Nous avions découvert la chanteuse guyanaise Marie-Laure Garnier dans le court rôle d’Ygraine (Ariane et Barbe-Bleue) au Théâtre du Capitole au début de l’année 2019, et sa belle voix chaude et lyrique comme sa présence scénique nous avait impressionnés. Rien d’étonnant à ce qu’elle ait été, la même année, Lauréate du Concours Voix d’Outre-Mer, puis en février dernier, Lauréate des Victoires de la Musique Classique dans la catégorie « Révélation lyrique de l’année ». Grande habituée du Théâtre du Capitole, où Christophe Ghristi l’a presque « prise sous son aile », nous sommes partis à sa rencontre tandis que se profile, en juin prochain dans la Ville rose, une Elektra où elle interprétera le rôle de la 5e servante.
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Opera-Online : Qu’est-ce qui vous a conduite à la musique classique et au chant lyrique ?
Marie-Laure Garnier : Née dans une famille de mélomanes, la musique a toujours fait partie de ma vie. J’étais une petite fille passionnée, qui respirait et vivait musique. Mon parcours artistique a débuté très tôt par l’apprentissage des percussions traditionnelles guyanaises, la flûte traversière, le piano et l’orgue. Et c’est la flûte, instrument principal à l’époque, qui m’a menée au CRR de Paris en 2004. L’année suivante, j’ai intégré la Maîtrise de Paris. Pendant trois années, ma vie d’adolescente a été rythmée par des après-midi de travail qui préparaient à de nombreux concerts dans des lieux prestigieux et des productions d’opéra aux côtés d’artistes de renom. Forte de cette merveilleuse expérience et sur les conseils de mon professeur de l’époque, Sophie Geoffroy-Deschaume, j’ai choisi de poursuivre mon développement artistique avec le Chant lyrique.
Vous avez été Lauréate des dernières Victoires de la Musique Classique (dans la catégorie « Révélation Lyrique de l’année »). Quelle importance cela revêt-il pour vous ?
Révélation Lyrique de l’année... quelle joie ! Ce prix est, pour moi et pour mon travail, une magnifique marque de reconnaissance et d’encouragement de la part des acteurs du milieu professionnel dans lequel j’évolue depuis quelques années. Bien que la crise sanitaire soit un énorme coup dur pour notre secteur, j’espère de tout cœur que cette distinction sera un véritable tremplin pour me faire entendre de plus en plus à l’opéra et ainsi développer ma carrière.
Vous avez également été la première Lauréate du Concours « Voix des Outre-Mer » en 2019. Une double fierté ?
Le Concours Voix des Outre-Mer est une formidable institution qui m’apporte un soutien sans faille depuis trois ans. Je suis très heureuse d’appartenir à cette famille artistique qui réunit des chanteurs ultramarins de tous horizons. Lors de la remise du prix « Voix des Outre-Mer » Fabrice Di Falco et Julien Leleu m’ont demandé d’être la marraine du Concours lors de la deuxième édition en Guyane. C’est avec joie et fierté que j’ai accepté et que je m’inscris dans cette dynamique. En effet, le Concours, porté par l’Association Les Contres-Courants et de nombreux partenaires, œuvre pour mettre en lumière de talentueux chanteurs ultramarins et pour faire découvrir l’art lyrique outre-mer.
Comment définiriez-vous votre voix ?
A ce jour, ma voix est un soprano lyrique, ample, chaud et puissant qui me permet de m’épanouir dans divers répertoires allant du baroque à la musique contemporaine, de la Mélodie à l’opéra. J’aime à penser que ma voix est comme la palette d’un peintre : je cherche toujours à déployer des couleurs afin d’incarner du mieux que possible le texte mis en musique.
On connaît votre passion pour le Lied et la mélodie. Que vous apportent-ils ?
