Laurent Campellone : « Michel Plasson sera le parrain de notre saison 2022 ! »

Xl_laurent_campellone © DR

Nous avions déjà interviewé Laurent Campellone, à son arrivée à la tête de l’Opéra de Tours, il y a neuf mois. En milieu de parcours (la saison tourangelle court de janvier à décembre), nous avons profité du grand Gala lyrique de réouverture donné en lieu et place de La Caravane du Caire (nous y reviendrons) pour l’interroger sur cette période et sur sa prochaine saison dont il nous dévoile, en exclusivité, les grandes lignes (avec pas moins de cinq ouvrages lyriques français) - aux côtés du nom du (prestigieux) parrain de la saison 2022… l'immense Michel Plasson !

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Opera-Online : Depuis septembre 2020, vous êtes le nouveau Directeur Général de l’Opéra de Tours, et on en avait parlé alors, vous aviez trouvé cette maison dans une situation très délicate. Quelle est sa situation neuf mois plus tard ? Qu’avez-vous entrepris ?

Laurent Campellone : L’Opéra de Tours était dans une situation très particulière et très périlleuse, due aux tensions et ruptures qui s’étaient instaurées entre la Direction précédente et une partie des équipes. Jusque dans la Presse nationale, il avait été fait état de conflits à peine croyables et d’affrontements violents qui avaient, à la longue, rompu la confiance réciproque nécessaire au travail. À mon arrivée, plusieurs cadres importants de l’administration étaient en absents depuis des mois, plus personne ne prenait vraiment de décision éclairée en terme budgétaire, aucune gestion cohérente des spectacles annulés à cause de la crise sanitaire n’était faite, le dialogue social était totalement rompu, les carnets de commande des ateliers ne comptaient plus que quelques semaines de travail planifié et plus aucune programmation n’était fixée à compter du 1er janvier 2021. Les équipes, épuisées par de longs mois de crise, doutaient même de l’avenir à moyen terme de cette maison. Il y avait trois urgences absolues pour sortir de cette situation : rétablir immédiatement le dialogue social, bâtir en seulement cinq semaines une programmation de grande qualité pour l’année 2021 et remplir au plus vite les carnets de commande des ateliers.

J’ai donc immédiatement contacté les syndicats : le tout premier rendez-vous pris dans mon agenda, ce fut avec eux. Sans un dialogue social respectueux et constructif, aucun projet artistique n’est viable. En accord avec les violons solos et les délégués de l’orchestre que j’ai très vite rencontrés, j’ai créé une Commission d’orchestre réunissant tous les chefs de pupitre et les personnes de l’administration en charge du fonctionnement de l’orchestre. Cette instance fondamentale de dialogue et de concertation n’existait pas. Lors de la première Commission d’orchestre, quelques jours plus tard, nous avons ainsi pu mettre à plat les principaux points de discorde qui existaient avec l’ancienne direction et immédiatement commencé à imaginer des solutions, au cas par cas. En parallèle de cela, j’ai établi avec le Directeur technique de la maison, Vincent Muster, un calendrier prévisionnel de saison 2021 qui fixait non seulement les dates des représentations lyriques, des concerts symphoniques, des récitals, mais qui anticipait également tous les plannings des répétitions et toutes les ressources techniques nécessaires.

Comment aviez-vous pu mettre sur pied une saison lyrique et symphonique en seulement six semaines ?

En rappelant les nombreux artistes qui m’avaient manifesté leur joie, quelques jours auparavant, lorsqu’ils avaient appris ma nomination : tous ont répondu présent pour venir participer à ma première saison. Ces immenses artistes, avec qui j’ai le bonheur de collaborer depuis des années qui, sans hésiter une seule seconde, chamboulent leurs calendriers pour venir me prêter main forte, cela a été un moment particulièrement bouleversant ! J’ai aussi appelé tous les directeurs d’opéra qui me connaissent (pour certains depuis plus de vingt ans !) en leur expliquant la situation à Tours. Une grande solidarité s’est révélée à ce moment-là. En dix jours seulement, les titres étaient décidés, les co-productions lancées et les distributions faites : Florian Sempey, Jodie DevosVéronique Gens, Laurent Naouri, Jean-Claude Casadesus, et tant d’autres ont remué ciel et terre pour être à mes côtés tout de suite. Et c’est grâce à la formidable générosité et intelligence du Directeur de l’Opéra Royal de Versailles, Laurent Brunner et de Frédéric Roels, le nouveau directeur de l’Opéra Grand Avignon, qui m’ont tous deux tendu la main pour construire décors et costumes de productions à venir chez eux, que j’ai pu aussi, en quelques jours seulement, remplir les carnets de commande de nos ateliers.
Six semaines après mon arrivée, tous les voyants rouges des grands périls étaient éteints.

