Stéphane Lissner n’a pas choisi la facilité en commençant son cycle Berlioz par La Damnation de Faust. L’ouvrage est complexe à monter dans la mesure où ce n’est pas vraiment un opéra (cf La Damnation de Faust, une légende romantique, dans notre rubrique Pour aller plus loin, sur Opera Online) – et, avec l’exceptionnelle distribution réunie pour cette nouvelle production à l’Opéra de Paris, on s’est dit qu’on aurait peut-être pu se contenter d’une version de concert, comme à la création à l’Opéra-Comique en 1846. Mais il était excitant de demander à un grand metteur en scène de théâtre comme l’est le letton Alvis Hermanis d’essayer de donner un sens contemporain à cette œuvre riche d’implications. Le problème est qu’une idée, fût-elle bonne, ne fait pas une mise en scène.
Car le présupposé d’Alvis Hermanis n’est pas absurde, celui de s’interroger sur ce que serait un Faust pour aujourd’hui, il pourrait même avoir sa logique… pourvu qu’il y ait une mise en scène ! Car, au-delà de la réponse initiale à cette question, à savoir le fait que, dans notre monde contemporain, Faust serait un scientifique plutôt qu’un philosophe (ce qui, entre parenthèses, est une conception positiviste de notre monde un peu désespérante alors qu’on peut penser qu’il a, au contraire, besoin de philosophie, de réflexion, de beauté aussi – plutôt que de technique), au-delà de ce postulat, qui induit la présence sur scène d’un « représentant » de la science sous l’aspect du fameux physicien britannique Stephen Hawking, aucun développement dramaturgique ne vient prolonger cette intuition, l’étayer, la nourrir, en faire du théâtre. Et c’est le plus étonnant de la part d’un homme de théâtre comme Alvis Hermanis : cette absence de direction d’acteurs qui laisse les protagonistes livrés à eux-mêmes et les chœurs figés est comme un abandon de la théâtralité au profit d’une orgie d’images vidéo projetées au-dessus des chanteurs, comme une fête visuelle sans rapport avec l’œuvre, comme si le décor avait pris le pas sur la mise en scène ! D’ailleurs, la dernière image, superbe au demeurant, d’un Faust échangeant sa place avec son double, celui-ci semblant flotter dans une apesanteur qui est la métaphore d’un adieu à la terre, constitue une sorte de contradiction avec l’idée initiale du spectacle… L’image prend le pas sur la pensée ! Et comme la chorégraphie ne vient pas, loin de là, jouer ce rôle de contrepoint ou de développement qu’elle pourrait jouer, on reste perplexe devant cette occasion ratée.
D’autant plus ratée que le plateau réuni est, lui, exceptionnel, avec un Jonas Kaufmann dont le chant, à mi-chemin du lied et de l’opéra, offre des couleurs d’une rare subtilité, avec Bryn Terfel, voix riche, ample, large, d’une impressionnante présence, avec Sophie Koch, timbre onctueux qui s’accorde si bien dans sa Romance avec celui du cor anglais magique de l’Orchestre de l’Opéra de Paris, avec des chœurs homogènes, menés au meilleur d’eux-mêmes par leur nouveau chef, José Luis Basso, le tout dirigé avec un raffinement, une élégance, une poésie flottante par Philippe Jordan ! On en déplore d’autant plus le ratage de la mise en scène et, si l’on passe une magnifique soirée musicale, on demeure frustré de ce manque de théâtre – qui, soit dit en passant, est le contraire de ce que les hueurs excités reprochent à Alvis Hermanis : il n’y a pas « trop », il n’y a plutôt pas assez !...
Alain Duault
10 décembre 2015 | Imprimer
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