Un Théâtre du Châtelet bourré comme jamais, essentiellement par un public jeune, d’une moyenne d’âge de 25 à 35 ans, dynamique, plein d’empathie avec les personnages : le succès de ces Misérables offre une réponse à la question du renouvellement du public que se pose – en vain – depuis des années tout amateur d’opéra ! Comment rajeunir et élargir ce public qui demeure obstinément figé sur le troisième âge dans toutes les institutions lyriques internationales, et singulièrement en France ? C’est peut-être une (des) possibilité(s) qui peut se résumer en quelques ingrédients : une histoire forte, des caractères puissants, une musique directement appréhensible, basée sur des effets qui portent des émotions coup de poing, un spectacle dynamique, avec des images sans cesse en mouvement et une direction d’acteurs évidente. Ici Ladislas Chollat ne cherche pas à proposer de thèse plus ou moins sophistiquée ou absconse mais offre une vraie mise en scène qui veut raconter une histoire, celle des Misérables de Victor Hugo. Pas de décors ou de costumes affirmant une soi-disant « modernité » avec lavabos, bidets, kalachnikovs, drag-queens et autres vieilleries à la « provocation » usée jusqu’à la trame. Ici tout est clair sans être pour autant primaire : un exemple, l’utilisation adroite des dessins, lavis et encres de Victor Hugo en décors projetés sur des tulles, qui crée une atmosphère discrètement poétique. Et puis des éléments simples, tables de café, grille de maison bourgeoise, vertige de la perspective des égouts, qui définissent un espace, une couleur, une situation, tout comme les beaux costumes qui disent beaucoup d’un seul regard. On est happé par ces scènes rapides et concentrées, par ces airs et ces chœurs qui se pressent dans l’avancée de l’histoire, jusqu’à ce final qui fait se lever toute la salle dans une ovation en cadence ! Chapeau les artistes !
Pour analyser plus en détails les raisons de ce triomphe incontestable, il faut souligner la réussite de la musique de Claude-Michel Schönberg, aux accents rayonnants, avec des thèmes récurrents, des leitmotivs, des effets symphoniques – dont on se demande d’abord d’où ils viennent jusqu’à ce qu’on découvre l’orchestre en fond de scène, caché par un rideau sur lequel des projections permettent les enchainements du récit. Et l’écriture vocale sait toucher d’emblée tous les cœurs : c’est ce que reconnait ce public sans a priori, d’autant que la distribution est riche de véritables voix, de celle, chaude et ardente, d’Océane Demontis qui bouleverse en Eponine, à celle, fragile et déchirante de Claire Pérot, qui dessine un portrait si touchant de Fantine. Et les deux protagonistes principaux, Jean Valjean et Javert, sont impeccables, l’un, Benoit Rameau, avec un timbre clair qui s’ouvre sur le ciel quand l’autre, Sébastien Duchange, a la noirceur brûlante qui affirme obstinément le droit, la règle, le « vrai ». Opposition de couleurs, opposition de caractères, opposition de regards sur le monde – qui conduit à l’extase du bien pour l’un et au suicide comme seule réponse à l’impasse d’une vie bloquée sur l’inanité de sa « vérité » pour l’autre. Mais toute la distribution est épatante, avec mention spéciale au couple Thénardier de David Alexis et Christine Bonnard, à la truculence impayable. Tout cela est sans cesse exaltant, entrainant, évident – classique au meilleur sens du mot.
Hello Dolly, Lido 2 Paris (c) Julien Benhamou
Au Lido 2 Paris, devenu sous la direction de Jean-Luc Choplin un des lieux de (re)découvertes de la comédie musicale à travers les styles, Hello Dolly de Jerry Herman est un autre triomphe, pourtant assis sur un tout autre parti-pris – et qui attire un public un peu différent, des jeunes mais moins nombreux et moins enflammés, plutôt des quadragénaires qui viennent en famille ou entre amis pour découvrir, retrouver et quoi qu’il en soit savourer ce bijou du musical à l’américaine, popularisé de surcroit par un superbe film de Gene Kelly avec Barbra Streisand. Créé il y a soixante ans cette année, c’est un divertissement qui ne prétend à aucun message – sinon que, à notre époque farcie de wokisme, cette exaltation toute simple (voire parfois simpliste) de la bonne humeur, de la gentillesse et de l’amour qui fait battre le cœur véhicule une manière de message en creux qui procure le sentiment de reprendre souffle et de respirer mieux. Pourtant la réussite du spectacle n’est évidemment pas dans la dramaturgie-prétexte mais dans le pétillement étourdissant des airs, des chœurs et de la danse qui emporte tout. Les tubes se succèdent, les scènes de danse s’enchainent, dont un sensationnel numéro de claquettes des serveurs du restaurant en redingote rouge, mais tout est toujours en mouvement, même quand on ne danse pas : la scène dans la boutique de la modiste Irène Molloy, avec le jeu de cache-cache de Cornelius et Barnabé, deux gentils garçons qui découvrent New York, qui découvrent les femmes, qui découvrent la vie, est épatante de vivacité et de plongée sous les tables ou à travers le comptoir, tout cela à un rythme soutenu par un orchestre très swing placé en surplomb du plateau. Tous les protagonistes semblent d’ailleurs amphétaminés, faisant de ce spectacle virevoltant une soirée champagne ! Et puis il y a surtout, en meneuse de revue, en marieuse, arrangeuse, professeure de danse, avocate, chanteuse, actrice, l’époustouflante tornade d’une vraie vedette internationale du musical, Caroline O’Connor, une anglo-australienne au rayonnement entrainant qui depuis quarante ans mène grand train dans les comédies musicales qu’elle irradie d’un côté à l’autre de l’Atlantique. Outre qu’elle est un remède à la morosité, cette Dolly superlative fait frissonner par sa voix riche, ambrée, profonde, et ses ressources apparemment inépuisables.
Ajoutons que les costumes, éventail de couleurs pastel et de formes dansantes, contribuent au plaisir visuel de cet hommage à l’esprit de la comédie musicale des années 60. En ces temps bien peu festifs, cela fait le plus grand bien à un public conquis tout au long de la soirée – et même à l’entracte quand on retrouve les jeux d’eau du Lido ancienne manière, comme un clin d’œil qui ravit tout le monde.
Avec Les Misérables au Châtelet et Hello Dolly au Lido, cette année 2024 largement oubliable donne envie de se lancer dans 2025 avec la pêche qu’on croyait avoir perdue !
Alain Duault
Paris (décembre 2024)
- Les Misérables au Théâtre du Châtelet, du 20 novembre 2024 au 2 janvier 2025
- Hello Dolly au Lido 2 Paris, du 7 novembre au 4 février 2025
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