Enième reprise de cette production qui date de 1996 et dont le décor de Michel Lebois est toujours aussi efficace, sorte de ville médiévale rongée où ne demeurent que les artifices d’une cour débauchée, livrée à rien d’autre qu’un plaisir factice. La mise en scène de Jérôme Savary ne cherche pas à délivrer un message mais il n’a pas été convié à la reprendre et c’est dommage car on sent que les chanteurs ne sont pas dirigés…
Pourtant, en dépit de cette routine, le spectacle reste agréable à voir et soulage des mille et une « relectures » destinées à faire briller l’ego de metteurs en scène en mal d’invention.
Mais le plateau vocal ne tient pas toutes ses promesses. Le Rigoletto de Zeljko Lucic, un solide baryton serbe au timbre chaud et coloré mais manquant un peu de mordant (son Cortigianni ne fait pas frissonner), donne une juste idée du rôle, avec des moments assez forts. En revanche, le Duc du ténor polonais Piotr Beczala est une déception : la voix est instable, les aigus flottants, le style désordonné, on ne retrouve pas la ligne de chant souple qu’on a souvent pu entendre ces dernières années même si la clarté du timbre a encore de quoi séduire. Méforme passagère ?
Mais entre ces deux « hommes de sa vie », la belle Gilda de Nino Machaidze est l’héroïne de la soirée : la voix est pleine riche, largement timbrée, sensuelle déjà et bien faite pour faire tourner la tête du Duc. On est loin des rossignols si légers qu’on peine à comprendre la force de cette passion qui les conduit au sacrifice du dernier acte. La jeune géorgienne est un vrai soprano lyrique dont la présence intense (qu’on avait pu découvrir en 2008 à Salzbourg dans sa Juliette face au Roméo de Rolando Villazon) impose ici un personnage plein d’ardeur, une véritable amoureuse, extasiée dans son Caro nome, déchirée mais pourtant toujours passionnée dans le duo Si, vendetta, bouleversante dans son ultime hésitation avant le sacrifice. Grande voix, grande actrice, grand avenir pour cette jeune chanteuse qui fait ici ses débuts à l’Opéra de Paris.
On ajoutera que le reste de la distribution est de bonne tenue, avec quelques mentions particulières pour les rôles secondaires, le Sparafucile au grave résonnant de Dimitry Ivashchenko ou, apparitions plus brèves mais néanmoins remarquées, le Ceprano du jeune baryton Alexandre Duhamel ou le page de la jeune mezzo Marianne Crebassa.
Hélas, le point le plus faible de cette soirée est dans la fosse : c’est le chef, Daniele Callegari. Sans aucune tenue, sa direction n’est que mollesse, éparpillement, manque de ligne, de contraste, de couleurs, d’esprit. Et un opéra de Verdi sans chef est un vaisseau sans capitaine. On a parfois l’impression que le maestro a quitté le navire avant la fin !...
Alain Duault
Rigoletto - 30 janvier 2012 - Opéra-Bastille
À voir jusqu'au 23 février 2012
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