Après l’avoir chanté pour la première fois à Avignon il y a deux ans, puis l’avoir repris à Berlin et bientôt à Milan et à Vienne, Béatrice Uria Monzon a enfin offert sa Tosca au public parisien – qui s’en est montré enchanté, à juste titre.
Il n’y a pas à revenir sur ce qu’a écrit Albina Belabiod ici-même en ce qui concerne la production, passe-partout et sans véritable intérêt, pas plus qu’en ce qui concerne la direction de Daniel Oren, qui manque toujours de la densité orchestrale puccinienne et d’une réelle empathie avec les chanteurs.
Mais l’intérêt consistait dans le renouvellement du plateau vocal. Guère de plaisir avec le Mario fruste, à la voix instable et mal conduite, de Massimo Giordano. En revanche, le Scarpia de Sebastian Catana se situe dans la perspective de Tito Gobbi, personnage massif, tout d’un bloc, à la voix pleine – mais sans toute la subtilité qu’avait su y mettre Ludovic Tézier, qui faisait de Scarpia un pervers sadique tout à fait impressionnant, glaçant même, d’une force théâtrale exceptionnelle sans besoin d’en rajouter. Et puis il y a Béatrice Uria Monzon.
Dès son entrée, le personnage affirme son originalité : cette Floria Tosca est une jeune femme toute à son amour sans être une jalouse hystérique comme on le voit trop souvent : elle est amoureuse, inquiète bien sûr, joueuse aussi et la voix de Béatrice Uria Monzon décrit parfaitement cette personnalité vive, avec de belles couleurs jamais épaissies. Le deuxième acte la montre cette fois dans son ardeur expressive, la voix se cuivrant sans jamais s’alourdir, demeurant ardemment projetée pour dessiner le personnage de cette pauvre jeune femme désemparée face à cet ogre sadique mais bien décidée à combattre, à lui résister, à aller jusqu’au bout. Car même si elle ne prémédite par le meurtre de Scarpia, elle en est entièrement habitée dès l’instant où, d’un pudique hochement de tête, elle cède à l’infâme. Et, de ce point de vue, sa pantomime tandis que Scarpia écrit le sauf-conduit est un modèle d’expression théâtrale par le geste, le regard, la présence : elle lève les yeux vers le buste de Néron, puis jette un coup d’œil fugitif vers Scarpia – et on « entend » son interrogation : si je lui fracassais le crâne avec ce buste… Puis, se déplaçant, elle va vers le fauteuil, aperçoit le pistolet de Scarpia – et à nouveau on « entend » la question qu’elle se pose à l’intérieur d’elle-même… Enfin, se rapprochant de la table, elle aperçoit le couteau – mais s’en détourne : non, elle est trop pieuse pour planter de sang-froid un couteau dans le ventre d’un homme, fut-il un monstre… C’est pourtant ce qu’elle accomplit quelques instants plus tard, presque instinctivement.
Grand art de comédienne qu’accompagne un art du chant subtilement coloré et jamais exacerbé : elle demeure jusqu’au bout, jusqu’à même l’expression de son désespoir à l’acte suivant, quand elle découvre que son Mario a été tué, une malheureuse jeune femme amoureuse et piégée, jamais une furie. Béatrice Uria Monzon approfondit ce rôle qui lui va comme un gant et, ainsi, se dirige vers les prochaines incarnations qu’on attend d’elle, une Lady Macbeth par exemple, quelques autres encore…
C’est l’intérêt des distributions qui se renouvellent : elles peuvent transfigurer une production grâce à des personnalités fortes, comme l’est Béatrice Uria Monzon. Gageons que la reprise, la saison prochaine, avec Anja Harteros et Bryn Terfel, apportera encore de quoi frissonner du fait de la musique et du chant, qui demeurent l’essentiel à l’opéra.
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06 novembre 2014 | Imprimer
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