Nous aurions dû entendre pour la première fois la soprano franco-américaine Erminie Blondel dans le rôle d'Agnès dans La Nonne sanglante de Gounod à l'Opéra de Saint-Etienne le mois dernier. Mais si cette production est tout simplement passée à la trappe, ce n'est heureusement pas le cas avec La Veuve joyeuse mise à l'affiche de l'Opéra Grand Avignon pour les fêtes de fin d'année, dont la première a bel et bien pu avoir lieu (dans le cadre d'une captation vidéographique qui sera diffusée pour la soirée de la Saint-Sylvestre), spectacle auquel nous avons par ailleurs eu la chance d'asssister. L'occasion était trop belle d'aller également à la rencontre de cette jeune interprète pleine de promesses...
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Opera-Online : Vous êtes franco-américaine, mais avez intégré le Conservatoire de Genève… Pouvez-vous nous décrire votre parcours et comment la musique et le chant s’y sont intégrés ?
Erminie Blondel : Depuis toute petite, la musique et le chant font partie de ma vie. Dans ma famille américaine, tout le monde est musicien et aucun repas ne se termine sans qu'on chante, qu'on sorte le banjo, les violons, ou l'accordéon. Pourquoi Genève ? Mes parents faisaient partie d'organisations internationales, mon père au CERN et ma mère au WWF, j'ai donc grandi à Genève dans un environnement très riche en nationalités diverses, ouvert au monde et à l'altérité, où tous les enfants parlaient au moins deux ou trois langues. A l'âge de cinq ans, mes parents m'ont emmenée voir La Flûte enchantée : je suis littéralement tombée sous le charme et décidé ce jour-là que je serai chanteuse d'opéra ! J'ai également eu la chance de pratiquer un instrument, l'alto, dès l'âge de six ans, toujours à Genève.
Comment se passe votre entraînement quotidien, deux ou trois heures de chant par jour ? Vous avez un piano ou un pianiste ?
Effectivement, il faut compter deux ou trois heures de vocalises et de travail vocal par jour, auquel j'ajoute des exercices corporels pour travailler en souplesse, développer les richesses harmoniques dans l'ensemble du corps, et surtout pouvoir être mobile et endurante sur scène. Tout ça doit ensuite s'inscrire dans ma vie de maman de deux jeunes enfants, et c'est un bel exercice d'équilibrisme de jongler entre les deux ! En temps normal je travaille avec la coach Irène Kudela mais malheureusement nous n'avons pas pu nous voir depuis le début de la pandémie. J'ai hâte de reprendre ce travail musical, aller fouiller jusqu'au moindre détail, puis retrouver une vision globale d'un rôle, c'est indispensable et passionnant.
On devait vous entendre le mois dernier dans La Nonne sanglante de Gounod à l’Opéra de Saint-Etienne (rôle d’Agnès). Comment vivez-vous la déception et la frustration qu’imposent la crise sanitaire et les mesures gouvernementales qui y sont liées ?
Cette annulation a en effet été très frustrante. Nous étions tous si heureux de pouvoir travailler, de pouvoir répéter ! Une superbe distribution et une production magnifique signée Julien Ostini que nous avions vraiment hâte de défendre sur la scène de l'Opéra de Saint-Etienne. Nous sommes arrivés à la générale piano et là, le choc : le soir même, le Président de la République annonçait le reconfinement. Après la première vague du printemps où tout le pays était bouclé, nous sommes très nombreux à avoir vécu les mesures gouvernementales de l'automne comme une injustice et dans une incompréhension totale. Il nous est évidemment difficile d'être à la fois juge et partie mais nous n'arrivons tout simplement pas à comprendre en quoi le virus se propagerait plus dans un théâtre en demi-jauge qui impose la distanciation physique et le port du masque, que dans un centre commercial ou dans le métro aux heures de pointe. En France, nous avons énormément de chance que le gouvernement ait accordé la fameuse année blanche aux artistes et techniciens intermittents du spectacle – après une bataille de plusieurs semaines... –, et nous espérons que les théâtres subventionnés résisteront, mais qu'adviendra-t-il de tous les producteurs privés et des petites compagnies ? C'est tout un écosystème, fondamental dans l'économie française, et indispensable aux liens sociaux qui font le ciment de notre société, qui est en péril ! A titre personnel, j'ai la chance d'être extrêmement bien entourée, notamment par mon agent Sophie Duffaut qui est un soutien sans faille. Je me prépare à l'éventualité d'autres moments difficiles, tout en gardant le regard loin devant. Il y aura un après.
Vous imaginez-vous vous essayer à un autre métier ou si vous n’étiez pas chanteuse, vers quelle profession vous tourneriez-vous ?
Cette question est à la fois intéressante et inquiétante. Vous êtes le deuxième journaliste en vingt-quatre heures à me la poser, presque comme si l'hécatombe parmi les artistes suite à la pandémie était une fatalité. Je refuse cette fatalité. Evidemment, le champ des possibles est immense et je serais capable de rebondir s'il le fallait, mais je ne me suis jamais posé cette question. Ceux qui me connaissent un peu savent que cela fait bien trop longtemps que je me bats pour qu'un virus vienne à bout de ma détermination !
