Cyril Rovery s’est depuis plusieurs années distingué dans des carrières diverses, tant sportive que de mannequinat, mais aussi évidemment de chanteur lyrique, menant de front l’excellence du chant et celle du corps. Si cette pluridisciplinarité n’a pas toujours été du goût de tous, le baryton-basse marseillais a su, par son travail et son talent, mener une carrière lyrique comptant aujourd’hui une soixantaine de rôles, notamment dans les pays de l’Est où sa tonalité impressionnante peut davantage s’exprimer. La crise actuelle l’ayant forcé à l’arrêt, il a mis ce temps à profit pour s’atteler à l’enregistrement d’un disque, Anges et démons à l'opéra, qui s’inscrit dans un concept audio-visuel large pour un résultat qui lui tient particulièrement à cœur, et sur lequel il a notamment accepté de revenir avec nous.
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Comment en êtes-vous arrivé au chant ?
Cyril Rovery : Je viens d’études générales, mais lorsque j’étais tout jeune, j’ai chanté dans des chorales (alors en mode soprano) jusqu’à la préadolescence. Avec la mue, je me suis plus consacré à mes études, et plus précisément à sport-étude puisque j’ai été athlète de haut niveau (400m et 100m). Puis à l’âge de 18 ans, on m’a emmené à l’opéra pour la première fois, et j’ai eu un véritable choc émotionnel. Vous savez, quand on vient à la rencontre musicale, qu’on est marqué par l’émotion musicale ou artistique qui fait de vous la femme ou l’homme que vous êtes : à un moment donné, nos émotions fortes, culturelles ou artistiques, nous marquent profondément dans ce qu’on est, et ce qu’on devient. En plus de ça, j’ai entendu celui qui allait être mon professeur sans le savoir !
Vous avez apparemment une soixantaine de rôles dans votre répertoire. Multiplier les rôles obéit-il à une sorte de « curiosité boulimique », ou bien est-ce une façon de ne pas se lasser ?
Je ne saurais pas forcément bien répondre à cette question, parce qu’en fait dans tous ces rôles, il y a aussi des rôles plus secondaires, qui ne sont pas des rôles d’incarnation très marquants, surtout par rapport à ma typologie vocale. Donc on va dire qu’il y a une bonne quinzaine de rôles premiers qui m’ont marqués, et puis les autres qui ont été plus secondaires, y compris dans ma motivation musicale ou artistique d’incarnation théâtrale. En tout cas, il n’y a pas un désir de multiplicité des rôles : l’artiste est soumis essentiellement aux rôles qu’on lui propose, au gré des productions, des propositions de contrats.
Vous avez également eu des expériences de mise-en-scène, avec Carmen au festival lyrique de Grans…
Oui, en effet, pour des petits festivals. Par exemple, quand on m’a proposé de mettre en scène une version réduite de Carmen, je pensais que ça serait assez légitime, au bout d’un peu plus de 20 ans de carrière et en ayant très souvent chanté le rôle du toréador, pour apporter mon expérience théâtrale et musicale, ainsi que des éléments de mise en scène dans une production. Pour autant, je ne m’estime absolument pas metteur en scène, mais c’est vrai qu’il est très intéressant pour un artiste d’apporter son empreinte dans l’enseignement, ou dans une direction de mise en scène, ou encore musicale. Il y a plusieurs exemples de chefs d’orchestre qui étaient ou sont aussi chanteurs. Un chanteur demeure un musicien à part entière, au même titre qu’un violoniste ou un pianiste par exemple.
Est-ce qu’il y a d’autres projets qui sortent du cadre du chant et vous intéresseraient ?
Je suis quelqu’un de très ouvert d’esprit. C’est vrai que je multiplie les expériences. Par exemple, en ce moment, je suis coach vocal pour le Centre Européen d'Expertise de l'Eloquence et de la Voix (CEEEV) à Marseille, qui est un très gros centre européen. Je suis dans une équipe de rééducation ORL, et j’y apporte ma patte artistique. On a évidemment beaucoup de chanteurs et de comédiens, mais il y a aussi tous les autres métiers de la voix : avocats, commerciaux, journalistes, etc… Et je pense que c’est venu au bon moment : à cause du confinement, de la crise sanitaire, et parce que comme tous les artistes, je suis à l’arrêt. Je me montre utile ici, et cette utilité, depuis 7 ou 8 mois, paraît pleinement justifiée.
A présent, venons-en à votre actualité plus récente qui est la sortie de votre disque Anges et Démons. Quelle est l’histoire de ce projet ? Pourquoi ce titre ?
