Rencontre avec le baryton Philippe-Nicolas Martin

Xl_philippe_nicolas_martin © DR

Voilà six ans que nous suivons de près la carrière du jeune baryton français Philippe-Nicolas Martin, que nous avions découvert dans une production des Caprices de Marianne à l’Opéra de Marseille, ville où il a fait ses premières armes d’abord comme pianiste, puis comme chanteur lyrique, en intégrant notamment le fameux CNIPAL (malheureusement dissous en 2016). Nous l’avons notamment souvent applaudi à l’Opéra Grand Avignon dans des productions aussi diverses que La bohème en 2019, L’Elisir d’amore de Donizetti la même année ou encore La Veuve joyeuse de Lehar peu avant la crise sanitaire. A l’occasion de sa participation à la rare et superbe partition qu’est Djamileh de Bizet à l'Opéra de Tours, nous nous sommes rapprochés de lui pour lui poser quelques questions...

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Opera-Online : D’où vous vient votre goût pour la musique et le chant ?

Philippe-Nicolas Martin : J'ai abordé la musique classique tout simplement par les cours de musique au collège dès la 6ème. J'ai acheté un premier CD, puis un second, etc. Puis tout mon argent de poche est passé là-dedans... C'est la musique instrumentale qui m'a d’abord plu. Je n'avais pas encore découvert la musique vocale. J'ai ensuite commencé la clarinette, mais je passais une partie de mes cours sur le piano qu'il y avait dans la salle du professeur. A la fin de l'année, il a dit à ma mère qu'il fallait plutôt que je m’oriente vers le piano.

J'ai tout de suite plongé dans l'apprentissage du piano. C'était un vrai refuge et j'achetais plein de partitions, y compris des partitions que je n'étais pas capable d'interpréter. Je suis très rapidement devenu un fan de concertos pour piano et autres instruments. Le format soliste me plaisait déjà. Je voulais toujours découvrir davantage d'œuvres, de compositeurs. C'est ainsi que je me suis enrichi de nombreux ouvrages, dont beaucoup de concertos. Beaucoup de musique russe : Chostakovitch, Rimski-Korsakov, Prokofiev, Medtner... et Rachmaninov, sur lequel j'ai écrit un mémoire de Maîtrise de 450 pages pendant mes études.

Je n'ai eu l'occasion d'aborder la musique vocale qu'à partir de l'université, pendant les trois années de licence durant lesquelles il fallait pratiquer le chant choral. J'ai eu l'occasion de valider ces unités de valeur dans le chœur du CRR de Marseille, sous la baguette de Roland Hayrabedian qui dirigeait également l'ensemble de musique contemporaine Musicatreize ainsi que le Chœur Contemporain - un choeur semi-professionnel - qu'il m'a invité à rejoindre en troisième année de licence et en maîtrise, indépendamment de mes études universitaires. J'ai abordé ainsi beaucoup d'œuvres contemporaines de Maurice Ohana, Edith Canat de Chizy, Kaija Saariaho, Félix Ibarrondo, etc.

En parallèle, j'avais repris mes études de formation musicale au CRR de Marseille et en classe supérieure, j'avais notamment une heure de pratique orale avec ma professeure pendant laquelle je devais chanter des mélodies de Berg, Mahler, Poulenc, Messiaen... Cette professeure et Roland Hayrabedian m'ont encouragé à prendre des cours de chant lyrique car ils trouvaient ma voix intéressante et ils pensaient que ça valait la peine de la développer. Mais personnellement, je n'étais pas intéressé par le chant lyrique, mais plutôt le piano. Jusqu'au jour où, alors que je préparais le CAPES pour devenir enseignant, j'ai présenté l'entrée en classe de chant lyrique au conservatoire d'Aix-en-Provence, là où j'étudiais, avec un ami pianiste. C'est parti d'un simple pari entre amis, sans rien de sérieux. Et voilà qu'aujourd'hui c'est devenu mon métier.

Depuis, j'ai bien entendu développé ma culture opératique et pris de plus en plus goût au chant !

Comme un certain nombre de chanteurs de votre génération, vous êtes passé par le CNIPAL de Marseille. Que vous a apporté cette formation ?

Le CNIPAL a été une période très intense, comme pour de nombreux chanteurs qui sont passés par ce centre. C'était une belle opportunité à plusieurs points de vue. Le travail avec plusieurs chefs de chant, chaque jour pendant un an et demi, m'a permis d'aborder les partitions vocales différemment et d'apprendre davantage les styles du répertoire. On a pu être formés à une certaine rigueur qu'impose ce métier, une prise de conscience de certains aspects du milieu professionnel, j'ai eu la possibilité de me produire en concert et en récital tout au long de la formation, de préparer un répertoire d'audition et d'avoir l'occasion non-négligeable de pouvoir être entendu par un grand nombre de décisionnaires artistiques de maisons d'opéra et de festivals, sans oublier des agents artistiques. Grâce au CNIPAL, j'ai pu obtenir plusieurs engagements en début de carrière !