Vous avez chanté hier le rôle de Missia Palmieri dans La Veuve joyeuse de Franz Lehar à l’Opéra Confluence d’Avignon. Pouvez-vous nous parler de ce rôle, comment il s’est intégré dans la production de Fanny Gioria, et comment s’est passée pour vous la captation vidéo du spectacle dans une salle peuplée seulement de quelques journalistes ?
Quand l'Opéra Grand Avignon m'a proposé le rôle-titre de La Veuve joyeuse, j'ai été ravie car la musique est somptueuse, avec des couleurs orchestrales foisonnantes et sensuelles, et une écriture très vocale qui me correspondait tout à fait. Quel bonheur de pouvoir chanter l'air de Vilya ou l'Heure Exquise qui permettent de déployer la ligne et le legato et de s'abandonner sur des aigus filés ! En revanche, c'était ma toute première expérience de l'opérette, un genre qui mérite à être revalorisé car il demande en réalité une palette de compétences très large. Il faut être chanteur bien sûr, mais aussi comédien et danseur. Lorsque nous avons commencé à travailler avec Fanny Gioria, j'ai tout de suite été rassurée par sa bienveillance. La mise en abîme qu'elle a souhaité dans sa mise en scène fonctionne parfaitement, crée du lien et donne un relief nouveau aux personnages. Nous avons travaillé ensemble pour faire émerger les trois différentes facettes du rôle : Missia le personnage d'opérette, Hanna Glawari la chanteuse diva (NDLR : le nom de la Veuve dans la version originale allemande de l'ouvrage), et la jeune femme amoureuse, moderne, assumée mais tendre, qui se cache derrière ces façades. La captation vidéo en une seule prise hier, dans une salle quasi vide à l'exception de vous-même et de quelques collègues a été un moment totalement inédit. Nous avons découvert pour la première fois le visage des membres du chœur pendant cette captation, car ils avaient toujours répété masqués, y compris à la générale. Sans parler des situations cocasses qui se heurtent à un silence glaçant, l'absence d'applaudissements... ll fallait vraiment avoir une envie viscérale de jouer pour y prendre du plaisir ! Mais comme me l'a dit le directeur Frédéric Roels, nous avions besoin d'aller au bout de cette production, car sans ça, à quoi servirions-nous ? Un immense merci donc à l'Opéra Grand Avignon qui nous a permis, grâce à un protocole sanitaire très strict, de mener ce projet à bien.
Chose peu banale, votre premier disque est consacré à des Mélodies de compositeurs victimes du nazisme (Laks, Saguer, Ullmann, Kowalski et Ilse Weber). Comment est né ce projet ?
Je collabore avec le Forum Voix Etouffées sur la redécouverte de ces compositeurs victimes du nazisme depuis plusieurs années. Nous avons joué ce programme dans toute l'Europe, de la Commission Européenne de Bruxelles à Vienne, en passant par Vilnius, Strasbourg, Berlin, Skopje... souvent dans des lieux de mémoire où l'émotion était très prégnante. Le directeur artistique Amaury Duclosel – auteur des Voix étouffées du Troisième Reich chez Actes Sud – avait proposé que nous enregistrions ce programme début 2017 mais la pianiste, Carole Villiaumey, est décédée dans des circonstances tragiques peu après. Le projet a donc été longtemps abandonné, et ce n'est que suite à la belle rencontre artistique avec Thomas Tacquet-Fabre que nous l'avons finalement réalisé. Le programme est d'une très grande richesse et diversité musicale, et comporte des œuvres en allemand, yiddish, ladino, et tchèque, inspirées des traditions populaires par des compositeurs souvent athées mais ayant été contraints à renouer avec leur judaïté par leur internement dans les camps.
Y a-t-il une trajectoire que vous anticipez pour les années à venir ? Quels sont les rôles vers lesquels vous voudriez aller, disons d’ici cinq ou dix ans ?
Il y a tellement de rôles magnifiques que j'aimerais chanter ! Ou rechanter, comme Manon par exemple : un rôle passionnant aussi bien vocalement que scéniquement, et un chef d'œuvre absolu de l'opéra français. Je serais également heureuse d'explorer le répertoire belcantiste, ainsi que Mimi qui est un de mes prochains objectifs.
Vos prochaines dates ?
Certains projets ont été repoussés aux saisons à venir, nous aurons l'occasion d'en reparler bientôt... mais mon prochain horizon, qui me remplit de joie, sera mes retrouvailles avec mon rôle fétiche, Violetta de La Traviata à Massy les 7 et 9 mai 2021, puis à Reims les 23 et 25 mai, et enfin à Vichy en août.
Propos recueillis le 28 décembre 2020 par Emmanuel Andrieu
30 décembre 2020 | Imprimer
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