Après une journées portes ouvertes « familles » ayant réuni plus de 2000 personnes (et l’armée de nounours en peluche d’1m40 qui avait fait le buzz dans le quartier des Gobelins à Paris depuis octobre), et trois représentations de Gretel et Hansel, adaptation française du conte lyrique de Humperdinck, l’édition 2019 de « Mon premier festival d’opéra » se poursuit à l’Opéra Comique avec une fantaisie sur le mythe d’Orphée.
En assistant à la première représentation de Petite Balade aux enfers, synthèse de l’œuvre phare de Gluck en cinquante minutes ponctuées de dialogues parlés, on est soufflé par la qualité de l’exécution. Le spectacle, initialement prévu pour la salle Bizet, s’est installé dans la grande salle Favart en raison de son dispositif scénique. Un castelet de plusieurs mètres sert de mini-théâtre de marionnettes où évoluent les personnages principaux, les créatures volantes et colorées des enfers à larges becs ou à poils longs, et des fins éléments de décor. Valérie Lesort, qui a co-signé la mise en scène du Domino noir avec Christian Hecq (le sociétaire de la Comédie-Française incarne ici Zeus, narrateur, avec son irrésistible gouaille habituelle), propose un projet d’une grande fraîcheur et à la clarté dramatique accessible à tous, dès six ans. La remarquable création lumières de Pascal Laajili (le fameux « couloir noir » figurant l’illusion du mouvement des marionnettes) et le soin musical apporté participent largement à la poésie et à la drôlerie de la représentation. Marie Lenormand campe un Orphée noble et déchirant, Judith Fa est une Eurydice intrépide et aérienne. La Maîtrise Populaire de l’Opéra Comique interprète les chœurs avec aisance, sous la direction musicale affûtée et touchante de Marine Thoreau la Salle au piano.
La production réunit les ingrédients de l’ouverture au jeune public, et à plus large échelle aux publics jeunes, déployée par l’institution parisienne sous de nombreuses formes.
Petit Balade aux Enfers (c) Stefan Brion / Opéra Comique 2019
Tout d’abord, on est extrêmement satisfait d’avoir un spectacle familial qui ne soit pas « au rabais », pour ce festival jeunesse qui ouvre la saison calendaire de l’institution pour la deuxième année consécutive, et de bénéficier d’une rencontre avec l’équipe artistique à l’issue directe du baisser de rideau. Les enfants conquis, familiers ou non au monde lyrique, font dévoiler les secrets de fabrication aux créateurs et sont à l’origine de quelques perles (« Pourquoi vous avez pas fait la vraie fin ? », demande un écolier étonné par la résurrection d’Eurydice à la fin de l’œuvre).
Il y a aussi la Maîtrise Populaire (la première du titre), projet sociétal et multi-disciplinaire créé en 2016 par l’Opéra Comique, parrainé par la nouvelle troupe Favart, et finaliste cette année des Projets FEDORA pour l’Éducation. Bien que le sésame de cette formation s’opère sur audition, aucun pré-requis musical n’est exigé. Intervient alors la dynamique de mixité pour ses participants de 8 à 25 ans, permise par une tournée de recrutement dans des zones d’éducation prioritaire en Île-de-France. Une fois intégrés au projet, les maîtrisiens sont scolarisés au Collège Couperin (4e arrondissement) en classe à horaires aménagés, au Lycée général Georges Brassens (19e arrondissement) ou au Lycée professionnel de l’Abbé Grégoire (5e arrondissement). Parallèlement au bloc d’enseignement commun aux autres adolescents, ils suivent notamment des cours de musique, de danse et de chansigne (pratique qu'on évoquait récemment) selon une méthode ludique par le mouvement, entre 4 et 18 heures par semaine. Le décloisonnement et la rencontre avec les publics sont une réalité : les chanteurs de la Maîtrise Populaire de l’Opéra Comique se produisent aussi bien Place Boïeldieu dans le cadre de la programmation jeunesse (le rôle d’Amour dans Petite Balade aux enfers, My Fair Lady en février 2018, les « Chansons à partager » pendant la saison 2019) ou générale (la création mondiale de L’Inondation de Francesco Filidei et Joël Pommerat en septembre prochain), qu’en hors-les-murs (entrée de Simone Veil au Panthéon, la création théâtrale de Thyeste de Sénèque par Thomas Jolly au Festival d’Avignon et en tournée dans toute la France).
Autre facteur d’accessibilité pour les familles : la Carte Mainate, au tarif de 15€ par famille, donnant droit pendant l’année calendaire à une réduction de 10% pour les adultes et de 50% pour leur(s) enfant(s) (ou non) de moins de 18 ans, pour les spectacles tout public, à la condition d’au moins un adulte et un enfant par spectacle. Elle donne accès gratuitement aux garages à poussettes, à la réservation de loges à proximité des sorties, et à un guide ludique de visite. En 2018, 100 Cartes Mainates ont été vendues, et 61% des places achetées via la Carte Mainate concernaient « Mon premier festival », qui a compté quelque 1925 spectateurs (représentant plus de 4% de la fréquentation annuelle du Théâtre, étant donné que les jauges sont beaucoup plus réduites qu’un spectacle traditionnel au sein de la grande salle).
Par ailleurs, les groupes scolaires et universitaires ont occupé 3207 places la saison dernière tous spectacles confondus, soit 7% du public total.
Les 5753 moins 35 ans individuels dénombrés en 2018 (incluant les moins de 18 ans), soit 12,6% du public général et en augmentation de 93,8% par rapport à 2017, ont eux droit à une remise de 35% sur les billets de toute la saison, et bénéficient d’offres régulières à 20€ sur les grandes productions.
On clôturera ce chapitre en mettant encore une fois l’accent sur la belle santé des coproductions, parfois adaptées à des publics plus lointains de l’opéra. On pense par exemple à Bohème, notre jeunesse, créé salle Favart en juillet (on en rendait compte), et en tournée de la Corse à la Normandie dans des maisons théâtrales qui font pour la plupart une entrée inédite dans le lyrique.
Thibault Vicq
14 février 2019 | Imprimer
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