Dans les coulisses de l’Opéra Bastille, Karine Deshayes, dans sa loge, face à son miroir pendant que la coiffeuse lui retire sa perruque…
Vous venez de sortir de scène pour la générale des Capulet et les Montaigu, comment vous sentez-vous ?
Karine Deshayes : Il y a toujours de l’émotion en sortant de scène surtout après une œuvre comme Les Capulet et les Montaigu. Avec Juliette, on a pleuré toutes les deux, on s’est vraiment laissé prendre au jeu. C'est-à-dire que dès qu’on est vraiment dans le personnage et qu’on entre à fond dans le texte – parce que les paroles sont assez fortes surtout durant les vingt dernières minutes de l’ouvrage – on peut se faire prendre par l’émotion. Il faut alors contrôler cette émotion pour que la voix réponde malgré les larmes…
Mais arrivez-vous à entrer complètement dans un rôle en oubliant la technique et le fait qu’il faut quand même « bien chanter » ?
On n’oublie jamais vraiment la technique, parce que la technique doit devenir un réflexe. Effectivement il y a des passages dans l’opéra où l’on est vraiment concentré sur la technique ou sur le jeu de scène : je pense particulièrement aux combats. Là, on est vraiment concentré sur les mouvements qu’on a préparés en répétition - parce que si je dois l’attaquer à la tête et que je me trompe, que je l’attaque aux jambes, le partenaire ne fait pas la même parade, et cela peut être un peu dangereux : alors il faut être plus concentré sur le jeu. Mais si c’est une prise de rôle, on sera peut-être plus concentré sur le texte. Ou s’il y a des passages un peu délicats musicalement, on doit bien regarder le chef. En fait, c’est un mélange de tout.
D’ailleurs dans cet opéra de Bellini pour ce qui est de la technique, vous êtes servie : vous passez du très grave au très aigu ! N’est-ce pas trop éprouvant pour votre voix ?
On espère que ça n’est pas trop éprouvant pour ma voix ! Je peux vous parler donc je me dis ouf ! (rires) Mais comme vous le dites, c’est un rôle qui sollicite toute la tessiture. Ça descend au sol grave et ça monte au si aigu. On peut d’ailleurs ajouter un contre-ut dans le duo avec Tybalt, parce que c’est le style – et les gens l’attendent. Mais effectivement, comme les rôles rossiniens, c’est l’époque du bel canto romantique : les compositeurs utilisaient alors tout l’ambitus vocal des chanteurs, donc l’extrême grave et l’extrême aigu. Ici dans les duos avec Juliette les voix s’intervertissent : parfois Roméo est une tierce au-dessus de Juliette, les voix se confondent, c’est très intéressant.
Et cette voix aiguë de Roméo qui couvre les chœurs d’hommes c’est très impressionnant…
Là il faut remercier le compositeur (rires) parce que, quand il n’y a qu’une voix féminine, c’est le timbre qui va ressortir forcément. Dans cet ouvrage, les deux seuls rôles féminins sont Roméo et Juliette pour bien montrer que ce sont des adolescents d’une quinzaine d’années. Et à côté de ça, il y a le monde des adultes, le monde des hommes, des soldats. C’était prévu pour marquer la différence d’âge des rôles, mais ça met aussi en valeur ces deux rôles, notamment dans les ensembles.
En tant que mezzo, vous avez l’habitude des rôles travestis : avez-vous eu une préparation spéciale pour Roméo ? Parce que c’est un homme mais un jeune garçon quand même…
En effet, comme c’est un adolescent le jeu va plus s’approcher d’un Chérubin qui court très vite, qui est très vif. Et il aura donc des attitudes d’adolescent. Avec le metteur en scène, cela a été tout le but du travail : qu’on soit le plus crédible possible.
Vous avez la partition devant vous : vous la consultez toujours avant une générale ou c’est juste pour vous rassurer ?
Toujours ! J’ai une mémoire visuelle et j’ai besoin de me remémorer soit des mots, soit des gestes de mise en scène, soit des respirations parce que selon les tempi, selon les chefs, on change les respirations et les phrasés, donc j’aime bien pouvoir réviser. Le jour de la générale, mais même après, durant les jours de spectacle.
Qu’est-ce qui vous plait dans la lecture que Robert Carsen fait de cette œuvre ?
J’aime beaucoup les décors, très épurés, et on sent toujours la « patte » de Robert Carsen, qui joue beaucoup sur l’ombre et la lumière. J’aime aussi son respect du style, des costumes. Il est évident que, pour jouer Roméo et Juliette, on se sent plus dans le rôle avec un costume d’époque, les épées et l’escrime. Je dois aussi remercier Robert Carsen pour ce décor parce qu’il a posé de grands panneaux qui renvoient la voix et nous permettent de chanter même de profil ou de dos sans problème acoustique : c’est très confortable.
Vous avez appris à manier l’épée ?
J’ai fait un peu d’escrime au Conservatoire et on a eu un maître d’armes pour cette production.
Quel rapport avez-vous à votre voix ? Certaines chanteuses la considèrent comme une entité à part…
Moi pas du tout parce que je vis avec tous les jours ! Je dirais plutôt que c’est mon amie. Si je suis malade, je suis triste parce que je ne peux pas m’exprimer mais si la voix répond bien, je suis bien. Effectivement tout est lié à elle mais je ne dirais pas que c’est une entité à part. C’est quelque chose de très mystérieux parce que c’est un instrument qu’on ne voit pas. Il y a quelque chose de fascinant parce qu’on essaie de l’imaginer. Je dirais que ma voix c’est mon amie, qui me permet de faire ces rôles-là. Donc je vais plutôt remercier ma voix ! (rires) Il faut apprendre à apprécier son instrument et je pense que, quand on l’apprécie, il nous le rend bien. Accepter sa voix, c’est la clé.
Peut-on dire que vous êtes une mezzo sopranisante ?
J’ai toujours défendu ce terme de mezzo soprano. Justement il y a soprano dans mezzo-soprano. Ce qui veut dire qu’on atteint les mêmes notes que les sopranos. La différence est une question de timbre : c’est un peu plus sombre, un peu plus rond, mais on chante les mêmes notes. Ce sont des choses très minutieuses à définir. Pour ma part, je défends le soprano de mon mezzo-soprano ! (rires)
Cette saison vous êtes à l’affiche de quatre productions à l’Opéra de Paris*, avez-vous l’impression qu’il se passe quelque chose dans votre carrière depuis quelques temps ?
Pas forcément. Evidemment cette année ça fait beaucoup ! Mais j’ai la chance, depuis l’arrivée de Nicolas Joël en 2009 à la tête de l’Opéra, d’avoir des rôles de premier plan. Comme une fidélisation. Je fais à peu près deux productions par an, mais il m’a en fait donné ici les rôles qu’il me donnait déjà quand il était au Capitole à Toulouse. J’étais très contente de pouvoir faire à Paris les rôles que je faisais déjà en Province. J’ai toujours senti une évolution lente (ça fait quand même dix-sept ans que je suis dans la carrière !) mais sûre. J’ai toujours voulu être prudente et je suis heureuse de pouvoir aborder mes rôles en temps et en heure, sans faire de bêtises.
Propos recueillis par Albina Belabiod
* : Giulio Cesare, Werther, Les Capulet et les Montaigu et Le Couronnement de Poppée.
Karine Deshayes, dans le rôle de Roméo dans Les Capulet et les Montaigu de Bellini à l’affiche de l’Opéra de Paris jusqu’au 23 mai
www.operadeparis.fr
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