Le point de vue d’Alain Duault : Les Brigands aux Folies-Garnières

Xl_opera_national_de_paris-les-brigands-2024-2025---agathe-poupeney-onp-alain-duault © Agathe Poupeney / OnP

Nul doute que le Palais Garnier n’ait jamais vu une telle débauche sous ses ors vénérables, débauches à tous les sens du terme d’ailleurs tant le kitsch qui préside à cette nouvelle production des Brigands signée Barrie Kosky éclabousse les yeux, les oreilles et mille autres sens dans ce spectacle qui n’est ni vraiment l’opéra-bouffe d'Offenbach ni vraiment autre chose, revue, music-hall, séquence chansonnière, carnaval déjanté et loufoque, potion magique contre la mélancolie, indigestion de sons, de cris, de bruits de toutes provenances, de couleurs criardes, d’à peu près et de rigolades, de pif paf pouf et d’Offenbach new look, un peu de tout ça et plus encore…

C’est justement cela la réussite de Barrie Kosky, transformer l’Opéra Garnier en un immense cabaret burlesque dont les protagonistes semblent bourrés d’amphétamines pour pouvoir tenir à un rythme de 24 Heures du Mans cette fresque foldingue dont le sujet est l’intérêt d’une bande de voleurs pour la dot de la Princesse de Grenade, trois millions (d’on ne sait d’ailleurs quelle monnaie, pesetas, lires, euros, bitcoins…) que doit recevoir le Prince de Mantoue, son futur époux – à moins que ce ne soit le contraire… En fait, on ne sait plus très bien puisque tout le monde passe son temps à se travestir dans le plus pur esprit d’Offenbach qui, bien sûr, en bon caricaturiste du Second Empire, a voulu faire la satire de cette société corrompue dont c’est le costume, l’apparence, qui seule décide si l’on est du bon côté – fut-ce à faire une pirouette pour être de l’autre côté et de tous les côtés à la fois ! C’est le queer à tous les étages ! Et c’est aussi vrai aujourd’hui qu’hier…

Autant dire que c’est le rythme qui porte et emporte tout et là, Barrie Kosky, avec une direction d’acteurs époustouflante, millimétrée (alors qu’il doit manier des dizaines de personnages) est tout simplement bluffant : tout coule, vire, file, s’emboite, se déroule, se mêle, se démêle et recommence avec un brio sidérant ! Et au milieu de ces tours et détours, au coin de ces saturnales hispano-italiennes-etc., il parvient à scotcher le public avec une entrée de l’ambassade espagnole qui, avec ses Ménines dégoulinantes d’or et autres statues religieuses dans le goût de la Semaine Sainte à Malaga ou à Cadix, a tout d’un faux Velasquez – puisqu’ici tout est faux : ça en jette ! On n’en finirait plus de détailler les mille et une trouvailles, farces et facéties bouffonnes de ce spectacle ivre jusqu’au delirium – mais il faut souligner qu’il est aussi porté par une réalisation musicale exceptionnelle.

Les Brigands, Palais Garnier 2024-2025 (c) Agathe Poupeney
Les Brigands, Palais Garnier 2024-2025 (c) Agathe Poupeney

Le chef, Stefano Montanari, n’hésite pas à en faire trop d’un bout à l’autre, remettant sans cesse du carburant dans sa machine à rythmes, fut-ce à se perdre de temps à autre dans le labyrinthe de folies en tous genres. Il faut dire qu’il est servi par l’Orchestre de l’Opéra de Paris qui s’en donne à cœur joie, par le chœur qui tourbillonne et par une distribution particulièrement réjouissante qui mettrait le feu à l’eau. Pas question de détailler : chacun est au mieux et tous sont formidables ! On soulignera pourtant la performance du ténor néerlandais Marcel Beekman qui, en drag-queen sosie de la fameuse Divine, campe un Falsacappa, le chef des brigands, haut en couleurs visuelles et vocales ; on saluera la Fiorella, la fille du bandit, interprétée avec finesse par Marie Perbost, qui met un peu de temps à se chauffer mais dont le charme fait mouche ; on  applaudira l’épatante Antoinette Dennefeld en Fragoletto, timbre sensuel, chant épicé, véritable meneuse de revue et reine de la soirée. Et on s’amusera du chef des carabiniers Laurent Naouri, à la tête de sa brigade très gendarmes de Saint-Tropez, du Gloria-Cassis de Philippe Talbot, désopilant dans ses couplets au texte inoubliable (« Y a des gens qui se disent espagnols mais qui n’sont pas du tout espagnols ; nous, nous sommes de vrais espagnols, ça nous distingue des faux espagnols »), tout comme on se divertira du Prince de Mantoue très Christian Clavier de Mathias Vidal et de tous les Franck Leguérinel, Eric Huchet, Rodolphe Briand et autres Marine Chagnon ou Doris Lamprecht, toutes celles et tous ceux qu’on aime et qui font la fête sur scène pour le plus grand plaisir du public.

Bien sûr il y a parfois des longueurs et on pourrait couper une demie heure sans dommage, bien sûr les dialogues parlés réécrits à la sauce contemporaine sont un peu convenus et sans l’acidité que le spectacle mériterait, bien sûr on est un peu déçu que l’habituellement corrosive Sandrine Sarroche ait mis du miel dans son fiel et ne fasse pas mouche dans ses couplets du caissier, bien sûr, bien sûr, mais il y a une telle folie communicative dans ce spectacle qui est un pur olni (objet lyrique non identifié) qu’on oublie tout ce qui n’est pas champagne (même quand c’est du mousseux) et on se dit qu’en ces temps moroses, il n’y a pas de mal à se faire du bien !

Alain Duault
Paris, septembre 2024

Les Brigands à l'Opéra Garnier, du 21 septembre 2024 au 12 juillet 2025

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