Le point de vue d’Alain Duault : À Salzbourg, un Barbier de Séville ou d’ailleurs...

Xl_il-barbiere-di-siviglia_salzburg-festival_2022_alain-duault-c-monika-rittershaus © SF / Monika Rittershaus

On peut se dire que le public a toujours raison – et, dans ce cas, la tornade d’applaudissements du public à l’issue de ce Barbier de Séville amphétaminé pare à toute critique. On peut aussi penser que cet opéra, fut-il comme le voulait Rossini un joyeux divertissement, est un tissu de rires et de poésie, de mélancolie et de légèreté joueuse – et, dans ce cas, le festival de gags orchestré par le metteur en scène Rolando Villazón peut avoir quelque chose d’étouffant.

Il barbiere di Siviglia Festival de Salzbourg 2022: Arturo Brachetti © SF / Monika Rittershaus

Le principe initial de ce spectacle est la porosité entre l’imaginaire et le réel à travers cette lanterne magique qu’est le cinéma : on est dans un studio du Hollywood des années 30 où un obscur assistant (joué par le fameux comédien italien Arturo Brachetti, dont la présence semble un peu superflue) s’amuse à se projeter de vieilles bobines des temps héroïques, avec ces personnages stéréotypés et la nécessité d’aller vite dans l’expression en grossissant les traits. C’est l’univers du burlesque agrémenté de l’effet, popularisé par Woody Allen dans La rose pourpre du Caire, du personnage sortant de l’écran. On s’amuse à cette ouverture bienvenue qui pourrait donner à ce Barbier une couleur attendrissante en accord avec la partition. Mais Rolando Villazón ne se contente pas de souligner d’un trait de plume ce mariage plein de charme entre passé et présent : il troque la plume pour le feutre rouge, le feutre pour le pinceau de peintre en bâtiment et le pinceau pour la brosse large ! Finalement, il barbouille tellement de gags et re-gags cette action subtile et fragile qu’il l’écrase pour en faire une farce lourde et indigeste. Bien sûr on rit, on s’esclaffe même souvent, car ces effets accumulés recèlent des vertus comiques indéniables, mais cela transforme une comédie légère en un music-hall où tout est trop : trop de gags, trop de couleurs, trop de lumière, trop d’artifices, trop de tout ! Sauf que, à ce régime-là, la musique parait souvent en trop : le visuel tue la ligne musicale, les subtilités harmoniques, les couleurs agencées par Rossini. Car Rolando Villazón ne veut que mettre des pétards, quand il faudrait ne serait-ce que de temps en temps laisser place à la musique

Il barbiere di Siviglia Festival de Salzbourg, 2022: Nicola Alaimo (Figaro), Cecilia Bartoli (Rosina),

Le résultat est qu’on n’entend plus rien : on perçoit simplement un vent qui tourbillonne, un rythme qui s’emballe, une averse d’images souvent récurrentes, de citations cinématographiques multiples (de l’apparition de Zorro à celle de Nosferatu le vampire ou à celle du monstre de Frankenstein !), de clins d’œil appuyés, d’effets un peu lourdingues, de mille et une approximations qui, à force de se vouloir sans cesse drôles, finissent par fatiguer ! Et cet alourdissement étire le temps à tel point que ce Barbier à la sauce Villazón dure trois heures quarante ! À la fin, on est fourbu. Pourtant, il y a de beaux moments au milieu de ce déballage de gags à foison, mais à peine une idée s’éveille-t-elle qu’elle est déjà chassée par une autre et une autre encore, comme s’il fallait en faire plus, toujours plus. Dommage ! Rolando Villazón a assurément le sens du spectacle mais il n’a pas le sens de la mesure.

Heureusement, il y a la musique – et là, on est servi avec tout ce qu’on attend de Rossini, légèreté de l’orchestre, infinies couleurs des voix, virtuosité étourdissante, subtilité, expressivité, un vrai bonheur comme seul peut en offrir un Festival comme Salzbourg. Le jeune Uruguayen Edgardo Rocha, qui commence prudemment, s’échauffe peu à peu et déploie des trésors en Almaviva comme seul le peut un ténor de grâce ; le vétéran Alessandro Corbelli fait, en Bartolo, oublier ses soixante-dix ans avec une verve qui ne retombe jamais ; le somptueux Ildebrando d’Arcangelo, timbre de bronze et présence inquiétante, donne de Basilio un portrait exaltant (son air de la calomnie fait monter la tension avec quelque chose de véritablement diabolique). Figaro, le rôle-titre, échoit à Nicola Alaimo qui, après un air d’entrée proprement renversant, maintient durant tout le spectacle l’ampleur de son immense voix sans que rien ne semble jamais lui coûter. Et il mène la danse avec une élégance étonnante : car si son vaste corps occupe largement la scène, il conserve pourtant, qu’il danse ou joue, ou qu’il entre à trottinette, la légèreté d’une plume.

Et bien sûr il y a la Rosina de Cecilia Bartoli : un peu en-deçà de ses possibilités dans son air d’entrée, Una voce poco fa, elle se ressaisit très vite et se lance alors dans un festival personnel de vocalises toutes plus éblouissantes les unes que les autres, sachant sans cesse inventer des couleurs profuses, relancer un rythme, jouer d’un souffle, faire des clins d’oreille : son duo avec Figaro, Dunque io son, est de ce point de vue un de ces moments où l’on perd ses repères, enivré par une telle facilité vocale en même temps qu’une telle rigueur dans la tenue de la ligne, dans la précision des coloratures, et une musicalité qui lui donne une présence vocale qui est sa signature. Cecilia Bartoli demeure à la fois un phénomène vocal qui apparait comme un défi et une femme qui rend le bonheur contagieux !

Il barbiere di Siviglia Festival de Salzbourg 2022 - Saluts

Tout cela est porté, soulevé, relancé en des tempi vifs et des couleurs chaque fois neuves par l’excellent orchestre des Musiciens du Prince de Monaco, dirigé à l’énergie par Gianluca Capuano (après, curieusement, une Ouverture ratée, plus bruyante que musicale et qui commence par inquiéter !), sans jamais relâcher le rythme, fut-ce parfois au détriment des couleurs. On n'oubliera pas de souligner le joli travail de contrepoint sonore des deux artistes du continuo, Andrea Del Bianco au pianoforte et Francesco Galligioni au violoncelle, qui brodent sur des citations là encore souvent cinématographiques (dont le thème du Parrain, plusieurs fois) et inventent sans cesse des atmosphères plaisantes.    

Alors oui, il y a trop à voir (de mon point de vue) dans ce Barbier mais il n’y a jamais trop à entendre. Et il y a du bonheur dans cette soirée. Alors ma question initiale se repose : si le public est heureux, pourquoi ne pas lui donner raison ?

Alain Duault
Festival de Salzbourg, 8 août 2022

Il Barbiere di Siviglia - Salzburger Festspiele, du 4 au 16 août 2022

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