Rencontre avec Marc Adam, directeur de l'Opéra Nice Côte d'Azur

Xl_marc_adam © DR

Après avoir été successivement directeur général de l'Opéra de Rouen (de 1991 à 1998), directeur général du Théâtre de Lübeck (de 2000 à 2007), puis de celui de Berne (de 2007 à 2012), Marc Adam est depuis 2012 directeur artistique de l'Opéra Nice Côte d'Azur. L'homme de théâtre s'est également imposé comme un metteur en scène reconnu, et parmi ses nombreuses réalisations, on peut citer La Sonnambula pour l'Opéra-Comique, Pelléas et Mélisande pour l'Opéra d'Essen, Cavalleria Rusticana/I Pagliacci pour l'Opéra National du Rhin ou encore Ariadne auf Naxos pour l'Opéra de Wiesbaden. C'est à Peter Grimes que Marc Adam se confronte cette fois, dans son propre théâtre, où Opera-Online a pu le rencontrer...

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Opera-Online : Comment diriger un théâtre comme l'Opéra Nice Côte d'Azur, sans se sentir habité par la force du génie du lieu, et inspiré par une histoire parmi les plus brillantes, et parfois les plus turbulentes du siècle, comme ces dernières saisons ?

Marc Adam : La grande histoire de l’Opéra à Nice se fait sentir dès les premiers pas dans cette salle au charme extraordinaire. Elle respire l’ouverture et la curiosité.

Être attentif au goût du public niçois n'interdit pas de l'anticiper. Est-ce que cette obligation de vigilance ne bride pas vos ambitions ?

J’ai réussi une première saison à Nice sans proposer à l’affiche ni Verdi, ni Mozart, ni Puccini, ni Wagner. La curiosité du public autorise l’ambition. Il reste néanmoins vrai que notre rôle est de réunir autour de nous les publics les plus larges possible.

Avez-vous des états d'âme quant au choix entre versions scéniques et versions de concert ?

Non, jamais. L’art lyrique est fait pour le théâtre. La musique à l’opéra doit se voir et se jouer. Cependant, certains ouvrages n’ont plus aujourd’hui d’intérêt scénique. Alors mon choix est clair, quand je présente une œuvre en version concert, c’est toujours parce que j’estime qu’elle ne trouverait pas sa place en mise en scène sur notre plateau.

Quelle place peut réserver un directeur d'une maison d'opéra comme vous à la jeune génération, donc à la relève, en assurant une haute qualité ?

La palette est large. Elle va d’une politique tarifaire adaptée, à la diversification de l’offre. Avec l’offre, je pense aux contenus et à la cohérence des ouvrages et actions proposés. L’opéra sort des modules-temps formatés, comme à la télé par exemple, par tranche de 28’ ou 50’. Il faut des contenus forts pour captiver les publics jeunes ou moins jeunes pendant deux à quatre heures ou plus encore dans une salle d’opéra.

On dit souvent aujourd'hui que l'on vit sous la dictature des metteurs en scène. Quel est le pouvoir d'un directeur lorsqu'il constate des dérives dans les choix de mise en scène d'une production ?

Si une production va à la catastrophe, c’est au directeur de l’empêcher. Cela ne devrait pas arriver. Un directeur engage une équipe de mise en scène parce qu’il connait son travail, apprécie et défend son esthétique et son approche musicale et intellectuelle du répertoire. Il sait donc quelle direction prendra le travail. J’engage un metteur en scène parce que je sais qu’il a quelque chose à dire et saura éclairer l'interprétation d'un ouvrage.

L'Opéra Nice Côte d'Azur doit-il être, selon vous, un théâtre de répertoire ?

L’Opéra Nice Côte d’Azur joue « stagione, » c'est sa tradition. Le théâtre de répertoire, au sens du fonctionnement des théâtres de l’Europe de l’Est, lui est étranger par la tradition. Néanmoins, à terme, l’Opéra Nice Côted'Azur devrait augmenter le nombre de ses représentations pour satisfaire des publics plus nombreux.

