Paris demeure une capitale culturelle à de nombreux égards, en particulier dans le domaine de la musique. Ainsi peut-on y entendre à une semaine d’intervalle la soprano sud-africaine Pretty Yende et le ténor français Benjamin Bernheim, deux voix déjà affirmées, l’une à l’Opéra de Paris dans le rôle-titre de Lucia di Lammermoor, l’autre à Eléphant Paname, dans le cadre de l’excellente série L’instant lyrique, pour son premier récital parisien.
Pretty Yende (Lucia di Lammermoor, Opéra de Paris 2016)
© Sébastien Mathé / OnP
Pretty Yende, née à Piet Retief, en Afrique du Sud, a grandi dans un township durant les dernières années de l’apartheid. Et c’est à la télévision, en entendant dans un spot publicitaire, le duo des fleurs du Lakmé de Léo Delibes qu’elle a un coup de foudre pour la voix, pour l’opéra, pour cet imaginaire qui lui permet de s’évader d’un quotidien terne. A 16 ans, elle remporte un concours de chant et passe dans la foulée une audition au Collège de musique d’Afrique du Sud, à l’Université du Cap. Bien sûr, couleur oblige, on lui fait chanter Clara dans Porgy and Bess lors d’une tournée de l’Opéra du Cap au Royaume-Uni, ce qui lui permet de se faire applaudir dans l’air le plus célèbre de l’opéra de Gershwin, Summertime. Et puis, elle remporte le concours Bellini, intègre l’académie lyrique de la Scala, remporte le Concours du Belvédère à Vienne (dans les deux catégories, opéra et opérette) et, en 2011, remporte le fameux Concours Operalia : le monde lyrique international la découvre alors. Elle débute deux ans plus tard au Metropolitan Opera de New York, puis tous les Opéras du monde font appel à elle, l’Opéra Bastille entre autres où on l’entend au printemps 2016 en Rosina du Barbier de Séville, avant qu’on ne l’y retrouve donc, en ce mois de novembre, éblouissante, en Lucia.
La production de l’Opéra de Paris n’est pourtant pas exaltante : la reprise de la mise en scène creuse et prétentieuse d’Andréi Serban, dans le décor de la salle de gymnastique d’une caserne (!), sans aucune direction d’acteurs, demeure sans intérêt, la direction musicale fade de Riccardo Frizza ne vient rien rattraper, la distribution est correcte sans être très passionnante, à l’exception de la superbe basse polonaise Rafal Siwek en Raimondo – mais c’est la présence électrisante de Pretty Yende qui donne sa lumière à cette soirée. La voix est riche, l’intonation parfaite, les nuances élégantes, les phrasés gracieux, les aigus scintillants, la présence dramatique intense (ce qui lui vaut une rare standing ovation de tout le public à l’issue de la célèbre scène de la folie) : Pretty Yende est bien une de ces stars capables d’entrainer toute une salle.
Benjamin Bernheim
Très différent était le cadre du premier récital parisien de Benjamin Bernheim : l’Eléphant Paname est un nouveau lieu, à un jet de pierre du Palais Garnier, qui accueille cette série, L’instant lyrique, permettant de découvrir de jeunes artistes – ou d’en retrouver de plus affirmés. L’autre lundi, c’est le jeune ténor français installé en Suisse qui y a révélé à beaucoup l’étendue de son talent. Il a fait ses études au Conservatoire de Lausanne, a travaillé avec Giacomo Aragall, a fréquenté l’Académie verdienne de Carlo Bergonzi, autant de chemins de crête pour affirmer ce qui n’était au départ qu’une voix et un désir de chant. De l’Opéra Studio de Zürich en 2008 à la troupe de l’Opéra helvète, le jeune Benjamin Bernheim a vite su se faire remarquer, à tel point qu’en 2012 il est engagé à Salzbourg : sa carrière est lancée ! Dresde, Amsterdam, la Scala ou encore les Opéras de Paris ou de Berlin l’inscrivent à leurs programmes.
L’intérêt suscité par son premier récital était donc grand et la jolie salle d’Elephant Paname était pleine à craquer. Benjamin Bernheim y a montré qu’outre le timbre naturel d’une voix à l’émission chaude, il possède cette intelligence sans laquelle on ne fait pas les grands artistes. La construction de son récital était une parfaite démonstration de sa personnalité et de ses possibilités : Duparc d’abord pour faire entendre, dans la nudité subtile de la mélodie, la maitrise de la prononciation et la richesse de l’expression intérieure ; l’opéra français ensuite, Gounod, Massenet, pour la noblesse du chant, pour la parfaite articulation du français qui rappelle des temps oubliés, pour l’intensité dramatique aussi (dans le Des Grieux de Manon !), avec cette aptitude à colorer les sons et à les projeter avec une rare autorité sans que jamais rien ne paraisse forcé. Et quels aigus, clairs, frémissants, ardents ! Une mélodie de Pizzetti encore (mais on aurait préféré un air de Rodolfo, de La Bohème, qu’il va chanter dans quelques jours à l’Opéra de Dresde) – et pour clore la soirée, Wagner et Tchaïkovski avec rien moins que In fernem Land de Lohengrin, porté par cet élan visionnaire qui est au cœur de la musique, et Kuda, kuda d’Eugène Onéguine, dynamisé et déployé par les phrasés somptueux du violoncelle de Camille Thomas, idéalement apparié à cette belle expression de la douleur que concentre la voix de Benjamin Bernheim, dont le lyrisme emporte loin. Accompagné de manière probe par Antoine Palloc (un peu en retrait dans Wagner), Benjamin Bernheim a donné à entendre ce qu’il est, ce qu’il peut, ce qu’il promet : on entend qu’il est déjà un grand.
Pretty Yende, Benjamin Bernheim, deux noms qui font honneur à cette nouvelle génération, deux artistes qu’on va beaucoup entendre ces prochaines années : tant mieux !
27 novembre 2016 | Imprimer
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