Avouons-le, on était modérément exalté par la reprise de la production de Pierre Audi de cette Tosca qui, en 2014, n’avait guère marqué les esprits, même si on lui a reconnu d’emblée une réelle efficacité, un sens de l’image symbolique « coup de poing » avec cette immense croix dans laquelle nait le drame au premier acte et qui plane au-dessus ces deux autres. La première surprise est que, pour cette reprise, quelque chose de neuf semble apparaitre, des éclairages retravaillés peut-être, une direction d’acteurs resserrée sans doute, une dynamique qui donne une vérité nouvelle – à l’exception du dernier acte qui, avec sa tente de camping au milieu d’un champ de bataille, fait perdre la concentration tragique de la scène finale, ce saut de Tosca dans le gouffre de la mort.
Tosca, Opéra de Paris 2022 (c) Vincent Pontet / OnP
Bryn Terfel, Saioa Hernandez (c) Vincent Pontet / OnP
Mais c’est la distribution superlative réunie par l’Opéra de Paris sous la direction de Gustavo Dudamel qui redynamise le spectacle et suscite l’adhésion totale du public, manifestée par un salut de toute la salle debout à la fin d’un spectacle qui retrouve la force initiale de l’œuvre, débarrassée de toute routine. Pour ses débuts à l’Opéra de Paris, la soprano espagnole Saioa Hernandez, qui a fait ses classes avec sa grande ainée Montserrat Caballé, déploie l’étoffe d’une voix ample, moirée, pulpeuse, directement séduisante. La richesse des harmoniques de ce timbre n’obère en rien sa projection et la puissance naturelle d’aigus qui viennent rythmer son expressivité dramatique : de ce point de vue, le deuxième acte, le grand affrontement avec Scarpia, donne au personnage une énergie ardente. Mais le suspens de son Vissi d’arte, porté par une ligne souple, frémissante d’émotion, montre une autre dimension de l’art de cette belle voix qui donne envie d’être réentendue. Face à elle, on retrouve avec bonheur le grand Joseph Calleja et son Cavadarossi, sans doute le meilleur au monde aujourd’hui : timbre solaire, longueur de souffle (le sei tu qui semble infini au premier air), souplesse gorgée d’émotion de la ligne (E lucevan le stelle, magique), aigus splendides et corsés, levés comme des drapeaux (Vittoria !), présence dramatique aussi généreuse que sa voix, un grand artiste ! Enfin, Bryn Terfel, Scarpia terrifiant, dont la noirceur du costume à son entrée dit la noirceur de son âme, donne à son personnage une cruauté perverse rare : on frissonne devant un tel ouragan sournois qui tourne autour de sa proie pour l’avaler toute crue. La voix semble éternelle, le timbre fuligineux, la projection menaçante, la présence écrasante.
Ce trio vocal exceptionnel porte cette Tosca à son plus haut niveau, mais ces feux sont sans cesse poussés par la direction époustouflante de Gustavo Dudamel, dont les qualités de chef symphonique – ampleur du tissu, couleurs largement brossées, richesse des détails – se marient à des qualités de mieux en mieux affirmées de chef lyrique – attention aux climax de la partition, emportement justement gradué du Te Deum, suspens élégiaques du Vissi d’arte ou de E lucevan le stelle, attention aux voix et sens de la mise à feu des chœurs : du grand art. Gustavo Dudamel possède une vraie affinité avec Puccini : espérons qu’on l’y réentendra souvent à l’Opéra de Paris !
Alain Duault
Paris, 6 septembre 2022
Quelques semaines plus tard, nous avons eu la chance d’entendre la seconde distribution qui affichait Elena Stikhina en Floria Tosca, Brian Jagde en Mario Caravadossi et Gerald Finley en Baron Scarpia. La première, révélation in loco dans Le Prince Igor il y a trois ans, sensuelle et émouvante, impose un personnage passionné et éminemment humain, capable d’affronter sans ciller la cruauté de Scarpia ou d’exprimer avec force l’amour et la jalousie. Vocalement, on savoure la beauté intrinsèque du timbre, tout autant que l’éclat de son registre aigu, ainsi que son art des piani à faire pleurer les pierres pendant son « Vissi d’arte » !
De son côté, le baryton canadien, démoniaque à souhait, d’une intériorité à faire froid dans le dos, rend à Scarpia tout son poids théâtral avec cette intelligence de la scène qu’on lui connaît. La voix se montre à la fois ample et noire, tout en gardant une qualité de ligne et une autorité naturelle très impressionnantes. Enfin, après son éblouissant Enzo dans La Gioconda au Liceu de Barcelone en 2019, le ténor américain confirme sa place parmi les meilleurs ténors de nore temps. Il instille beaucoup de fougue à son Mario, avec un souffle puissant et une expression parfaite qui fait montre de bout en bout d’un élan juvénile et d’un héroïsme à toute épreuve.
Emmanuel Andrieu
Paris, 3 novembre 2022
Tosca, Opéra Bastille - du 03 septembre au 26 novembre 2022
07 septembre 2022 | Imprimer
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