C’était un secret de polichinelle depuis longtemps – mais Alexander Neef a enfin officialisé la nomination de Gustavo Dudamel au poste de directeur musical de l’Opéra de Paris. Le chef vénézuelien est déjà largement connu du public français – mais à vrai dire plus par son travail de chef symphonique, et surtout par son aura personnelle et son implication dans El Sistema, ce formidable programme qui a permis d’aider, et plus qu’aider, soutenir, dynamiser une partie de la jeunesse vénézuélienne grâce à la musique. Dudamel, avec son Orchestre des jeunes Simon Bolivar, a permis à cette belle initiative de se populariser, de dépasser les frontières de son pays, de redonner une volonté éthique à la musique, à sa pratique comme à son écoute.
Mais c’est comme chef lyrique qu’il est engagé, pour un mandat de six ans. Belle prise pour Alexander Neef et l’Opéra de Paris car le rayonnement international de Gustavo Dudamel est incontestable. Beau pallier de carrière pour le jeune chef de 40 ans qui voit là une occasion de déployer sa carrière dans cette direction qui n’a pas été celle de ses débuts, même s’il l’a pratiquée à plusieurs reprises et dans des lieux prestigieux, la Scala de Milan, le Liceu de Barcelone, le Metropolitan Opera de New York et… l’Opéra de Paris ! C’est d’ailleurs sa prestation à la tête du brillant mais exigeant Orchestre de l’Opéra, pour La Bohème, en 2017, qui a électrisé les musiciens et ce n’est un secret pour personne qu’ils avaient fait part à Alexander Neef de ce coup de foudre. Pour autant, une carrière lyrique se bâtit sur un répertoire – ce qui n’est pas encore le propre de ce chef.
Quand Nicolas Joël avait fait le choix de Philippe Jordan, c’était un autre pari : il était plus jeune, 35 ans à sa prise de fonction, moins connu (même si le souvenir de son père, Armin Jordan, l’avait propulsé dans l’arène) mais il avait déjà un répertoire lyrique consistant à son actif, passé par les plus grandes maisons d’opéra et les plus importants festivals lyriques. Impressionnant les musiciens de l’Opéra de Paris dans deux ouvrages de Strauss qu’il est invité à diriger, à 30 ans pour Ariane à Naxos et 32 ans pour Le Chevalier à la rose, sa nomination à partir de 2009 à la direction musicale de l’Opéra de Paris avait quelque chose de plus évident. On observera que la rencontre de l’Orchestre de l’Opéra avec Philippe Jordan s’était faite grâce à Strauss, celle de Gustavo Dudamel à travers Puccini : est-ce une indication pour l’avenir ? Toujours est-il que Philippe Jordan peut s’enorgueillir de partir sur un excellent bilan : ses douze années à la tête de l’Orchestre ont assis la réputation d’excellence de cette formation qui est peut-être aujourd’hui la meilleure de France. Les cordes y sont brillantes, les bois chauds, les cuivres denses, tout concourt au plaisir d’une représentation à l’Opéra Bastille ou au Palais Garnier – même si, là plus encore que pour les voix, le streaming qui remplace aujourd’hui, pour cause de fermeture sanitaire, le plaisir physique de l’écoute en salle, écrase les dynamiques, le grain, les couleurs de cet Orchestre somptueux.
Et Philippe Jordan, avec quelques pièces majeures, des Noces de Figaro à Moïse et Aaron ou Samson et Dalila, de Cosi fan tutte à Tristan et Isolde ou Lohengrin, de Don Carlos aux Troyens ou à Pelléas et Mélisande, a su imposer sa « patte » à un répertoire de haut vol. On regrettera seulement pour lui autant que pour nous que le projet d’un Ring conclusif ait été sabordé par la Covid… Mais, quoi qu’il en soit, le relais que tend Philippe Jordan à Gustavo Dudamel est riche de promesses à confirmer et de perspectives à dessiner. Merci donc à Philippe Jordan, bienvenue à Gustavo Dudamel !
Il reste donc au nouveau directeur musical de l’Opéra de Paris à confirmer l’excellente impression qu’il a faite avec La Bohème, à faire de cette première rencontre heureuse le point de départ de rendez-vous multiples dans des répertoires variés et renouvelés, à conserver avec l’Orchestre cet accord qui s’est réalisé d’emblée et qui tient au rayonnement personnel du chef autant qu’à sa précision rythmique et à la souplesse de son récit musical, en termes de phrasés comme de couleurs, et à montrer au public que, de Puccini à Mozart ou de Wagner à Verdi, il est bien pour la maison le chevalier décidé à lever haut cet étendard qui désigne l’Opéra de Paris comme un des premiers du monde.
16 avril 2021 | Imprimer
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