Vous avez été fortement touché par la crise sanitaire et tous vos contrats entre mai 20 et mai 21 - on a compté au moins cinq productions - ont été annulés. Comment avez-vous vécu cette période ?

J'ai malheureusement eu bien plus que cinq productions annulées en France et aux USA. Cette période a été pour tout le monde un questionnement perpétuel face à l'inconnu. Il est vrai que voir des contrats s'annuler mois après mois était un vrai crève-cœur, surtout quand on sait à quel point il est difficile d'obtenir des engagements. Mais dès la deuxième semaine de confinement, je me suis remis à travailler tous les jours ma technique, à apprendre mes rôles à venir (sans savoir bien sûr qu'ils allaient être annulés). Puis, dès que cela a été possible, au mois de juin 2020, j'ai pu retourner travailler très régulièrement chez mon professeur. J'ai eu le temps également d'apprendre des airs et des rôles pour le plaisir, et qui m'ont fait progresser. D'un point de vue financier, les intermittents ont eu une réelle chance d'avoir le soutien de l'Etat avec l'année blanche, qui touchera à sa fin le 31 décembre 2021. Et l’on mesure sa chance quand on voit les collègues dans nombre de pays étrangers qui n'ont reçu aucune aide…

Vous venez de chanter dans Djamileh de Bizet (rôle de Splendiano) à l’Opéra de Tours. Dans quel état d’esprit sortez-vous de ces représentations et quel regard portez-vous sur la mise en scène de ce spectacle ?

La découverte de cette œuvre a été un enchantement. Cette partition n'est étonnamment pas jouée comme elle le devrait. Les rôles de Djamileh et Haroun font appel à toute l'invention mélodique sublime propre au compositeur. Le rôle de Splendiano n'est pas, quant à lui, un rôle si bouffe qu'on pourrait le penser. L'écriture reste vocale, lyrique, et assez aiguë. Le rôle est écrit entièrement en clef de Sol !

Quant au spectacle, la reprise que j'attendais impatiemment depuis tant de mois s'est faite avec une équipe très sympathique. C'était un réel bonheur ! Le travail avec Géraldine Martineau était vraiment enrichissant et intéressant. De même avec Laurent Campellone, grand spécialiste du répertoire français, et toujours à l'écoute de la mise en scène, soucieux de servir le drame et le texte.

Que pouvez-vous nous dire de vos prochains engagements et quels rôles aimeriez-vous aborder à l’avenir ?

C'est avec une très grande joie que je vais retrouver le rôle de Mercutio en novembre/décembre, à l'Opéra Comique, sous la baguette de Laurent Campellone et la direction scénique d'Eric Ruf. C'est le rôle avec lequel je suis rentré en confinement, lors d’une production à Bordeaux (nous y étions), et avec lequel je reprends quasiment la saison. Je suis très heureux de retravailler cette maison où l'équipe est très agréable. Je suis également très content de retrouver pour la quatrième fois le rôle de Belcore pour une version concert de L'Elixir d'amour au TCE à la mi-janvier 2022. C'est un rôle et un opéra que j'aime particulièrement et je suis ravi de le reprendre dans cette grande maison. Ensuite, la production de L'Enfant et les sortilèges de l'Opéra de Lyon, dont j'avais déjà fait la reprise à Limoges, sera donnée à l'Opéra de Lille en février 2022. C'est une très belle production, très poétique que je suis enchanté de reprendre dans ma ville d'adoption.

Puis ce sera la recréation des Abencérages de Cherubini, au MUPA de Budapest, avec un concert et un enregistrement : il s'agit d'une production du Palazetto Bru Zane. Enfin, je terminerai la saison avec la reprise de la production de l'Opéra Comique de Fortunio de Messager, à l'Opéra national de Lorraine et la reprise de Djamileh à Tourcoing, qui sera suivie de l'enregistrement de l'ouvrage sous la direction de François-Xavier Roth. En somme, ce sera une saison sous le signe de la Comédie Française, puisque trois des metteurs en scène en sont sociétaires : Géraldine Martineau, Eric Ruf et Denis Podalydès.

Pour la suite, j'aimerais aborder plusieurs rôles qui me tiennent à cœur et que je n'ai pas encore eu l'occasion de chanter sur scène. La liste est longue, mais ceux qui me viennent à l'esprit sont : Valentin, Zurga, Hamlet, Enrico dans Lucia di Lammermoor, Riccardo dans Les Puritains, Posa, Ford, Fritz dans La Ville Morte, le Père dans Hänsel & Gretel, Wolfram et... le rôle-titre d’Eugène Onéguine !  Et il y a mes fantasmes wagnériens... mais ce n'est pas pour tout de suite ! (rires)

Propos recueillis en octobre 2021 par Emmanuel Andrieu

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