Cette fonction de Directeur Général d’Opéra a certainement bouleversé votre calendrier de chef d’orchestre. Est-ce que ce fut une décision difficile à prendre ?

Aucunement : annuler des contrats pour les années qui viennent afin de pouvoir me mettre totalement au service d’une institution allait de soi. On n’endosse pas ce niveau de responsabilité sans en prendre la pleine mesure. On n’est pas Directeur Général d’une maison d’opéra à temps partiel. Ce serait irresponsable et, de toute façon, voué d’avance à l’échec.

Votre titre est « Directeur général » de l’Opéra de Tours. Pourquoi ne pas en être également le « Directeur musical », comme ce fut le cas de votre prédécesseur ?

D’abord, et c’est très personnel, car ce mélange des genres ne m’aurait pas convenu. J’aime les choses clairement définies, c’est mon côté kantien. Et j’aime la séparation des pouvoirs, c’est mon côté républicain. J’ai donc refusé de cumuler ces deux fonctions. Être « le » chef attitré de façon systématique, qui dirige chaque saison une bonne partie des concerts et représentations, ce n’est tout simplement pas concevable pour moi en étant Directeur général. D’ailleurs, c’est le bon sens même : on ne peut pas mener sereinement le dialogue social en ayant ces deux casquettes. En cas de désaccord sur un sujet sensible, certains musiciens de l’orchestre pourraient éventuellement être tentés de faire pression sur le chef d’orchestre, en lui rendant la vie impossible en répétition, juste pour faire céder le Directeur. Personne ne veut vivre cela.

Quel genre de directeur d’opéra êtes-vous ?

Exactement comme je suis dans la vie : respectueux, bienveillant et valorisant les compétences de chacun. J’ai toujours misé sur l’intelligence collective. Je suis persuadé d’une chose : plus les personnes avec lesquelles je travaille ont d’informations précises sur les dossiers en cours (réalités budgétaires, questions RH, interactions des décisions, etc.), plus on multiplie les occasions de consultation et de négociation et plus, au final, les choses se construisent sereinement. Neuf fois sur dix, les points de blocage s’avèrent n’être que des problèmes de différences de niveaux d’information. En tant que Directeur je veille donc à ce que ses mes interlocuteurs aient la vision la plus globale et complète possible des dynamiques de l’établissement. Et puis, vous savez, chaque jour, il faut penser au futur de l’établissement. C’est ce qui motive chacun de mes choix. Et les équipes le savent bien. Nous œuvrons ainsi tous dans le même sens, pour garantir le futur de l’institution que nous servons.

Vous annoncerez votre saison 2022 en octobre prochain. Pouvez-vous tout de même, en avant-première pour nos lecteurs, nous en donner les grandes lignes ?

Avec joie ! La musique française y sera de nouveau reine, avec cinq ouvrages lyriques français, dont deux grands titres de Massenet, compositeur dont nous commémorerons par ailleurs les cent-dix ans de la disparition à travers une vaste exposition. Parmi ces cinq titres français, je peux déjà vous annoncer une rareté absolue, en version concert : l’incroyable et héroïque Frédégonde de Camille Saint-Saëns. C’est une partition insensée, colossale, une grande fresque médiévale sur laquelle pas moins de trois compositeurs différents ont travaillé successivement : en plus de Saint-Saëns donc, Dukas et Guiraud. Avec une distribution de voix en bronze (Kate Aldrich, Tassis Christoyannis…), voilà un événement à ne surtout pas manquer ! Nous aurons également un « Festival de musique française » qui commencera à la mi-mai 2022 et dont le thème sera « Qu’est-ce que le style français ? ». Concerts, colloques, masterclass, pendant quelques six semaines, ce sera un vrai festival mené tambour battant autour d’un répertoire riche et varié et avec nos plus grands artistes francophones.

En 2021, Karine Deshayes était votre « Marraine de saison ». Sous les auspices de quel(le) artiste placerez-vous la saison 2022 ?

Ce sera Michel Plasson qui parrainera notre saison 2022, et qui me fera l’immense amitié de venir diriger un opéra en janvier 2022 (NDLR : Thaïs de Jules Massenet). Vous n’imaginez pas ce que cela signifie pour notre public, pour notre orchestre et pour notre chœur ! C’est en écoutant les enregistrements de Mireille et de Werther dirigés par Michel Plasson chez EMI qu’est née ma passion pour l’opéra français. C’est la grande exigence de son travail, la théâtralité exemplaire de sa direction, l’élégance de son style qui m’ont décidé à consacrer ma vie à l’opéra français. Que Michel Plasson soutienne, et de cette façon-là, mon travail de Directeur aujourd’hui est une reconnaissance qui me touche bien au-delà des mots.

Propos recueillis à Tours le 8 juin 2021 par Emmanuel Andrieu

Crédit photo (c) Marie Pétry

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