Philip William McKinley a la réputation d’être un metteur en scène de spectacles de grande envergure. Sa spectaculaire comédie musicale ShowStoppers au Steve Wynn’s Encore Resort de Las Vegas est son dernier en date, bien qu’il ait également repris Spider-Man: Turn Off the Dark suite au départ de Julie Taymor en 2011, et ce jusqu’à la fin des représentations en 2014. Mais Cecilia Bartoli, directrice artistique du Festival de Pentecôte de Salzbourg, souligne qu’il est également un pianiste aguerri, ainsi qu’un interprète d’opéra ayant déjà chanté sur les planches de l’Opéra de New-York dans les années 1980, alors qu’il était dirigé par Berverly Sills.
Il devrait donc se sentir comme chez lui sur la large scène de la Felsenreitschule – construite en 1693 initialement comme une école d’équitation d’été pour le prince-archevêque de Salzburg, et reprise par le Festival en tant que théâtre depuis 1926 – où sa nouvelle production de West Side Story a été donnée les 13 et 15 mai dernier, en attendant une reprise du 20 au 29 août.
D’après Cecilia Bartoli, « il a fait des choses incroyables dans des espaces inhabituels, comme Ben Hur Live », dont la première fut donnée en 2009 à l’O2 Arena de Londres. Le premier cercle de l’équipe créative du spectacle – notamment le chorégraphe Liam Steel, le designer éclairagiste Patrick Woodroffe et la créatrice des costumes Ann Hould-Ward – prend également part à la conception de West Side Story aux cotés de McKinley, alors que le décorateur George Tsypin (accessoirement directeur artistique de la cérémonie d’ouvertures des Jeux Olympiques de 2014 à Sochi en Russie, entretient aussi une relation étroite avec le festival depuis plus de vingt ans.
Pour Cecilia Bartoli, les membres de l’équipe « sont particulièrement polyvalents, ayant de l’expérience dans l’opéra, le théâtre, les concerts de rock ou encore les spectacles grand public, et partout à travers le monde ». La cantatrice note d’ailleurs qu’il n’est pas uniquement question de mise en scène : West Side Story occupe une place bien particulière dans le paysage musical, à la frontière entre l’opéra, l’opérette et la comédie musicale.
Tout comme Candide, que Leonard Bernstein a composé à la même époque, le spectacle « ne comprend pas seulement quelques musiques jazz, mais aussi de la musique classique et contemporaine ». Elle poursuit : « comme Bernstein le disait, le maître mot est de lever le voile étroit qui sépare l’opéra de Broadway, le réalisme de la poésie, le ballet de l’abstrait de la danse plus figurative ». D’autant plus que West Side Story compte aussi quelques morceaux de musique latine au milieu de tout cela (ce qui explique sans doute aussi une partie de son succès, contrairement à Candide).
La direction, l’inspiration et la chorégraphie initiale de Jerome Robbins guident Philip William McKinley et Liam Steel dans leur conception de cette nouvelle production, tout comme les thèmes abordés par l’œuvre, qui étaient alors très novateurs pour Broadway. Bien que Robbins et Bernstein – de concert avec leur troisième collaborateur, le dramaturge et metteur en scène Arthur Laurents, qui a écrit le livre – aient basé l’histoire sur Roméo et Juliette de Shakespeare, ils ont transposé cette histoire dans le New York plus contemporain des années 1950.
Cet aspect de l’œuvre est important dans la mise en scène de McKinley. « En 1957, c’était une époque particulièrement violente et graveleuse, je veux amener ce sentiment en première ligne de notre production. Ce n’est pas une comédie musicale légère, c’est une œuvre dramatique, et c’est pour ça qu’elle fonctionne si bien à l’opéra. Je pense que dans une salle d’opéra, nous avons davantage à faire avec la dimension dramatique d’une œuvre, d’une plus grande dimension émotionnelle ».
