Décidément, cette collection « mode d’emploi » des éditions Premières Loges (associées à la toujours passionnante revue L’Avant-Scène opéra) s’avère au fil des volumes tout simplement indispensable. Ce Rossini mode d’emploi, qui s’inscrit dans une bibliographie plutôt maigre concernant l’auteur du Barbier (mis à part le bel et subtil essai de Frédéric Vitoux paru il y a près de vingt-cinq ans), s’impose autant par la clarté et la précision de l’information dispensée que par une écriture claire et légère en parfaite adéquation avec son sujet. Chantal Cazaux (par ailleurs rédactrice en chef de L’Avant-Scène opéra) aime vraiment ce Rossini et cette gourmandise perceptible faufile son récit avec un bonheur contagieux.
Le découpage de ce « mode d’emploi », conforme à la tradition de la collection, part de points de repères clairs et instructifs : on y apprend aussi bien que son vrai prénom n’est pas Gioachino mais Giovacchino, qu’il n’a pas composé le trop fameux Duo des chats, qu’il savait jouer de sa séduction avec telle ou telle, que le célèbre tournedos n’est pas une de ses « compositions » mais celle du chef de la Maison dorée, un fameux restaurant des Grands Boulevards – encore que son tropisme gastronomique est bien avéré à tel point qu’on lui a dédié l’édition 1829 de l’Almanach des gourmands. On y découvre aussi qu’à côté de sa prospérité financière, Rossini a souffert de diverses affections qui l’ont parfois conduit au bord de la dépression.
La deuxième partie offre trois éclairages complémentaires de celui qu’on a surnommé « le cygne de Pesaro » : d’abord une éblouissante analyse de sa vocalita, de ce que Chantal Cazaux nomme joliment son « ébriété vocale », cette virtuosité frénétique, colorature, où toutes les figures les plus acrobatiques déploient un feu d’artifice sonore, lui-même dynamisé par une orchestration riche de colorations et par une pulsation rythmique implacable. Une de ses figures majeures, le célèbre crescendo, est ainsi décrit comme procédant « par accumulation d’énergie et agrégation progressive de forces » : c’est cette impression littéralement physique que produit « cette efflorescence bouillonnante » dont regorge par exemple Le Barbier de Séville. Chantal Cazaux conclue cette partie avec une phrase qui résume tout : « Rossini a créé une musique vibrionnante, porteuse d’un feu intérieur vertigineux, délirant ou euphorique. Pour cela, bravo e grazie, maestro ! ».
La troisième partie, traditionnelle mais précieuse, est une analyse de dix-huit opéras essentiels, de Tancredi à Guillaume Tell, qui définissent dans leur progression de parcours d’une esthétique. Chaque analyse se déploie en cinq parties : genèse et création, résumé de l’action, guide d’écoute, personnages, enjeux. On notera qu’une application ASOpéra permet de suivre les extraits audios de ces dix-huit opéras, tout comme une riche iconographie en couleurs offre un panorama des styles de leurs représentations.
Une quatrième partie s’attarde sur le chant rossinien, de ses qualités instrumentales à la maitrise d’une technique redoutable, sur ses vedettes à travers les âges, sur les styles de direction qu’ont su maitriser les chefs dans la périlleuse synchronisation avec le plateau, sur quelques-uns des parti pris de mise en scène de ces opéras foisonnants.
Enfin, une dernière partie, pratique, permet de s’orienter dans les discographie, vidéographie, bibliographie, chronologie et tutti quanti qui constituent le corpus de tout ce que peut déguster autant l’amateur rossinien que le néophyte prêt à se laisser emporter par ces exaltations sans cesse renouvelées, ricochées, réinventées. Chantal Cazaux souligne d’ailleurs que, à côté du fantastique sentiment de liberté que suscite la musique de Rossini, une modernité non pas de facture mais de perspective s’y fait jour : « Contemporain des derniers castrats d’opéra, Rossini s’éteint avec, en tête, les sonorités de l’avenir ».
Outre la dimension informative et pédagogique propre à la collection, Chantal Cazaux fait souffler dans ce livre un vrai vent de plaisir : ce peut être une belle idée de cadeau pour Noël en ce qu’il fait décoller de la morosité du moment…
» A commander sur le site de l’Avant-Scène opéra… en attendant la réouverture des librairies !...
17 novembre 2020 | Imprimer
Commentaires