Jamais plus donné à l’Opéra de Paris depuis 82 ans, après avoir été un des opéras français les plus joués durant le XIXème siècle et jusqu’au début du XXème, Les Huguenots est un de ces ouvrages qui ont fait la gloire de Meyerbeer (à propos duquel on lira avec intérêt la biographie fort bien synthétisée par Jean-Philippe Thiellay, qui vient de paraitre chez Actes Sud). Un autre de ses fleurons avait fait événement en 1985, il y a déjà 33 ans, quand Massimo Bogianckino, alors directeur de l’Opéra de Paris, avait fait remonter Robert le Diable par Petrika Ionesco, metteur en scène à l’imagination follement débordante qui, dans sa démesure et ses débordements même, avait retrouvé quelque chose de ce fameux « opéra à la française » dont on sait que Meyerbeer a été l’initiateur. C’est peut-être cette folie qui manque à ce retour des Huguenots à l’Opéra de Paris. Bien sûr, Stéphane Lissner a pris le parti de la lisibilité – et c’est tout à fait juste quand il s’agit de faire découvrir un ouvrage à un public qui ne le connait pas. Il eût été inconséquent de le confier à un de ces inventeurs d’images que sont les Warlikowski, Claus Guth ou autres Dmitri Tcherniakov : car il faut d’abord montrer l’œuvre avant de la mettre en abyme pour lui faire exprimer son suc.
Mais Andreas Kriegenburg s’est contenté d’une illustration prudente et chic sans que jamais rien ne s’enflamme : un décor blanc, intemporel, sur lequel évoluent des personnages marqués par un manichéisme visuel voulu (les protestants en gris et noir, les catholiques en camaïeu de rouges), une direction d’acteurs sans éclat, un rythme scénique qui ne prend jamais (sauf sans doute au deuxième acte, visuellement le plus réussi)… Il aurait fallu s’interroger sur ce qui a secoué les spectateurs du XIXème siècle afin de trouver un écho à ce choc au XXIème siècle. Aujourd’hui, alors qu’on est habitué partout à des torrents d’images grâce aux « effets spéciaux » au cinéma ou dans la pub, ces Huguenots auraient nécessité une énergie, des vents tempêtueux, des surprises renversantes, quelque chose qui tienne de l’esthétique du Cirque du Soleil ou de ces déflagrations que proposent certains shows de variétés, avec le secours de la vidéo, du mapping et de toutes les techniques qui « mettent le feu » à la scène. Alors que là, tout est propre, blanc, lisse, pas désagréable à voir mais en rien exaltant.
De la fosse aussi on attendait un embrasement : là encore, bien que finement dirigée par Michele Mariotti, la musique n’est jamais une lave, un brasier et si les chœurs de l’Opéra de Paris, comme le plus souvent flamboyants, imposent dès la première scène une ardeur bienvenue, ils ne sont que trop parcimonieusement relancés par l’orchestre. Comme si le chef voulait donner à entendre tous les ressorts de cette musique mais sans jamais se laisser emporter par son souffle. Tout est en place, tout est fort bien ciselé, mais rien jamais ne soulève.
Ermonela Jaho, Florian Sempey, Paul Gay (c) Agathe Poupeney / ONP
Ermonela Jaho, Yosep Kang (c) Agathe Poupeney / ONP
La distribution est finalement ce qui est le plus satisfaisant : dès la première scène, Florian Sempey s’impose en comte de Nevers. Lui ne rechigne pas à se lancer dans l’arène vocale avec ce panache qui le caractérise, avec un mordant qui sonne à l’oreille d’emblée, avec une vocalisation impeccable, avec aussi cette prononciation exemplaire, et comme toujours un sens de la scène époustouflant. Le page Urbain de Karine Deshayes force tout autant l’admiration dès son attaque, « Nobles seigneurs, salut ! » : la voix est riche, projetée avec puissance mais sans jamais forcer, les aigus sont clairs, le personnage dessiné avec finesse et humour. Un modèle ! Voici deux artistes qui font honneur au chant français ! Mais on n’aurait garde d’oublier le Marcel de Nicolas Testé, un peu gauche scéniquement mais à la voix qui s’affirme au mieux dans ce rôle sombre, l’excellent Cyrille Dubois, toujours juste dans chacune de ses brèves incarnations, ou encore les Elodie Hache, Julie Robard-Gendre ou autres Philippe Do, des silhouettes sans doute mais qui satisfont le fait d’entendre beaucoup de Français dans ce spectacle à visée patrimoniale. Le cas de Paul Gay est plus surprenant : on aurait pu penser que le baryton-basse français aurait trouvé en comte de Saint-Bris un rôle qui lui permette d’exprimer toute la violence de ce personnage fanatique. Or il semble constamment en retrait, un peu juste dans les aigus mais surtout étonnamment absent dramatiquement. En revanche, deux femmes dominent le spectacle, d’abord la Reine Marguerite de l’américaine Lisette Oropesa, éblouissante de bout en bout, avec un timbre caressant qui demeure chaud jusque dans les aigus et suraigus dont elle se joue avec une facilité déconcertante. Un souffle aux ressources impressionnantes, des couleurs chatoyantes, des sons filés qui laissent pantois : à 35 ans, elle se hausse d’emblée de Reine de Navarre en Reine de Paris ! De surcroit, son abattage de meneuse de revue au sourire craquant fait fondre la salle, à ses pieds à la fin de ce deuxième acte où son brio fait merveille. Mais, dans un registre différent, la merveilleuse Ermonela Jaho tire les larmes tant elle déploie toutes les ressources de son beau soprano lyrique pour exalter ce personnage de Valentine, déchirée entre son devoir et son amour. Et si la voix, on le sait depuis un certain temps, est splendide, on est encore une fois touché par la force émotionnelle unique qu’elle sait dispenser pour nous brûler au cœur. Malheureusement, elle doit chanter ses quatrième et cinquième actes avec un ténor qui est pour elle un boulet ! Le coréen Yosep Kang, c’est sûr, a sauvé le spectacle après la défection de Bryan Hymel : on peut lui en savoir gré. Mais on ne peut pourtant que déplorer son absence de style, son absence d’aigu, son absence d’expressivité : son Raoul est morne, comme extérieur à la scène, vide. Dommage car c’est le rôle masculin central qui aurait dû répondre aux deux sopranos qu’il affronte : au contraire de cela, il éteint tout feu là où il passe.
En conclusion, si le geste patrimonial est à saluer puisqu’il permet aux spectateurs d’aujourd’hui de (re)découvrir ce fleuron du XIXème siècle français, si nombre des incarnations vocales apportent des bonheurs sans mélange, de Lisette Oropesa à Ermonela Jaho ou de Florian Sempey à Karine Deshayes, il reste à ces Huguenots à retrouver ce qui les a fait ovationner durant plus d’un siècle : ce n’est pas ce spectacle qui le permettra.
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