Que de fois l’a-t-on vue cette production de Laurent Pelly de La Fille du régiment de Donizetti ! Et pourtant aucune lassitude, aucun effet de réchauffé (comme pour certaines reprises) : là tout est vif, pimpant, gai, enlevé, avec cet enthousiasme qui semble n’être jamais retombé depuis près de vingt ans (la production date de 2007). On pourra seulement déplorer le fait que les dialogues parlés, pourtant « rafraichis » pour faire plus « moderne », semblent parfois sonner faux... Mais l’essentiel est dans la dynamique de ce spectacle imaginé par Laurent Pelly, qui semble marier Donizetti à Offenbach avec une verve effervescente, laquelle saisit d’emblée le public et ne le lâche plus. Transportée dans l’univers des « poilus » de la Première Guerre, l’action coule de source grâce à une direction d’acteurs précise, des chorégraphies toujours en situation et des bonheurs visuels renouvelés, des cartes d’état-major au petit tank (« un argument auquel on ne résiste guère » comme on l’entendra dans Carmen trente-cinq ans plus tard) en passant par le salon pseudo aristocratique de la Marquise de Berkenfield, comme tout juste esquissé. Tout est coloré, tout est juste, tout est euphorisant dans ce spectacle.
Il faut dire que la dimension musicale en est superlative. Porté par la baguette finement belcantiste d’Evelino Pido, qui sait aussi donner la charge avec les marches militaires, l’Orchestre de l’Opéra de Paris se montre toujours aussi précis (à l’exception notable d’un double couac inattendu du cor au début…), coloré, savoureux. Le chœur, préparé avec son soin coutumier par Ching-Lien Wu, est parfaitement en situation et, n'étaient quelques minimes décalages ici ou là, semble jouer avec un tel naturel qu’on oublierait qu’il chante – et fort bien.
La Fille du Régiment (Opéra de Paris) © Elisa Haberer / OnP
Mais par-dessus tout, c’est la distribution joliment renouvelée qui emporte l’adhésion, avec l’éblouissante composition de Julie Fuchs : elle ne cherche pas à faire du Dessay, comme on l’a entendu dans certaines reprises, au contraire elle empoigne le rôle avec tout son potentiel lyrique, cette voix argentée et parfaitement vibrée qui fait merveille autant dans les morceaux de bravoure que dans les romances – en particulier avec un « Il faut partir » si subtilement émouvant, qui rappelle la fine belcantiste qu’est Julie Fuchs. Et elle ne s’économise pas scéniquement, se jetant dans le spectacle avec cette énergie rayonnante qui agrippe le public autant que son chant le touche.
Si Lawrence Brownlee ne démérite pas en Tonio, il ne se hausse jamais au niveau de sa Marie dont on a l’impression qu’elle l’intimide : la voix est probe, la technique impeccable, les neuf contre-uts de « Ah mes amis » sont dispensés glorieusement, mais c’est tout. Il lui manque l’étincelle de Marie – qui, en revanche ne manque pas au Sulpice délicieusement goûteux de Lionel Lhote, tout en rondeurs de tour de taille et de voix : ce complice de Marie sait se faire entendre et faire percevoir sa tendresse avec toujours ce timbre doré dont il sait jouer pour tonner, ou faire semblant de tonner.
Les deux « aristocrates » de cette douce farce sont deux grandes dames, Susan Graham en marquise de Berkenfield comme un gâteau qu’on retrouve avec délice et Felicity Lott en duchesse de Crakentorp, chipie à souhait mais dont les quelques répliques ramènent aux oreilles bien des souvenirs de cette éblouissante. On sort de cette soirée ragaillardi, heureux : en ces temps moroses, voici un spectacle dont il faut profiter pour oublier le reste !
Alain Duault
Paris, 23 octobre 2024
La Fille du Régiment, Opéra national de Paris Bastille, du 17 octobre au 20 novembre 2024
24 octobre 2024 | Imprimer
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