Portrait de metteur en scène : Claus Guth

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À partir de 4 août prochain, le Festival de Salzbourg donnera une nouvelle production de Fidelio, l’unique opéra de Beethoven, avec Adrianne Pieczonka et Jonas Kaufmann dans les rôles principaux. Et cette production est mise en scène par Claus Guth, régulièrement salué pour la justesse de ses adaptations.
En attendant de découvrir son interprétation de Fidelio dans quelques jours à Salzbourg, nous dressons le portrait du metteur en scène. 

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Claus Guth est bien la preuve que le monde lyrique, malgré les Cassandre, continue à être un lieu constamment renouvelé de création théâtrale, lui qui se consacre presque exclusivement à l’opéra, avec une carrière internationale qui, jusqu’alors, n’a guère abordé la France, hors quelques mises en scène à Nancy ou la présentation en tournée de Fierrabras par l’Opéra de Zurich au Châtelet (mais Stéphane Lissner devrait le faire venir régulièrement à Paris ces prochaines années). Il est suffisamment musicien pour pouvoir assumer des créations, et il l’a abondamment fait, notamment à ses débuts ; au fil d’une carrière de presque trente ans, il a naturellement eu l’occasion d’aborder un très vaste répertoire, de Salzbourg à Milan et de Zurich à Barcelone.

Décors et costumes sont rarement chez lui de ceux qui font hurler les publics conservateurs : de la Scala à Zurich, cette élégance contemporaine, qui privilégie les couleurs claires et les ambiances aérées, a une séduction pour ainsi dire universelle, nourrie par un usage abondant et habile du plateau tournant ; c’est tout juste si l’arrêt de bus un peu glauque de son Don Giovanni, créé à Salzbourg et repris depuis à Berlin et ailleurs, a fait lever quelques sourcils interrogateurs. Les Noces de Figaro qu’il avait monté préalablement à Salzbourg à l’occasion de l’anniversaire mozartien de 2006sont pourtant beaucoup plus représentatives de ce style conciliant et de la manière dont il réconcilie les contraires qui se partagent l’opinion mélomane. Pour un peu, on aurait pu y voir une production classique, bien faite mais sans grande originalité. Mais il y avait une âme dans cette production, un acteur (Uli Kirsch) qui matérialisait en quelque sorte, avec la légèreté d’une plume, les liens émotionnels entre les personnages.

Mais il y a quelque chose de trompeur dans l’impression apaisée que peuvent donner les photos de ses spectacles : Guth travaille souvent à partir de concepts soigneusement développés, qui construisent le sens à l’échelle de l’œuvre toute entière. Chez Calixto Bieito, la violence est souvent immédiatement lisible, physique ; chez Guth elle est d’abord masquée par la surface lisse de ses décors, ce qui n’empêche pas que ses personnages, à l’occasion, subissent avec une force tout aussi implacable leur destin tragique. On pourrait presque citer Maeterlinck, et Pelléas : chez Guth, même si ses décors sont plus souvent des intérieurs, ils ont l’air d’« attendre toujours un grand malheur, au soleil, dans un beau jardin ».

Cette approche conceptuelle n’est pour autant pas une approche dogmatique : son souci, au contraire, c’est de trouver des solutions propres à chaque œuvre : pour monter Le Messie, à Vienne puis à Nancy, il avait imaginé une complexe narration qui développait tout un monde d’associations en contrepoint de la musique et du livret de Haendel ;pour Fierrabras de Schubert, une œuvre plombée par un livret difficile à justifier sur la scène contemporaine, il avait choisi de faire intervenir la figure du compositeur, aux prises avec les affres de la création lyrique qui n’a jamais été pour lui un parcours de santé ; des personnages écrasés par un décor immense qui les rapetissait, ce qui allait à merveille avec la raideur et le manque de vie dramatique imposés par le livret. Mais le compositeur n’était pas ici qu’un simple factotum : la malheureuse passion lyrique de Schubert était mise en situation par rapport à l’ensemble de sa biographie, les personnages masculins étaient à la fois des alter ego de Schubert et les figures principales de sa biographie, son père, ses amis. On a pu trouver que cela détournait l’attention du spectateur des enjeux propres au livret (mais quels enjeux !) ; il était cependant difficile de nier la cohérence de cette approche, ni sa capacité à prendre à bras le corps les difficultés d’une œuvre pour la rendre accessible aux spectateurs d’aujourd’hui.

Mais cette manière de détournement de l’histoire n’était justifiée que par la particularité de cet opéra ; la règle générale, chez Guth, est plutôt celui d’une prise en compte soigneuse de l’histoire et des personnages tels qu’ils sont. Dans Luisa Miller, à Munich, le dispositif était d’une simplicité qui le rendait immédiatement lisible, tout en demandant d’ailleurs une qualité d’exécution considérable. Il y jouait d’une tout autre fascination, celle des faux-semblants : aux chanteurs venaient faire face des figurants agissant en miroir. La symétrie et le miroir sont des figures chères à Claus Guth – à Zurich, le premier acte de Tristan montrait deux chambres jumelles, celles d’Isolde et de Brangäne, elles-mêmes réunies par une troublante gémellité. Dans Luisa Miller, le dédoublement avait un sens bien différent : le miroir virtuel ainsi créé, loin d’élargir l’horizon, était l’image d’une sorte de prison mentale, immatériel et infranchissable. Et le miroir qui reflète le moindre de vos gestes semble savoir avant même que vous en ayez conscience quel sera votre prochain mouvement : on ne saurait illustrer mieux l’incapacité de Luisa à sortir des plans tracés pour elle par tous ces hommes qui l’entourent, son enfermement dans des lois sociales contre lesquelles on ne peut même pas se révolter. On voit bien à travers ces quelques exemples que Guth, malgré l’impression familière que donnent ses décors, n’est pas de ceux qui ont des solutions toutes faites. La simplicité, la lisibilité de ses spectacles n’empêchent pas l’extrême raffinement des dispositifs scéniques qu’il invente avec ses décorateurs (souvent Christian Schmidt) ; il n’hésite pas, certes, si cela lui paraît opportun, à doubler la narration du livret par son propre récit, mais il se montre de spectacle en spectacle un des plus efficaces raconteurs d’histoires de la scène lyrique, et cela lui assure la gratitude d’un très vaste public.

Dominique Adrian

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