C’est un peu l’Enfant et les sortilèges chez Wagner que nous présente ce spectacle très attendu à l’Opéra Bastille, Les Maîtres Chanteurs de Wagner, un ouvrage qu’on n’avait pas entendu et vu à l’Opéra de Paris depuis plus d’un quart de siècle !
On sait que c’est une gageure de monter un tel ouvrage, tant pour des raisons musicales que pour des raisons scéniques. Car ces quelque 4h30 de musique, pour aussi attractives qu’elles soient, nécessitent une invention permanente dans la mise en valeur de la dramaturgie et une relance sans cesse à réactiver de la dynamique musicale, dans la variété de ses propositions et de ses développements. La réussite du metteur en scène norvégien Stefan Herheim tient d’abord à cette idée – qui vient peut-être de ses débuts, quand il créait des spectacles d’opéra pour la compagnie de marionnettes qu’il avait créée – d’une grande remémoration par Wagner de sa propre enfance (du moins celle qu’on lui suppose…). Assimilant Hans Sachs à Wagner (ce qui n’est pas une idée nouvelle), il en fait le support de ce déploiement imaginaire, de ce rêve réalisé en grand qu’est cette mise en scène – constituant en quelque sorte la mise en abyme du rêve de Walther qui lui permettra de créer son chant de concours avec lequel il triomphera.
Durant l’Ouverture, on voit Wagner-Sachs à son pupitre en train de composer cette œuvre qui l’enchante. Puis, le rideau se lève sur ce même pupitre, qui a pris des dimensions gigantesques et devient l’aire de jeu de tout le 1er acte pour des lilliputiens. De même, le deuxième acte transformera un autre coin de la maison de Wagner-Sachs, avec un placard et un semainier devenus de hautes maisons, les protagonistes s’y agitant comme des enfants dont l’échelle de vision est à la mesure de leur taille. Ce sont ces sortilèges qui donnent une variété et une animation constante au spectacle, porté par une direction d’acteur pleine de trouvailles sans cesses renouvelées. Et le tableau final du II, cette incroyable bataille de polochons nocturne, réactivant les souvenirs d’enfance avec les contes pour enfants, de Blanche Neige et les sept nains à Hänsel et Gretel ou au Songe d’une Nuit d’été, est une totale jubilation, pourtant menée à un train d’enfer !
Car tout cela n’est possible que du fait de la parfaite réussite musicale qui en porte le projet, une réussite musicale assise en premier lieu sur les épaules, ou plutôt sur la baguette de Philippe Jordan.
Décidément, son affinité avec le répertoire germanique et en particulier wagnérien s’affirme de spectacle en spectacle ! Là, dès une Ouverture déployée avec une belle énergie, une sensualité et une épaisseur sonore que lui permet cet orchestre de luxe qu’est celui de l’Opéra de Paris, il affirme sa conception. Largeur du son mais aussi élégance, engagement total mais aussi légère distanciation, souci permanent du détail de chaque plan sonore mais aussi subtilité plastique, extrême virtuosité du fameux charivari de la fin du II mais aussi sens de l’élargissement sonore pour la fête de la Saint-Jean (et là, c’est le chœur de l’Opéra de Paris qu’il faut saluer bien bas et son chef José Luis Basso !), Philippe Jordan est partout chez lui et il nous installe de plain-pied dans cette formidable fête sonore.
Il faut bien évidemment ajouter que la distribution s’inscrit dans ce double projet musical et théâtral : tous les rôles sont bien tenus, tous sont en idéal appariement, tous participent de la réussite globale sans qu’aucun ne tire la couverture à lui. On soulignera l’homogénéité des Maîtres, avec en particulier le Kothner sonore de Michael Kraus, le Pogner chaleureux de Günther Groissböck ou le Beckmesser fielleux de Bo Skovhus. Mais le couple secondaire David / Magdalene est tout autant superlativement interprété par deux artistes dont on sent qu’ils possèdent depuis longtemps l’intelligence de leurs rôles, Toby Spence et Wiebke Lehmkuhl.
Quant aux personnages principaux, ils forment un bouquet lui aussi homogène, avec l’Eva de Julia Kleiter, rayonnante de bout en bout, avec le Walther de Brandon Jovanovich, sans doute un peu clair de timbre, plus puccinien que wagnérien dans ses couleurs, mais qui sait ne rien alourdir pour s’épanouir tout en élégie dans son chant de concours, avec enfin le Sachs de Gerald Finley. Le baryton canadien, sans être intrinsèquement un grand baryton wagnérien, sait utiliser sa voix formé à l’école du lied pour donner à son personnage cette intelligence du rôle, sa progression psychologique, son humanité mais aussi ses paradoxes. Si la durée de l’œuvre l’éprouve un peu, il n’en demeure pas moins qu’il compose un personnage d’une richesse rare qui donne à ce spectacle une dimension humaine exceptionnelle. L’ovation unanime au salut final semble prolonger le bonheur éprouvé. Qu’ajouter ? Que Stéphane Lissner et l’Opéra de Paris viennent encore de réussir un coup… de Maître !
Alain Duault
Les Maîtres chanteurs de Nuremberg | du 1er au 28 mars à l'Opéra Bastille
02 mars 2016 | Imprimer
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