Il y a ceux qui parlent et il y a ceux qui font : les revendications du partage de la culture et singulièrement de l’art lyrique fleurissent régulièrement dans notre beau pays mais, au bout de ces palabres, qu’en reste-t-il vraiment ? Le plus souvent une résignation désabusée. Sauf quelques initiatives qui, sans tambours ni trompettes, décident de se mobiliser pour donner à entendre l’opéra à ceux qui ne le connaissent pas. C’est le cas d’un couple de médecins, Laurence et Eric Voog, passionnés de patrimoine et de musique qui, après avoir racheté le Château de Malicorne, ont entrepris la patiente restauration de ce chef-d’œuvre construit au XIIème siècle et reconstruit au XIXème par le Général Oudinot, et qui a accueilli entre autres la marquise de Sévigné. Dans ce cadre, Laurence et Eric Voog ont créé le Festival Musica Malicorne, dédié à l’opéra, l’opérette et la musique de chambre. Cette année, c’est La Flûte enchantée qui en est le spectacle principal.
Donné devant la superbe façade du château, l’ultime opéra de Mozart est proposé dans une mise en scène simple de Diana Higbee et Thierry Jennaud, qui a le mérite de dérouler le récit de l’ouvrage de manière claire et appréhensible par tous, d’autant que les dialogues parlés, joués en français, permettent au public de participer à la gaité intrinsèque de l’œuvre et à sa compréhension. On dit que La Flûte enchantée est faite à la fois pour les enfants ou pour les philosophes, ou pour les fous qui sont peut-être l’un et l’autre. Elle se déroule la nuit, ce qui est comme une première énigme, s’agissant d’une œuvre qui semble construite comme un cheminement vers la lumière. Mais, au cœur de cette nuit, Mozart trouve un équilibre en ce que les polarités qui y sont à l’œuvre constituent l’ouverture au jour, le versant préliminaire au monde du jour : Mozart est en quelque sorte le point d’aboutissement du Siècle des Lumières. De ce point de vue, on peut considérer que le processus initiatique qui filigrane La Flûte enchantée, plutôt qu’une rupture, ouvre la perspective d’une métamorphose : Sarastro intègre la Reine de la Nuit, la restituant à sa vraie place dans ce cycle immuable des vingt-quatre heures dans lequel la nuit est aussi nécessaire que le jour. En fait, la leçon de La Flûte enchantée est peut-être que les initiations véritables tendent à réconcilier les contraires plutôt qu’à les détruire. De même qu’on ne sépare pas le dos de la main de la paume, chacun de nous possède sa part de lumière et sa part de nuit, selon les moments, les circonstances et selon les âges. En ce sens, cette Flûte enchantée apparait étonnamment d’actualité.
Tout cela papillonne avec vivacité, au milieu d’une forêt de vrais arbres entre lesquels passe le monôme d’un « monstre » qui évoque ceux des fêtes chinoises (mais il est vrai que le livret situe la Flûte enchantée dans un Orient mythique). Y passent aussi les Trois dames de la Reine de la nuit ou les Trois garçons, et tous ces personnages qui se répartissent selon leur position sociale, qui sur le plancher central pour le Prince Tamino, la Princesse Pamina ou le vénérable Sarastro ; qui sur un balcon surplombant au premier étage du château, la Reine de la Nuit ; qui sur les graviers qui le rapproche des premiers rangs du public pour celui qui est l’expression de ce public, un garçon doué de bon sens et de naïveté, Papageno. Tout cela différencié dans des costumes colorés aux textures moirées, avec des masques superbes qui renforcent le sentiment d’un exotisme magique que porte aussi cette fable heureuse.
La distribution, jeune et internationale, permet de découvrir deux belles voix, la soprano ukrainienne Olga Yurina dont la Reine de la Nuit au timbre riche, souple et aux vocalises impeccables force l’admiration, et le ténor franco-roumain Antonel Boldan, dont le Tamino noble mais à la projection ardente, au lyrisme déjà affirmé, lui promet bientôt des rôles plus importants. Et on retrouve avec plaisir deux voix connues, celle de l’américaine Diana Higbee (par ailleurs directrice artistique du Festival) dont la Pamina impose un personnage de femme déjà épanouie et celle du baryton-basse, lui aussi américain, Alexander York, qu’on a pu apprécier dans la pépinière de l’Académie de l’Opéra de Paris : son Papageno est vif, à la projection remarquable et aux couleurs vocales qui lui promettent un bel avenir. Mais toute la distribution est de qualité et porte joyeusement cette Flûte enchantée, avec de surcroit un chœur très présent. L’Orchestre de chambre du Southern Illinois Symphony, dirigé par Edward Benyas, est sans doute le point faible du spectacle : son manque d’homogénéité, en dépit de l’engagement de chacun des musiciens, et son positionnement côté jardin ne permettent guère son intégration sonore à l’action, en faisant plus un soutien qu’un véritable acteur de l’opéra. Mais on peut espérer que le développement de ce Festival encore très jeune permettra de pallier ce petit problème – qui n’entache pas le succès du spectacle, acclamé par un public heureux qui remplit les gradins… et attend le prochain Festival !
Alain Duault
Malicorne-sur-Sarthe, juillet 2024
La Flûte Enchantée au Festival Musica Malicorne, les 12 et 14 juillet 2024
16 juillet 2024 | Imprimer
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