Album Anges et Démons à l’opéra ; © DR
Capture d’écran d’une vidéo d‘enregistrement sur Facebook ; © DR
Cette thématique, ça fait déjà plusieurs années que je l’ai en tête, mais je n’avais pas le temps d’enregistrer un disque à cause de mon actualité lyrique. J’ai donc mis à profit ces derniers mois d’arrêt artistique pour vraiment mettre en œuvre ce projet de disque Anges et Démons à l’opéra. Il a fallu que je trouve les bonnes partenaires, avec notamment Joyce Young, artiste visuel, qui est tout à fait dans l’esprit conceptuel, culturel et artistique que je voulais créer pour cet album. L’aspect visuel est en effet très important ici, et on est en plein tournage de vidéo-clips. Nous avons tourné pour l’instant des « versions 1 », en sachant qu’il y aura des « versions 2 » de chacun de ces titres. Ces versions seront beaucoup plus élaborées, dans un contexte urbain, moderne, contemporain, mais dans le respect absolu des œuvres, musicalement et vocalement. Je ne sors pas du moule lyrique ou classique, nous avons simplement le désir de nous adresser à un tout public, et à un public de plus en plus jeune, et de le faire avec les moyens mis à ma disposition. Evidemment, je n’avais pas du tout les moyens de faire appel à un orchestre complet, mais le récital chant-piano se fait beaucoup, et j’ai trouvé que c’était tout à fait légitime de le faire ainsi. Et puis il est vrai qu’Olga Bondarénko, cette jeune soliste de 27 ans, est une pianiste absolument éblouissante, qui a un respect absolu des œuvres, un désir qui s’inscrit dans une recherche musicale de couleurs spécifiques pour chacune d’elles. Elle est toujours dans la recherche du son parfait et elle est extrêmement à l’écoute de mon geste vocal, de mon geste respiratoire et de ma musicalité.
Par ailleurs, avec ce concept, on avait le désir de montrer au public la « cuisine » de l’opéra : comment on enregistre un disque, comment on répète,… C’est pour ça qu’il y a autant de vidéos de répétitions sur Facebook ou sur YouTube : on avait vraiment cette envie de live, de partager avec le public la préparation, comment travaille un musicien, un chanteur, comment tout cela se fait, et nous avons mis en ligne toutes nos répétitions. Nous souhaitions faire participer le public en temps et en heure, parce qu’il pouvait également réagir, parler avec nous sur les vidéos. Et ça a été une rencontre avec le public géniale, parce que c’est vrai que beaucoup de gens nous suivent, et on est très fiers de cette relation de proximité.
D’où aussi la présence de Joyce Young qui a beaucoup filmé, et qui va continuer à filmer nos vidéo-clips, puisqu’elle va être actrice, metteuse en scène et conceptrice à part entière de ces vidéos. Voilà le pourquoi de cet album, et pourquoi nos trois visages sur l’album. Quant à la thématique « anges et démons », c’est tout simplement parce que c’est ce qu’on aime le plus voir théâtralement : le bien, le mal, les dieux, les légendes, les diables, les méchants, etc…
Pourquoi un accompagnement piano plutôt qu’avec orchestre ? Est-ce simplement une question de moyens, ou bien est-ce un choix artistique ?
J’avais eu l’occasion de le faire avec orchestre il y a plusieurs années, mais l’occasion a été manquée à cause de mon agenda lyrique. En plus, avec un orchestre, il faut un temps d’enregistrement beaucoup plus long, tandis qu’ici, on avait prévu à peine quatre demi-journées d’enregistrement, pour le total des treize airs. Mais il s’est trouvé qu’on avait tellement travaillé en amont (en plus des répétitions, nous nous étions rencontrés une première fois il y a un an, lors d’un concert au théâtre antique d’Orange à la sortie du premier confinement au mois d’août), qu’on a réduit ce temps à trois après-midi d’enregistrement à peine !
Au final, un accompagnement piano, c’est aussi ce que l’on retrouve le plus souvent en récital…
Oui, c’est ce qu’on appelle le chant nu. C’est José van Dam qui disait même que le chant nu, c’est vraiment lorsqu’il y a zéro décor, zéro orchestre, et que vous avez juste la voix et le piano. C’est vraiment le chant que je trouve le plus « pur ». On ne peut pas tricher, on est vraiment mis à nu, aussi bien musicalement que théâtralement, y compris dans l’incarnation émotionnelle. C’est ça qui m’a vraiment intéressé.
