Dans l'entretien qu’il nous accordait récemment, Laurent Campellone évoquait sa mission visant à défendre le répertoire français et plus encore ses pépites négligées. À l'Opéra de Tours, il vient ainsi de ressusciter deux petits bijoux de l’Opéra-Comique : La Princesse jaune de Saint-Saëns et Djamileh de Bizet, qui ont en commun de solliciter un orientalisme très à la mode dans les années 1870, d’avoir le même librettiste (Louis Gallet), mais aussi d’avoir été créés à trois semaines d’intervalle dans la même Salle Favart en 1872.
Avouons que nous avons préféré le second ouvrage au premier, tant pour sa musique que ses parties chantées, mais aussi pour son histoire. Le livret de Louis Gallet s’inspire (très librement) du Namouna de Musset. L’intrigue en est simple : l’esclave Djamileh voue à son seigneur et maître, Haroun, un amour d’autant plus fort qu’il est limité dans le temps. Haroun, en effet, désabusé et amer, change de favorite chaque mois : le temps est ainsi venu pour Djamileh de s’effacer. Habilement, elle saura faire renaître en lui un sentiment réel et demeurer à ses côtés, même si, au terme de l’ouvrage, on perçoit que rien n’est vraiment acquis et qu’elle devra se battre et rester vigilante. L’œuvre possède bien des charmes qui rendent incompréhensible sa désaffection des scènes lyriques : un charme d’abord présent avec ce délicieux parfum d’orientalisme qui, dès l’ouverture, nous transporte dans quelque Egypte de légende. A la veille de Carmen (1875), l’orchestration savante et l’élégance des thèmes musicaux révèlent la maturité et plus encore, l’originalité du compositeur. L’ouvrage de Saint-Saëns narre, lui, les rêves d’amour du poète Kornélis pour une princesse japonaise, fantasmée à travers une lithographie, tandis que sa cousine Léna, bien réelle, est éprise de lui. Au sortir de ce songe éveillé, il se rend compte que c’est bien Léna seule qu’il aime : une trame qui relie donc fortement les deux histoires.
La mise en scène de Géraldine Martineau, Sociétaire de la Comédie-Française, s’avère très discrète et se contente de moderniser les deux sujets au travers d’une scénographie plutôt dépouillée : un appartement avec un grand bureau pour Kornélis et un coin atelier de peinture pour Léna dans La Princesse jaune et une grande pièce délimitée par de hauts murs en moucharabieh dans Djamileh. L’absence de rebondissement et de véritable action dans l’un et l’autre des ouvrages n’aide certes pas, mais la direction d’acteurs est en revanche assez travaillée pour pallier en partie le manque d’action dramatique, même si la femme de théâtre se garde bien de porter un regard critique sur la condition de servitude réservée à Djamileh.
Servant de liant et de pont entre les deux ouvrages, le ténor malgache Sahy Ratia (qui nous a dernièrement accordé un entretien) brille tant dans le personnage de Kornélis que celui d’Haroun. On admire la beauté du timbre, la souplesse de la ligne et les aigus élégiaques, sachant qu’il se révèle également formidable acteur, aussi fiévreux et passionné en Kornélis que distant et froid en Haroun, avant que son cœur ne se réveille à l’amour. Côté féminin, Jenny Daviet fait valoir une voix charnue en Léna, qui sert particulièrement bien ses accès de jalousie, tandis que celle d’Aude Extrémo, bien plus volumineuse, sonore et grave encore, nous semble outrepasser les exigences vocales du personnage de Djamileh, et détonne en tout cas dans les duos avec ses partenaires masculins en les déséquilibrant totalement. Satifecit total, en revanche, pour le Splendiano de Philippe-Nicolas Martin pour la clarté de l’élocution, la rondeur du registre grave et ses évidentes qualités de comédien.
Comme l’on pouvait s’y attendre, Laurent Campellone défend les deux partitions avec autant de conviction que d’enthousiasme, à la tête d’un Orchestre Symphonique Région Centre Val de Loire/Tours particulièrement chatoyant, remarquable tant par la variété des coloris que par l’opalescence de la pâte sonore.
La Princesse jaune de Saint-Saëns et Djamileh de Bizet à l’Opéra de Tours (octobre 2021)
Crédit photographique © Marie Pétry
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