Le Lied et la mélodie ont toujours fait partie de ma vie de chanteuse. Tout d’abord, à mes débuts, quand avec l’aide de mes professeurs, je construisais mon instrument, ce répertoire a été un lieu d’expression musicale rêvé. Le format court des pièces et l’exigence de la musique m’ont permis de dépasser de nombreuses difficultés techniques tout en développant mon répertoire. Puis, en 2011, j’ai entamé un travail de duo avec la pianiste Célia Oneto Bensaid, dans les classes de Jeff Cohen, Anne Le Bozec, Claire Désert et Ami Flammer. Cette collaboration a été le début d’une grande et riche aventure. Aujourd’hui, chaque séance de travail est source de joie. J’aime autant analyser les textes que confronter mon point de vue avec celui de ma partenaire. Ensemble, nous construisons le discours musical auquel nous ajoutons nos inspirations que ce soit en lien avec nos lectures, des peintures, des histoires vécues, etc. Notre duo occupe une très grande place dans ma vie artistique et le répertoire étant inépuisable, nous avons encore de belles années devant nous.
On vous a surtout entendue au Théâtre du Capitole, notamment dans le rôle d'Ygraine dans Ariane et Barbe-Bleue de Dukas), et bientôt dans celui de la 5e Servante dans Elektra en juin prochain. Une maison et un directeur artistique (Christophe Ghristi) avec lesquels vous avez des affinités ?
Christophe Ghristi est le premier directeur d’une maison lyrique a m’avoir fait confiance. Il m’a offert de faire mes débuts dans La Walkyrie de Wagner. Cette confiance est précieuse pour la jeune artiste que je suis, sans agent, encore aujourd’hui. Depuis 2018, j’ai été engagée à plusieurs reprises au Théâtre du Capitole, mais également à l’Opéra de Rouen Normandie pour être doublure du rôle-titre dans Tosca de Puccini.
Vous deviez également chanter dans Platée et dans Le Viol de Lucrèce de Britten au sein de l’institution capitoline, mais la crise sanitaire est passée par là. Comment avez-vous vécu ces annulations et comment voyez-vous les prochains mois ?
En effet, la crise sanitaire a porté un coup à notre activité. Ce fut une énorme déception de préparer les rôles de Junon et du Female Chorus, d’entamer le travail sur place, avec les collègues, sans pouvoir aller au terme du projet. Pour autant, la vie continue, et le travail personnel ne cesse jamais. Je pense d’ailleurs que le temps faisant son œuvre, l’incarnation de ces deux rôles se verront nourris par le bénéfice du travail technique de ces mois sans activité scénique.
Vous êtes également connue pour être une « artiste relais », engagée au service d’autrui au travers d’actions socio-culturelles. Pouvez-vous nous en parler ?
Il me sera difficile d’en parler en quelques mots… il y aurait tant à dire. J’ai grandi à Kourou, en Guyane. Et j’ai toujours été très sensible aux projets qui permettaient aux jeunes de toute culture et de tout niveau social de se réunir autour de projets artistiques ambitieux (orchestre, comédie musicale, etc.). Lors de mes études au CNSMDP, c’est tout naturellement que j’ai participé aux ateliers d’initiation à la médiation culturelle dispensés par la Philharmonie de Paris. Ainsi, j’ai effectué de nombreux ateliers dans des écoles, des hôpitaux, des maisons de retraite...
Je garde un souvenir particulièrement marquant d’un projet porté par la Philharmonie de Paris, intitulé Portées lointaines. Il s’agissait de créer un spectacle avec des enfants présentant des troubles du comportement et des difficultés d’apprentissage. Nous étions quatre artistes pour conduire les ateliers avec l’aide de leurs éducateurs. Cette année fut marquée par de nombreux moments d’émerveillement face à l’évolution de ces enfants, tant dans la pratique musicale, que dans leur comportement ou encore leurs résultats scolaires.
En guise de conclusion, pouvez-vous nous parler de vos projets immédiats ?
J’aurai la joie de participer au 1er Festival Lyrique Carïbéen le 9 mai prochain à Saint-Domingue. Le 13 mai, vous pourrez découvrir notre récital filmé à la Salle Gaveau avec Célia Oneto Bensaid, dans le cadre la French Touch Tour diffusée sur Canal Plus VOD (un projet réalisé par la BPI France). Et enfin du 25 juin au 4 juillet, je serai donc la 5e Servante dans Elektra de Strauss au Théâtre du Capitole dans une mise en scène de Michel Fau, et sous la direction musicale de Frank Beermann. Vivement le retour à la scène !...
Propos recueillis en avril 2021 par Emmanuel Andrieu
25 avril 2021 | Imprimer
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