Quel bonheur rare qu’un spectacle où tout est réussi, où le public applaudit de bon cœur tous les artistes, où les visages rayonnent en sortant : c’est ce qu’offre cette Périchole dans un Théâtre des Champs-Elysées archi-comble, comme un antidote idéal à la morosité ambiante.
Il faut redire d’abord combien cette musique est riche d’une énergie qui ne faiblit pas, de ressources qui se relancent sans cesse, de subtilités aussi et de tendresse à côté des grands effets, de maturité artistique : La Périchole, qui date de 1868 (Offenbach a bientôt 50 ans) est sans doute, avant Les Contes d’Hoffmann, le chef-d’œuvre du « petit Mozart des Champs-Elysées » selon la jolie expression de Rossini. Mais, comme tous les chefs-d’œuvre, cette Périchole doit être servie au plus haut niveau : c’est le cas de ce spectacle du fait, en premier lieu, de la direction épanouie de Marc Minkowski. On sait l’affinité de notre grand chef national avec Offenbach, il l’a prouvée à maintes reprises, mais ici il trouve une dimension supplémentaire : sans rien perdre de cette verve rythmique, de ce sens du juste déploiement des phrases et des chutes, de ce fignolage des nuances, des couleurs, des suspens, qui donne au spectacle sa pulsation dramatique, Marc Minkowski fait entendre avec ses Musiciens du Louvre une sonorité orchestrale dont l’aboutissement, le fini, les tanins soyeux, tout fait comme un renouvellement qui offre un plaisir d’écoute rare. L’autre pilier de cette réussite est bien sûr la mise en scène de Laurent Pelly : inventive sans être prétentieuse, fidèle sans être régressive, toujours au service du récit et de la musique, elle pilote l’action, la contrepointe ici ou là d’une brève touche épicée qui la réinscrit dans notre aujourd’hui sans qu’il soit besoin de souligner les effets au crayon rouge d’une « modernité » ostentatoire, joyeuse bien sûr comme l’est la musique, mais sans lourdeur, avec aussi ces moments de poésie qui faufilent l’œuvre, un régal. Mais cette réussite s’appuie sur une distribution parfaite, en totale adéquation avec les nécessités de chaque rôle et leur expression dans ce cadre-ci.
Que ce soient les trois cousines, Chloé Briot fine mouche, Alix Le Saux belle plante, ou Eléonore Pancrazi forte femme, ou les deux compères du vice-roi, Panatellas et Don Pedro, dont Rodolphe Briand et Lionel Lhote, parfaitement appariés, offrent une image irrésistible, très Dupond et Dupont en goguette, tous les seconds rôles sont parfaitement soignés. Mais le trio de tête est de premier ordre : à tout seigneur tout honneur, le vice-roi d’Alexandre Duhamel, collier de barbe et calvitie précoce, souverain de pacotille mais prédateur sans scrupule, projette son beau timbre de bronze sur ses sujets et gambade sur sa ligne de chant avec ce qu’il faut d’esprit et de gourmandise pour savourer son personnage. L’inattendu (dans un tel rôle) Stanislas de Barbeyrac projette sa voix comme un Nadal survolté à Roland-Garros : gouaille et amphétamine font de ce Piquillo claironnant un petit gars des faubourgs qui sait aussi, parfois, être délicat. Mais l’incontestable triomphatrice de la soirée est, dans le rôle-titre, la Périchole qu’interprète de manière superlative Marina Viotti : la voix est d’une étoffe soyeuse et chaude, la ligne s’adapte avec une étonnante versatilité à toutes les atmosphères et situations dramatiques, comme si le chant intériorisait la psychologie du personnage, chaque scène, chaque air est pensé avec une intelligence qui dynamise le chant ! Et quel sens des nuances, quelle palette infinie de couleurs, dans les phrasés et même dans les virgules du chant, les « chut » de la griserie, les « nigaud » de « Que les hommes sont bêtes », mais aussi quelle tendresse subtile dans la Lettre ou quelle sensualité torride dans « tu n’es pas beau » ! Tout est gourmandise dans la voix et dans le chant de Marina Viotti. Quelques-uns savaient déjà que c’était une grande : maintenant tout le monde le saura !
Alain Duault
Paris, novembre 2022
La Périchole, au Théâtre des Champs-Elysées, du 13 au 27 novembre 2022
15 novembre 2022 | Imprimer
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