La Traviata à l’Opéra de Paris, Diana Damrau, Ludovic Tézier

Xl_traviata-damrau © DR

À l’Opéra de Paris, les Traviata se suivent et ne se ressemblent guère : après celle, médiocre, de Jonathan Miller, puis celle, bien contestable, de Christoph Marthaler, voici celle de Benoit Jacquot. Le point de vue en est clairement celui d’un  cinéaste (ce qu’est d’abord Benoit Jacquot), c’est-à-dire qu’il nous propose plusieurs gros plans sur lesquels l’attention du spectateur est invitée à « zoomer » pour entrer dans le cadre d’une action qui, elle, est très fidèle à la lettre du livret.
Chaque plan se présente ainsi sur fond noir d’où se détachent quelques éléments qui ne sont que des signes. Ainsi du premier tableau,  autour d’un vaste lit (l’« outil de travail » de la courtisane…), surmonté d’un tableau lui aussi signifiant, l’Olympia de Manet ; du deuxième, autour d’un grand arbre poétique évoquant la campagne où les amants ont fui ; du troisième au pied d’un haut escalier de marbre, celui de la demeure d’une cocotte, avant que, au dernier tableau, on ne retrouve le lit de Violetta, mais décati, le matelas roulé, le tableau disparu, sans plus aucun accessoire de sa splendeur, un simple lit d’hôpital dressé à côté pour accueillir son agonie. Cette vision cinématographique est bien évidemment très claire mais, pour que ces « zoom » soient efficaces, il faudrait une direction d’acteurs plus affirmée que celle qui est proposée. Car il semble que les chanteurs soient en liberté dans ces cadrages sans qu’on ait guidé ce qui aurait pu leur donner cette incarnation psychologique qui fait défaut à ceux qui, dans la distribution, n’ont pas suffisamment pensé leur rôle – et qu’on n’a pas aidés.

Cette distribution, elle est du niveau de l’Opéra de Paris, c’est-à-dire qu’on a réuni un cast de haut vol. Pourtant, là aussi, on se dit qu’on aurait pu aller plus loin. Commençons par le rôle-titre : Diana Damrau y est superlative quant au chant, porté par un timbre lumineux, rayonnant, sachant ciseler ses vocalises et déployer un legato somptueux – mais si tout cela est du beau, du très beau chant, l’incarnation tarde à venir et si l’on admire, on n’est guère ému. L’Alfredo de Francesco Demuro souffre, lui, d’un autre problème : sa (jolie) voix n’est pas celle d’un Alfredo (surtout dans l’immense hall de l’Opéra Bastille !). S’il doit être un charmant Nemorino, il ne parvient à aucun moment à projeter un chant dramatique et semble constamment au bord de la rupture. Pas à la hauteur ! Le seul qui domine de la voix et de l’expression cette distribution est Ludovic Tézier, impérial de bout en bout, la voix riche, ardente, magnifiquement projetée et colorée. Son « Di Provenza » est un exemple de grand chant dramatique, avec des phrasés frémissants et une intensité expressive qui montrent qu’il est bien aujourd’hui le grand baryton Verdi de notre époque. Et lui a pensé son rôle, cela se voit autant que cela s’entend.

Mais le vrai déficit de cette Traviata revient à Daniel Oren : sa direction lourde, prosaïque, désordonnée, met souvent en péril la cohésion et l’élan de cette œuvre. Aucune poésie, du bruit : dommage ! Cette Traviata, assurément lisible, plaira à tous ceux qui souhaitent découvrir le chef-d’œuvre, à tous ceux qui n’ont pas envie qu’un opéra soit matière à une réflexion dramaturgique, elle ne comblera pas ceux qui veulent aller plus loin que la simple illustration de la musique – mais, quoi qu’il en soit, ce qui demeure c’est la force de cette musique et, en dépit des réserves qu’on peut formuler, la puissance de l’œuvre continuera d’entrainer le public. Et pour longtemps !              

Alain Duault

La Traviata, à l'Opéra Bastille, jusqu’au 20 juin 2014. Diffusion en direct dans les cinémas UGC le 17 juin.

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