessitures. Il y avait aussi la question du rôle en lui-même, de quoi ça parlait, mais c’était un peu dur de le savoir avant de bien connaître la musique et l’histoire plus en détails » car ils devaient s’orienter dès le début avant de pouvoir éventuellement modifier leurs choix pendant qu’ils travaillaient.

Pour le groupe de Belem, c’était différent : on leur avait proposé cinq rôles en les prévenant qu’il allait également y avoir des rôles théâtraux. La jeune fille a obtenu le sien après qu’on leur a fait jouer des scènes (comme celle entre Popolani et le Comte Oscar pour elle et une amie), avoir pris en compte « la façon de chanter, le niveau vocal » ou encore le physique : « à l’âge de 11 ans, on n’a pas le physique pour interpréter une femme de Barbe-Bleue ! Et c’est vrai que s’ils avaient mis une fille qui avait l’air d’avoir 8 ans pour jouer une épouse de Barbe-Bleue, ça aurait été un peu ambigu ! »


Barbe-Bleue, Opéra Junior à l'Opéra de Montpellier (2025) © Marc Ginot

Finalement, Gabriel a obtenu le rôle du Prince Saphir dans l’une des deux distributions : « Je suis Saphir, un prince qui a vu une très jolie fleuriste à la campagne et qui pour la courtiser s’est déguisé en berger. La fleuriste se rend compte qu’elle est en fait une princesse, qu’elle doit épouser un prince, et ce prince est en fait Saphir. Tout est bien qui finit bien ! » Belem, de son côté, est La Gamine, un rôle qui « n’est pas le rôle d’origine. Il y avait le rôle d’un enfant, mais ce n’était pas du tout celui-là. La Gamine est un rôle un peu atemporel : mon costume est plus dans le passé, mais j’ai des propos d’aujourd’hui. J’ai l’air d’une petite fille modèle, mais je ne tiens pas vraiment des propos de petite fille modèle, je joue avec le défibrillateur... Je suis un petit ajout. Je parle assez peu, mais je suis beaucoup présente à partir du 2e acte. C’est l’un des plus petits rôles, mais c’est quand même cool d’être la personne qu’on ajoute qui se faufile un peu partout. »

Avec Opéra Junior, ces jeunes goûtent aux plaisirs de la scène « comme des professionnels », ce qui donne envie de devenir professionnel, comme le reconnaît Gabriel qui souhaite néanmoins poursuivre ses études sans pour autant délaisser ce monde lyrique amateur. De son côté, Belem n’a pas de doute : « C’est une passion que j’ai depuis que je suis toute petite. Je ne peux pas imaginer arrêter ! Je veux devenir chanteuse lyrique ».

Qu'en est-il alors de ce Barbe-Bleue ?

Nous avons eu l'opportunité et la chance de pouvoir assister à la générale de la production samedi soir. Difficile de ne pas en ressortir particulièrement séduit ! La proposition de Marion Guerrero se tient parfaitement, jouant ingénieusement avec de légers changements de décors qui nous transportent sans mal dans les différents endroits du livret, en flash-back savamment amenés ou reconstitutions juridiques divertissantes. Un plaisir de bout en bout dont ne dévoilerons pas ici toutes les ficelles.

Le procès permet pour sa part d’amener son lot de personnages hauts en couleur, particulièrement divertissants. Difficile de ne pas remarquer l'avocat de la défense – également roi Bobèche – interprété par Cyriaque Alarcos. Plus qu'une graine d'acteur, la pousse est déjà fort prometteuse. Nous sommes fan ! Quant à la guide anglophone, ses interventions sont toujours délicieusement amusantes.


Barbe-Bleue, Opéra Junior à l'Opéra de Montpellier (2025) © Marc Ginot

Vocalement, bien qu’il ne s’agisse que d’une Générale, certaines voix offrent déjà de forts plaisants moments et donnent envie d'être réentendues, comme par exemple le Comte Oscar, Boulotte, ou encore l'une des épouses cachées par Popolani.

En conclusion, ce Barbe-Bleue (à voir donc ces 29 et 30 avril à partir de 19h à l'Opéra Comédie de Montpellier) rappelle avec art qu'il n'est pas besoin de plateau professionnel pour passer un excellent moment. On ne peut que saluer l'engagement de l'Opéra de Montpellier qui permet ce petit miracle et souhaiter le meilleur à cette troupe d'Opéra Junior : tous n'en méritent pas moins !

Propos recueillis par par le samedi 26 avril 2025

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