Et puis j’attendais aussi de trouver la bonne pianiste, la bonne partenaire. Ce qui m’a le plus étonné avec Olga (Bondarénko), c’est sa maturité musicale, sa connaissance du répertoire lyrique incroyable. Elle a une connaissance du répertoire et des langues formidable. C’est aussi pour ça que l’album compte quatre langues différentes avec les répertoires allemand, russe, italien et français, et que l’on a pu produire une palette de couleurs, de nuances et d’opéras qui vont parfaitement dans ma typologie vocale. Certaines parties qu’elle joue sont par ailleurs effroyablement difficiles, et elle fait preuve d’un brio et d’une maîtrise technique vraiment incroyable. Il fallait vraiment un son orchestral pour porter ma voix qui est plutôt dramatique et qui requiert ce soutien harmonique de puissance et de palettes de couleurs différentes.
Justement, comment avez-vous choisi ces airs ? Est-ce un choix purement émotionnel (les rôles qui vous ont personnellement touché), ou bien d’une autre nature ?
Cyril Rovery (à droite) ; © Victor Victorov
En effet, il y avait des choix qui n’étaient pas forcément mon goût le premier. Par exemple, même si j’aime beaucoup Don Giovanni, je n’affectionnais pas particulièrement de chanter l’air du champagne, mais je savais qu’il fallait aussi répondre à un tout public, qu’il fallait qu’il y ait des airs très connus, comme « Le veau d’or », comme Carmen, que j’ai beaucoup chanté et qui n’est pas forcément très agréable à chanter au piano, mais que j’ai au plaisir à faire ici avec Olga justement parce qu’elle a ce son orchestral. J’avais toutefois à cœur d’ouvrir le disque avec un Rossini, Le Barbier de Séville, qui est très connu, et de finir avec cette rareté qu’est La Gazza ladra. Tout le monde connaît le thème que l’on peut entendre à la fin du disque, mais personne ne connaît véritablement l’opéra. Dieu sait que j’ai chanté beaucoup de Rossini, mais c’est un des airs rossiniens les plus beaux que j’aie jamais chantés de ma vie.
Côté langue, le russe est pour moi est assez récent, mais il fallait que je commence à m’y mettre parce que les rôles qui vont venir pour moi, ce sont Eugène Onéguine ou Boris Godunov. Le rôle d’Osmin est très récent aussi. Il se trouve que ma voix, avec la maturité, se prête à ce répertoire-là aujourd’hui. Sarastro, c’était plus évident parce que c’était un rôle que j’avais déjà abordé. J’avais aussi envie de mettre en avant des œuvres plus méconnues, comme Benvenuto Cellini, ou Robert le Diable, qui est un des plus grands succès du compositeur. Il a été très peu joué ces dernières années, mais cette valse infernale se prête tout à fait à ma thématique du bien et du mal à l’opéra.
Question difficile à présent : si vous deviez choisir un seul titre de votre disque, lequel serait-il ?
Misère ! J’aimerais tout de même citer plusieurs rôles que j’ai particulièrement apprécié interpréter à l’opéra, à commencer par Wotan, dans Les Walkyries, mais aussi Escamillo, Zaccaria dans Nabucco… Après, c’est difficile de répondre car il faudrait que je mette en avant un air, un rôle qui serait à la fois moi physiquement et vocalement. Il se trouve que vocalement, ils sont tous moi, mais pas forcément physiquement… Je dirais donc, pour la nouveauté, cette Gazza ladra… Mais Robert le Diable aussi.
Vous avez évoqué les clips qui accompagnent le disque et que vous avez définis comme « conceptuels ». Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur le concept en question qui est d’aller vers le public et vers la jeunesse ?
Capture d’écran du vidéoclip de l’air d’Escamillo ; © DR
Ce concept justifie pleinement la présence de Joyce (Young) sur le disque, au même titre qu’Olga et moi, puisque la partie vidéo-clip va être aussi importante que le disque lui-même. Ces clips, vous en avez eu pour l’instant un avant-goût avec les versions 1 que nous avons évoquées. Les versions 2 seront beaucoup plus élaborées, toujours avec la volonté de s’adresser à un public pour qui on va mettre en contraste des textes, des problématiques de personnages d’un autre temps avec des problématiques d’aujourd’hui. Par exemple, cette Gazza ladra sera un clip « Me too » : le texte est extrêmement misogyne, avec bien peu de respect et une bonne dose de violence verbale envers la femme. Donc on va tourner un clip qui va renverser la tendance et qui va mettre en avant la liberté de la femme aujourd’hui dans ses choix de vie, ses choix professionnels, intimes, sociétales et autres. Ce clip-là sera une véritable surprise. La première version que vous avez, c’est ce bonhomme au téléphone qui invective cette fille, mais la deuxième version de la vidéo sera volontairement féministe.
