On avait été emballé en 2018 par cette jolie production du Don Pasquale de Damiano Michieletto : on retrouve avec plaisir ce décor comme crayonné, une manière d’esquisse où l’on ne voit que le dessin du toit, quelques portes qui délimitent des espaces tout cela transparent, musical (même si cette absence de matière n’aide pas les voix qui se perdent parfois un peu, surtout quand les chanteurs évoluent dos à la salle). D’autant que, et c’est un vrai bonheur, la fine direction d’acteurs de Damiano Michieletto sait sans cesse relancer la vivacité de cette pochade étourdissante qui fait du bien en ces temps un peu lourds. Ça bouge beaucoup mais intelligemment, c’est vivant mais jamais brouillon, c’est rythmé, mais toujours musical. Avec une utilisation pour une fois théâtrale de ces vidéos clin d’œil qui, en direct, jouent au second degré de l’arithmétique des sentiments. Car c’est bien de cela dont il s’agit ici, du désir libidineux du vieux Don Pasquale, de la rouerie amoureuse de la jeune Norina, de la passion un peu benête du jeune Ernesto, et du plaisir machiavélique de Malatesta, docteur manipulateur qui tire toutes ces ficelles sentimentales avec une jouissance à l’amoralité consommée.
Don Pasquale, Laurent Naouri, Julie Fuchs (c) Franck Ferville / Opéra national de Paris
L’Opéra de Paris a su réunir une distribution pour l’essentiel française qui montre ses ressources, à commencer par le rôle-titre, Don Pasquale, dont Laurent Naouri fait une composition réjouissante, avec une touche de mélancolie émouvante : à 59 ans, le baryton, familier de l’Opéra de Paris, montre qu’il y a toujours toute sa place, avec cette émission nette, franche, ces graves intacts et sa façon d’incarner un personnage comme s’il lui était consubstantiel. Mais l’autre baryton, le délicieusement sardonique Malatesta, bénéficie de la présence et de la voix de Florian Sempey, dont la silhouette rajeunie n’a en rien entamé la voix, ce phrasé bel cantiste, ce sens très rossinien du staccato virtuose (on connait son sensationnel Figaro du Barbier) qui convient parfaitement à Donizetti quand celui-ci cavale ainsi : tout cela s’épanouit dans le grand duo de ce Malatesta avec Don Pasquale au troisième acte, un régal ! L’Ernesto de l’Américain René Barbera, dont la voix un peu petite pâtit de ce décor ouvert, manque hélas de charme, tant scéniquement que vocalement, avec son timbre par trop monochrome, un manque de nuances (il chante presque toujours forte) et une présence sans charisme. Certes, il a l’aigu facile mais il s’en contente un peu trop facilement. C’est exactement le contraire avec la Norina de Julie Fuchs : la voix est claire, limpide, fruitée (même si parfois un peu légère dans ce « décor » qui ne renvoie rien) mais l’interprétation est tellement savoureuse qu’on est emporté par cette meneuse de revue au naturel époustouflant ! Si elle est fascinante de beauté épanouie dans sa robe rouge du dernier acte, elle est encore plus craquante dans son apparition en enfant de Marie dont les minauderies et jeux de jambes calculés sont carrément torrides : l’idéale adéquation de la voix, du tempérament et du personnage en font un délice qui réjouit la salle.
Et tout cela est dynamisé par la direction réjouissante de l’excellente cheffe italienne Speranza Scappucci, à la fois gonflée d’énergie et pleine d’élégance, très attentive à l’équilibre fosse/plateau mais sachant faire ressortir à bon escient les couleurs du toujours magnifique orchestre de l’Opéra de Paris. Une reprise heureuse et exemplaire donc, qui ravit tout le monde !
Alain Duault
Paris, 20 septembre 2023
Don Pasquale au Palais Garnier, du 13 septembre au 14 octobre 2023
21 septembre 2023 | Imprimer
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