L'Opéra Nice Côte d'Azur est un théâtre municipal. Comment est-il financé ?

Avec votre question vous apportez la réponse. L’Opéra Nice Côte d'Azur est municipal, son financement est très largement municipal. À elle seule la Ville de Nice assure 90% de la subvention d’équilibre.

Vous avez justement eu d'emblée une politique artistique à la fois dynamique et ciblée...

J’essaie, avec des ouvrages comme le Freischütz de Weber dans sa version Berlioz, l’Adriana Lecouvreur, ouvrage trop rarement donné, de Cilea, le Peter Grimes de Britten, la création du Dreyfus de Michel Legrand, la Turandot de Puccini, avec le final de Berio, et d’autres titres sortant de l’ABC lyrique (Aïda-Bohème-Carmen), de renouveler et satisfaire la curiosité que je perçois chez le  public de Nice. Celui-ci répond positivement.

Vous avez eu aussi une politique très précise dans le choix des distributions...

Ma politique de distributions vise à assurer une grande homogénéité du plateau, à inviter à Nice des artistes confirmés, comme à permettre à de jeunes talents de s’y développer. Ceci vaut pour les artistes lyriques comme pour les chefs.

Dans une représentation d'opéra, le metteur en scène peut chercher à donner vie à des personnages dramatiques ou parfois à représenter la beauté de la musique. Quels choix allez-vous faire pour Peter Grimes ?

Le metteur en scène fait vivre ses personnages grâce à la musique et à la magie du livret. Ces deux composantes sont particulièrement fortes et intrinsèquement liées chez Britten. Une œuvre lyrique est une œuvre théâtrale. C’est donc à la fois la beauté de la musique et l’essence théâtrale du drame de Peter Grimes que je cherche à interpréter.

Ce qui fait la valeur éternelle d'une œuvre comme Peter Grimes, c'est l'image même de la vie, une certaine fatalité, une parabole de l'exclusion. Comment la mettre en scène ?

Au centre de cet ouvrage de Britten se trouve le Bourg. C’est donc lui dans ses excès qui en est le personnage principal.

Concevez-vous qu'il faille représenter ce drame dans son époque ou par rapport à nos critères actuels ?

Comment faire autrement, nous sommes tous - équipes artistiques et publics - des hommes et des femmes d’aujourd’hui.

Quel est pour vous le moteur dramatique de l'action ?

Dans Peter Grimes, indéniablement l’opposition entre le collectif et l’individu.

Quel est pour vous, dans l'opéra, l'importance respective du décor et de la direction d'acteurs ?

Comme au théâtre, la direction d’acteurs à l’opéra est au centre du travail de répétition. C’est l’alliance entre qualités vocales et qualités de comédien de l’artiste lyrique qui fascine et qu’attendent les publics.

De nombreux chanteurs se plaignent de metteurs en scène qui leur demandent d'accomplir sur scène des choses impossibles et qui, finalement, ne les respectent pas. En tant que metteur en scène, qu'en pensez-vous ?

Il existe de nos jours en Allemagne le vocabulaire Sänger-Darsteller, soit en français « Chanteur-Comédien », qui désigne les bons artistes lyriques. L’opéra d’aujourd’hui a besoin de ces interprètes.

Voudriez-vous ajouter un commentaire à cette interview par rapport à votre Peter Grimes ?

Peter Grimes est un des chefs-d’œuvre du XXe siècle. Le succès de sa réalisation ouvre la voie à une exploration plus large des répertoires du XXe et du XXIe siècle naissant. L’Opéra Nice Côte d’Azur doit pouvoir s’ouvrir à de nouvelles perspectives en collaborant notamment avec les autres acteurs de la vie culturelle niçoise, comme par exemple le festival Manca, le Théâtre National de Nice, les grands musées de la ville et d’autres structures encore. J’attends beaucoup de ces nouvelles synergies !

Propos recueillis à Nice par Emmanuel Andrieu

Marc Adam met en scène Peter Grimes à l'Opéra Nice Côte d'Azur

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