Vous avez une idée des dates de sortie de ces « versions 2 » ?
Pour la Gazza ladra, ce sera au printemps, parce qu’on veut le tourner autour d’une piscine, dans une villa de luxe en ambiance garden party. Actuellement, on est en train de tourner le clip de Benvenuto Cellini, qui sera un hommage aux victimes de la Covid-19 et leurs familles. Ca va se dérouler dans un service d’urgences. Au total, nous tournerons six vidéo-clips en version 2, dont Attila ou La Flûte enchantée en centre-ville pour un hommage aux sans-abris,… Nous ferons un hommage à chaque fois, afin de parler des vraies problématiques de la vie de tous les jours, pour montrer que les textes d’opéras, même anciens, peuvent très bien parler aux problématiques d’aujourd’hui.
Souhaitez-vous ajouter un dernier mot à propos de votre disque ?
J’y ai mis toute mon âme, tout mon cœur. Ça paraît bateau de le dire, mais je vous l’assure, tout sort ici de mes tripes. J’ai envie de vous dire ça, tout simplement. C’est véritablement l’aboutissement de 22 ans de carrière, la quintessence de ce que je suis émotionnellement, théâtralement, vocalement, de ce que je suis du plus profond de moi. Il y a aussi de vraies prises de risque de virtuosité : on est sur un répertoire qui s’étend sur deux octaves et demie. C’est une vraie fierté, mais c’est aussi le résultat de beaucoup de travail et de nombreuses années de maîtrise et de préparation.
Nous avons brièvement évoqué la situation actuelle. Quel regard portez-vous sur la crise sanitaire ?
C’est très complexe de porter un jugement. Le premier sentiment qui me vient, ce qui m’inquiète le plus, ce n’est pas tellement pour des gens comme moi qui sont quand même sur le terrain depuis pas mal d’années, c’est pour les plus fragiles artistiquement. A savoir ceux qui sont en début de carrière, ceux qui sont encore en préparation, ou simplement qui vont souffrir injustement d’ostracisme car il y aura évidemment beaucoup de gens qui vont rester sur le carreau, qu’il s’agisse de techniciens ou bien d’artistes qui sont loin d’avoir mérité cela. La première chose qui me frappe, c’est donc ce sentiment d’injustice. La deuxième, c’est qu’on serait volontiers enclin à critiquer nos gouvernement, mais en réalité je pense que la quasi-totalité des gouvernements ont à souffrir de politiques culturelles qui sont sensiblement les mêmes : les décisions de fermeture des lieux culturels sont quasiment unanimes dans beaucoup de pays européens et autres. A part quelques exceptions comme l’Espagne, mais faut-il juger pour autant ? Et puis, je ne crois pas une seconde à ces théories du complots qu’on peut entendre, y compris vis-à-vis de la médecine. Je les trouve absurdes et stériles. Après, c’est comme dans mon album : il y a des bons, des gentils, des diables et des saints. C’est aussi ça la vie, et vous verrez que les gens les plus méchants sont une minorité, seulement, paradoxalement, ce sont ceux qu’on voit le plus. C’est comme à l’opéra : les méchants, on les voit toujours plus que les gentils, vous avez remarqué ?
Quels sont vos projets ?
Outre L’Africaine à Marseille, il s’avère que là où je suis le plus produit, ce sont les pays de l’Est. A l’heure actuelle, tous ces pays-là ont fermé leurs portes (Bulgarie, Hongrie, Pologne, Roumanie,…) au bénéfice de leurs artistes à protéger, et je le comprends bien. Comme tous les artistes, mes plannings sont tombés à zéro, et donc de ce fait, pour l’instant, j’attends au fur et à mesure des choses qui vont se reconduire. Toutefois, sans pouvoir être plus précis, une grosse production m’a demandé pour une tournée très importante autour du Requiem de Mozart, qui va commencer en Russie et continuer en France. Je ne peux pas encore dire ce que c’est plus précisément, mais ce sera un gros projet, qui commencera au mois de septembre. Après, rendez-vous à L’Africaine !
Propos recueillis par Elodie Martinez le 5 février 2021
19 février 2021 | Imprimer
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