Le directeur remarque que les histoires des clans rivaux et d’amants maudits sont l’objet de différentes interprétations – il évoque notamment une récente production « particulièrement gothique » présentée à la Komische Oper Berlin, et une production japonaise de la Takarazuka Revue donnée en 1998-1999, portée par une troupe de femmes uniquement – mais il conserve néanmoins la rivalité originelle entre les Jets blancs et les Sharks portoricains.
Il estime encore qu’il n’est pas ici question de « copier » la mise en scène initiale des créateurs du spectacle, mais qu’il s’agit davantage d’examiner les raisons de chacun des choix faits : « Vous essayez de trouver pourquoi ils ont fait ce qu’ils ont fait. Quelle était leur approche ? Quelle était leur sensibilité ? Puis, vous le transposez dans le monde contemporain. Qu’est ce qui touchera la sensibilité du public d’aujourd’hui ? ».
Les tensions ethniques et la xénophobie évoquées dans l’œuvre sont des problèmes qui résonnent encore avec les problématiques de nos sociétés contemporaines. Il souligne avoir été abasourdi par l’atmosphère de division particulièrement prégnante qui s’est faite jour aux Etats-Unis, pendant la campagne présidentielle. « Ces thèmes sont toujours présents dans nos sociétés ». L’Europe aussi y est confrontée, notamment dans ses réactions à l’égard des populations musulmanes, notamment après le récent afflux de demandeurs d’asiles et de réfugiés venus du Moyen Orient.
La « rugosité et l’animosité » du fossé que Tony et Maria tentent de combler nécessitent une approche très physique. « C’est l’une des raisons qui font que je suis très heureux d’avoir Liam Steel comme chorégraphe. Ses chorégraphies ont toujours une sensibilité très athlétique. ».
Il est tout aussi enthousiaste quant au choix de Gustavo Dudamel, qui dirigera le Simón Bolívar Symphony Orchestra of Venezuela. « Vous être en quête d’un gentleman qui reflète la passion, l’intensité et la vitalité qui animaient Leonard Bernstein, et Gustavo a cette passion indescriptible, avec l’esprit qui correspond à cette musique. Il la ressent. C’est la part latine de son être, de son âme ».
Cecilia Bartoli tenait tout particulièrement à avoir son propre orchestre, « au lieu de dix ou douze interprètes et quelques synthétiseurs, comme c’est de plus en plus la norme dans ce type de productions en tournée ». Dudamel et l’orchestre qu’il dirige étaient ainsi des choix évidents.
Le chef de 35 ans affiche aussi un profil en parfaite adéquation avec les thèmes de l’histoire de McKinley. Tout comme l’orchestre Simón Bolívar, il est le produit d’El Sistema au Venezuela, qui prodigue gratuitement des cours d’éducation musicale aux jeunes issus de milieux défavorisés. Gustavo Dudamel souligne très régulièrement que la musique est une force motrice positive du changement social. Et avec le Los Angeles Philharmonic, dont il est le directeur artistique depuis 2009, ils animent également un programme inspiré des ambitions d’El Sistema. En février, le chef a ainsi emmené le Youth Orchestra LA au Super Bowl pour accompagner Beyoncé, Bruno Mars et Coldplay durant la mi-temps.
De son côté, McKinley se dit « enthousiaste et honoré » de faire partie de la production, et il salue la vision et la capacité de Cecilia Bartoli à prendre des risques artistiques. « C’est fantastique de trouver quelqu’un à ce point ouvert et aventureux : elle ne redoute absolument rien et je pense que c’est l’une des raisons de son si grand talent. Je respecte infiniment sa capacité à ouvrir en grand la porte aux idées nouvelles ».
Article issu de l'International New York Times, n’engageant pas la rédaction du journal, et dont nous reproduisons le contenu avec leur aimable autorisation.
Center stage est produit par le département international T Brand Studio et n'engage pas les départements éditoriaux de l'International New York Times.
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