Soleils baroques : Christophe Rousset à l’opéra

Xl_rousset170615 © DR

Alors que Christophe Rousset et son orchestre Les Talens Lyriques sont à l'affiche d'Armide de Jean-Baptiste Lully, donné du 21 au 30 juin prochains dans une nouvelle production à l'Opéra national de Lorraine, nous saisissons cette occasion pour revenir plus largement sur la carrière très cohérente du claveciniste et chef français qui se construit progressivement, véritable spécialiste de musique sacrée et baroque, devenu ces dernières années un invité incontournable des théâtres et des festivals français et européens.

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Journée extraordinaire : en novembre 2005, le théâtre du Châtelet accueillait deux versions de concert haendeliennes successives, Tamerlano l’après-midi, Alcina en soirée, soit quelque six heures de musique pour un seul orchestre et un seul chef, Les Talens Lyriques et le chef qui les a fondés en 1991. Rousset dirigeait à ce moment les deux opéras à Amsterdam et, incapable de choisir l’un ou l’autre pour la version de concert qu’on lui demandait à Paris, avait fait ce choix un peu fou consistant à enchaîner les deux œuvres pour ne pas avoir à choisir. Une folie qui en dit long sur la gourmandise musicale qui l’anime, et sur la direction prioritaire de ses amours : l’opéra. Ce n’est pas un hasard s’il a choisi comme nom de son ensemble le sous-titre des Fêtes d’Hébé de Rameau, et si le mot « lyrique » s’y trouve, ce n’est pas non plus un hasard.

Comme beaucoup de chefs baroques, Christophe Rousset a fait ses classes dans l’orchestre, au poste stratégique du clavecin, si déterminant pour la rhétorique émotionnelle chez Haendel comme chez Rameau ou Lully ; contrairement à William Christie ou Emmanuelle Haïm, le continuiste devenu chef avait pourtant trop de talent pour abandonner sa carrière de claveciniste, que ponctue une discographie inégalée. Rousset a très tôt attiré l’attention des grands éditeurs discographiques aux temps glorieux de l’industrie du disque : trois ans après la fondation de son ensemble, Rousset bénéficie du formidable coup de projecteur qu’a été Farinelli, le film et sa musique : début d’une notoriété plus large, mais aussi légitimation aux yeux du grand public d’un répertoire qu’affectaient tous les préjugés possibles. Quelques années plus tard, en 1998, Decca lui confie les rênes d’un projet important, celui de faire dialoguer Cecilia Bartoli et Natalie Dessay dans Mitridate de Mozart. Non seulement Rousset sculpte pour les deux divas un écrin sur mesure, mais il révèle au public une star plus inattendue : le jeune Mozart, 14 ans, et un tempérament dramatique de feu, qu’aucun chef n’avait su retrouver dans une œuvre qui passait pour interminable et poussive. De production en production, Rousset a parcouru à peu près la totalité du répertoire lyrique des xviie et xviiie siècle : Haendel, Lully et Rameau se taillent la part du lion, la première moitié du xviie siècle n’est pas tellement son domaine, à part Monteverdi, mais il a fait sien le répertoire très oublié des contemporains de Mozart, Salieri et Martín y Soler notamment. Le répertoire plus tardif, il y pense, dans un avenir encore incertain ; pour l’instant, contrairement à ses collègues Harnoncourt, Gardiner ou Minkowski, ces deux siècles encore discriminés par les maisons d’opéra lui ont suffi.

Ces quelques dizaines d’opéras interprétés et souvent recréés au cours d’un petit quart de siècle n’ont pu trouver leurs auditeurs que grâce à un partenariat de long cours avec toute une série de maisons d’opéras, à Amsterdam ou Vienne (Theater an der Wien), à Lausanne ou Bruxelles, ou encore à Nancy où une nouvelle production d’Armide de Lully aura lieu dans quelques jours. Rousset n’est pas de ceux à qui déplaît le travail avec les metteurs en scène, même aussi radicaux que Krzysztof Warlikowski, avec qui il a réalisé une Médée de Cherubini éloignée aussi bien de l’incandescence solitaire de Callas que des mièvres résurrections de routine qu’on a entendu depuis. Rousset ne se contente pas plus de restituer le premier degré des sentiments que Warlikowski d’illustrer fidèlement le livret : montrer la douleur ne suffit pas, il faut en explorer l’origine et les résonnances. D’autres chefs sont sans doute plus spectaculaires que lui, à étirer les airs lents chez Haendel ou à précipiter les tempos rapides, ou encore à confondre sens dramatique et agitation permanente chez Mozart ; l’art de Rousset est plus discret, plus modeste, plus équilibré : on pourrait trouver cela désagréablement juste milieu si ce souci de l’équilibre n’était pas accompagné d’une part d’un souci de prendre en compte la moindre inflexion du discours musical, d’autre part d’un vrai sens du théâtre – deux qualités qui permettent de comprendre pourquoi une longue fidélité l’attache à une interprète aussi scrupuleuse et inventive que Sandrine Piau.

La période des pionniers est bel et bien finie pour la redécouverte du répertoire baroque ; les jeunes ensembles capables de mettre sur pied n’importe quel opéra de Rameau surabondent, mais Rousset et ses Talens ont bien des arguments qui leur assurent toujours une place de choix. L’expérience du théâtre ne s’apprend pas, pas plus que celle du travail avec cet instrument hors normes qu’est la voix humaine ; et puis Rousset sait transposer à l’orchestre ce qui est aussi sa force au clavecin, ce rayonnement solaire, chaleureux et infiniment humain qui donne à ce vaste répertoire, de la manière la plus naturelle qui soit, toute une vie nouvelle.

Dominique Adrian

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