Ça aurait pu être magique, ce n’est qu’à moitié satisfaisant. Maria Stuarda, son 43ème ouvrage, est un des très beaux opéras seria de Donizetti et il s’inscrit dans sa série des reines fatales, s’appuyant sur une réalité historique transformée en un superbe affrontement de femmes, Elizabeth, celle qui a le pouvoir mais n’a pas l’amour, Maria, celle qui a perdu le pouvoir mais a trouvé l’amour – et le malheur est que, pour ces deux femmes, cet amour a le même objet, le beau comte de Leicester. Le sommet de l’œuvre se concentrera justement dans ce face à face extraordinaire d’intensité entre Elizabeth, la souveraine anglaise, anglicane et réfrigérante, et Marie Stuart, Maria Stuarda donc dans l’opéra, la reine d’Ecosse déchue, catholique et touchante. Les autres personnages ne sont que des comparses ou des faire-valoir : c’est d’ailleurs ce que veut mettre en valeur la mise en scène de Patrice Caurier et Moshe Leiser qui habille en costumes historiques les deux reines alors que tous les autres personnages sont vêtus de costumes contemporains gris et passe-partout. Elizabeth 1ère et Marie Stuart sont deux effigies, le reste ne compte guère.
Le problème est que Patrice Caurier et Moshe Leiser, qu’on a connus plus inspirés, se satisfont de ce jeu de mise en perspective historique sans jamais approfondir les rapports psychologiques, se contentant d’une direction d’acteurs un peu paresseuse, comme s’ils ne s’étaient pas intéressés au sujet. Pourtant la force de cet affrontement aurait pu leur donner l’occasion de tendre ces rapports extrêmes, de dynamiser ces chanteuses en actrices : qu’on se souvienne de ce qu’a su faire un Patrice Chéreau avec l’affrontement d’Elektra et de Clytemnestre ! Et comme les décors sont plats, froids, convenus, que reste-t-il de cette rencontre au sommet de la haine ? Il reste le chant.
On ne s’attardera pas au Leicester du ténor Francesco Demuro, avec sa voix incolore, sans attrait, son implication aussi pâle scéniquement que vocalement, pas plus qu’à Carlo Colombara, Talbot un peu emprunté, dans sa gestique autant que dans sa voix qui ne trouve ses couleurs que dans le second acte. Christian Helmer a peu à faire et le fait correctement, Sophie Pondjiclis est, comme toujours, parfaite de présence et de voix mais dans le simple rôle d’Anna, la nourrice de Maria Stuarda. Restent les deux reines.
Deux sopranos, comme le souhaitait Donizetti – et non une soprano et une mezzo comme on le voit et l’entend souvent, à tort, confondant Anna Bolena, où il s’agit d’une reine et d’une favorite, et Maria Stuarda, où il s’agit bien de deux reines. Elizabeth 1ère est incarnée par l’italienne Carmen Giannattasio avec une forte présence scénique mais avec une voix trop souvent jetée en force sur une ligne hérissée, avec une crudité de timbre qui accentue cette interprétation à l’énergie, impressionnante sans doute mais jamais émouvante : on ne croit à aucun moment à son amour et à quelque sentiment ou fêlure à l’intérieur de ce personnage tout d’un bloc. Sans parler du style, presque plus vériste que bel cantiste ! Maria Stuarda trouve, elle, avec la polonaise Aleksandra Kurzak, une voix plus lyrique, au timbre clair, à l’émission ronde et souvent séduisante, mais avec quelques aigus curieusement serrés ou en perte de projection, comme si la tessiture l’éprouvait. Bel cantiste, elle l’est assurément mais sa nature ne semble pas encore prête à pousser les feux d’un personnage aussi percutant – d’où un relatif manque d’intensité dans la violente scène du face à face, alors qu’elle trouve les couleurs de l’émotion dans son superbe et très digne adieu à la vie. Les chœurs, en particulier dans la dernière scène, sont de bonne tenue, comme l’orchestre dirigé avec une prudence initiale qui s’épanouit peu à peu par Daniele Callegari. Au final, une soirée sans ce grand flamboiement qu’on attend d’une telle tragédie : une esquisse correcte mais pour la passion ardente, il faudra que les vents soufflent plus fort !
Alain Duault
22 juin 2015 | Imprimer
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