Pour sa deuxième saison à la tête de l’Opéra national du Rhin, Eva Kleinitz continue à développer les cycles et à élargir les cercles initiés en 2017-18. De nombreux artistes à l’affiche effectuent leurs débuts Place Broglie et sept nouvelles productions lyriques sont au compteur. Les projets opératiques locaux (Strasbourg, Colmar et Mulhouse, bien sûr), régionaux (Grand-Est), nationaux (avec la Normandie), européens (Allemagne, Benelux) et intercontinentaux (Argentine), sans compter la programmation « danse » de Bruno Bouché, exigeante et ancrée dans notre époque, décloisonnent les territoires et peuvent se targuer de dépasser les attentes d’un public envers une institution subventionnée.
Les Noces de Figaro, en octobre-novembre 2017 constituaient un premier tee de lancement. Septembre-octobre 2018 sera à nouveau sous le signe de Beaumarchais avec l’incontournable Barbier de Séville, dans une nouvelle production de Pierre-Emmanuel Rousseau, réunissant entre autres le ténor chinois Yijie Shi, le baryton croate Leon Košavić et la mezzo franco-suisse Marina Viotti (que nous aurons déjà l’occasion d’entendre à Strasbourg et Mulhouse cet été dans Eugène Onéguine), sous la baguette de Michele Gamba. Les derniers levers de rideaux de la saison seront consacrés à Don Giovanni, deuxième opus de la trilogie Mozart-Da Ponte. La metteure en scène et vidéaste Marie-Ève Signeyrole fera primer les regards de femmes – ici Jeanine De Bique en Anna et Sophie Marilley en Elvira – de l'autre côté du regard du coureur de jupons, qui sera incarné pour la première fois par Nikolay Borchev. Michael Nagl incarnera Leporello, Alexander Sprague sera Ottavio, tandis que Zerlina et Masetto prendront les traits de deux chanteurs de l’Opéra Studio, Anaïs Yvoz et Igor Mostovoi.
Le répertoire s’exprimera également par le biais du singulier Pelléas et Mélisande des chorégraphes Sidi Larbi Cherkaoui et Damien Jalet, et de l’infatigable performeuse Marina Abramović, après sa création remarquée à Anvers et deux représentations au Grand Théâtre de Luxembourg en juin. Jacques Imbrailo interprétera de nouveau Pelléas (mais fera ses premiers pas à l’Opéra national du Rhin), entouré d’Anne-Catherine Gillet (Mélisande) et de Jean-François Lapointe (Golaud), sous l’œil avisé du chef Franck Ollu.
La danse contemporaine laissera place aux pas porteños dans María de Buenos Aires, opéra-tango de 1968 d’Astor Piazzola et Horacio Ferrer. La tanguista Ana Karina Rossi et le ténor Stefan Sbonnik côtoieront le poète Alejandro Guyot et seize danseurs. Les jeunes Argentins Nicolas Agullo, dans la fosse, et Matias Tripodi, aux manettes scénographiques, feront donc voyager dans les milongas en avril-mai. L’Argentine aura d’ailleurs droit à des célébrations supplémentaires, la deuxième édition d’Arsmondo lui étant entièrement dédiée. Ce festival printanier et pluridisciplinaire, consacré en 2018 au Japon, a fait cohabiter opéra rare (Le Pavillon d’or de Toshiro Mayuzumi, chroniqué dans nos lignes), manifestations culturelles, conférences, ateliers et rencontres avec différents acteurs et partenaires alsaciens n’appartenant pas forcément à l’art lyrique. En 2019, l’événement prendra de l’ampleur et permettra de voir Beatrix Cenci, d’Alberto Ginastera, en création française. Cette histoire vraie d’une femme tourmentée par la folie meurtrière de son père sera emmenée par la soprano mexicaine Leticia de Altamirano dans le rôle-titre, les mezzos Ezgi Kutlu et Josy Santos, et le baryton albanais Gezim Myshketa, au contact d’un Orchestre philharmonique de Strasbourg dirigé par Marko Letonja. Parmi les autres temps forts du festival, n’oublions pas la Misatango de Martín Palmeri, avec la mezzo-soprano Laurence Hunckler, la bandonéoniste Louise Jallu et la pianiste Vérène Rimlinger.
Le Freischütz, moins joué de notre côté du Rhin que dans les pays germaniques (hormis peut-être son ouverture) marquera la prise de rôle d’Agathe pour Lenneke Ruiten et notamment les débuts dans l’institution strasbourgeoise de Jussi Myllys (Max) et David Steffens (Caspar). Cette coproduction avec la Monnaie de Bruxelles sera mis en scène par le tandem Jossi Wieler – Sergio Morabito, de l’Oper Stuttgart.
Deux perles rares complètent le tableau de programmation. Pour les Fêtes, d’abord Barkouf ou un chien au pouvoir… d’Offenbach, en avance d’un mois pour le bicentenaire du compositeur originaire de Cologne ! L’ouvrage a subi les foudres de la censure en 1860 et n’a pas été remonté depuis la seconde moitié du XIXe siècle. Un chien devient maire d’une ville indienne après que ses successeurs tyranniques ont subi un à un les représailles de la population. Une jeune femme traduit « officiellement » en langage politique les gémissements et aboiements du canidé, pour le plus grand plaisir des habitants… Jacques Lacombe, nouveau directeur musical de l’Orchestre Symphonique de Mulhouse, officiera face à Rodolphe Briand, Nicolas Cavallier, Patrick Kabongo et Pauline Texier. L’opéra gagnera ensuite l’Oper Köln, dans la ville natale du violoncelliste virtuose et roi de l'opéra-comique.
L’autre découverte sera celle de La divisione del mondo (1675), de Giovanni Legrenzi, par Christophe Rousset et ses Talens Lyriques, en première française à la fin de l’hiver. Avec cet opéra de 1675, Jetske Mijnssen explorera le travail d’un autre représentant majeur des œuvres lyriques des XVIIe et XVIIIe siècles (nous nous souvenons de l’Orfeo de Rossi à Bordeaux l’année dernière, en attendant Hippolyte et Aricie à Zurich au printemps 2019), avec Carlo Allemano, Julie Boulianne, Sophie Junker et Jake Arditti.
Les récitals en anglais (Christanne Stotijn), allemand (Marlis Peters), espagnol (Armando Noguera), français (Véronique Gens et Julie Fuchs) et en langue encore inconnue (Simon Keenlyside) ne convieront pas les ténors, mais les Midis Lyriques, les deux soirées Singing Garden pendant le festival de musique contemporaine Musica en septembre, la diversité des formats des actions pédagogiques (rencontres « Avec mon cous(s)in à l’opéra », concerts, mercredis découverte), ainsi que les spectacles jeune public (dont deux œuvres lyriques en création française : Le Garçon et le poisson magique et La Princesse arabe) sauront ravir tous les goûts et pérenniser une vision multiple du spectacle vivant.
Les abonnements sont en vente depuis le 20 avril dernier. Ouverture de la billetterie le 5 juin (pour Le Barbier de Séville et Singing Garden), puis le 4 septembre pour le reste des représentations.
Thibault Vicq
26 avril 2018 | Imprimer
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