Le point de vue d’Alain Duault : Festival de Salzbourg, Falstaff dénaturé

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Falstaff (Giuseppe Verdi)
Grosses Festspielhaus - Festival de Salzbourg

Les bras en tombent ! Pourquoi Christoph Marthaler a-t-il accepté de mettre en scène le Falstaff de Verdi s’il n’aime pas cet opéra ? Car il est évident qu’il ne l’aime pas pour l’avoir ainsi piétiné ! D’autant que cette pièce est une mécanique subtile, très difficile à mettre en place et n’a donc pas besoin de cette surcharge à gros sabots qui la réduit à n’être plus que l’illustration sonore d’un autre projet ! Marthaler choisit en effet de montrer non pas le Falstaff de Verdi mais un Falstaff qui ressemble à une répétition pour un film, le film d’Orson Welles – puisque c’est cet Orson W (ainsi qu’il est crédité dans la distribution) qui occupe le centre de la scène, sur son fauteuil de réalisateur, faisant avancer le travelling, corriger une attitude, boire force whisky pour trouver des idées sans doute, mais ne jamais s’intéresser au Falstaff chanteur. L’action de l’opéra est reléguée aux marges, se déroulant soit à jardin, dans une salle de projection, soit à cour, au bord d’une piscine, mais très rarement sur la scène de ce studio de cinéma ! Le Falstaff de Verdi est en fait la bande-son de ce tournage foutraque qui s’essouffle dans des gags minables, lesquels ne font rire personne, surtout pas le public : la bronca est sévère avant l’entracte – et après, une bonne partie de la salle choisit la fuite !

Car le procédé éculé du théâtre dans le théâtre, recyclé ici en théâtre dans le cinéma, n’apporte strictement plus rien – mais détruit tout, la légèreté, la poésie, l’illusion, l’ambivalence, la gaieté. Et on met au défi qui ne connait pas parfaitement son Falstaff de s’y retrouver dans ce scénario en miettes, cette destruction systématique du récit : c’est donc un geste profondément élitiste qu’accomplit ce metteur en scène en saccageant l’ultime bijou de Verdi. Se voulant moderne, il ne fait que reproduire par égotisme le phénomène de caste de « celui qui sait » et ne veut surtout pas se soumettre à la logique d’une œuvre dont il se sent plus intelligent : ce mépris du public est difficilement supportable.


Falstaff Festival de Salzbourg 2023 : Marc Bodnar (Orson W.), Gerald Finley (Sir John Falstaff)

Dans ces conditions, comment juger des efforts des artistes ? Bien sûr la beauté des cordes et des bois du Philharmonique de Vienne parvient à faire entendre ses scintillements, en contradiction totale avec ce que l’on voit. D’ailleurs, sur ce plateau-débarras, on voit très vite que les chanteurs n’y croient pas eux-mêmes, avançant contraints jusqu’à la fin sans presque jamais prendre et communiquer du plaisir. Gerald Finley conserve en Falstaff un beau timbre qu’il sait à plusieurs reprises mettre en valeur mais il parait totalement désabusé, au-delà de son personnage. Simon Keenlyside, survolté comme trois piles électriques, se jette dans Ford avec un éclat jamais retenu, les figures féminines, Elena Stikhina en savoureuse Alice, Cecilia Molinari en Meg ou Tanja Ariane Baumgartner en Mrs Quickly (bien que manquant de grave) sont plutôt bien chantantes mais disparaissent le plus souvent sous l’avalanche des figurants tourbillonnant autour d’elles. Car, bien sûr, comme Marthaler ne croit pas en la musique de Verdi, il la parasite sans cesse avec des actions parallèles. Seule la Nanetta de la jeune Giulia Semenzato tire son épingle du jeu avec un timbre lumineux et un chant délicat (même quand elle doit le déployer dans des conditions abracadabrantesques).

À la baguette, Ingo Metzmacher fait de son mieux pour tenter de retenir la débâcle mais les décalages s’accumulent, jusque dans la fugue finale qui tombe comme un cheveu sur la soupe aigre d’un spectacle indigne du Festival de Salzbourg.

Alain Duault
Salzbourg, 20 août 2023

Falstaff au Festival de Salzbourg du 12 au 30 août 2023

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