On n’avait pas monté Samson et Dalila à l’Opéra de Paris depuis un quart de siècle ! Pourtant c’est un des chefs-d’œuvre de l’opéra français qui devrait être régulièrement à l’affiche de notre Opéra National !...
Samson et Dalila © Vincent Pontet / OnP
C’est chose faite avec la nouvelle production qui est présentée à l’Opéra-Bastille. On ne dira pas que la production de Damiano Michieletto est inoubliable : loin de la formidable réussite de son Barbier de Séville, le jeune metteur en scène italien, nouvelle coqueluche des scènes lyriques internationales, se contente d’une actualisation prudente, avec les poncifs habituels des productions « modernes » (soldats mitraillettes à la main, décor abstrait sans aucune référence historique, évacuation des ballets – pourtant importants dans cet opéra –, la célèbre Bacchanale étant réduite à une sorte de rave party kitsch, etc.). Surtout, il n’offre aucun point de vue sur l’œuvre et laisse aller le récit sans que jamais une direction d’acteurs lui donne un sens, sauf à oser un improbable amour de Dalila pour Samson qui confine au contre-sens. Dommage ! Ajoutons un décor banal et des costumes contemporains assez laids : l’œil n’est pas à la fête dans cette production paresseuse.
En revanche, l’absolue réussite musicale fait très vite oublier cette première déconvenue. Elle s’appuie d’abord sur la formidable direction musicale de Philippe Jordan, riche de matière et de couleurs, ample d’architecture, portée par une agogique qui donne justement ce sens interne à l’œuvre que ne donne pas le spectacle visuel. La densité des cordes graves, la rutilance sensuelle des cuivres, le vrombissement des percussions, tout est porté à un niveau d’incandescence rare. C’est donc une extraordinaire mise en scène sonore qu’offre Philippe Jordan, avec un orchestre de l’Opéra de Paris à son meilleur, avec aussi des chœurs puissamment engagés et une distribution où chacun est à sa place : sans doute le Grand-Prêtre d’Egils Silins, court de souffle, sec de timbre et sans rayonnement est-il le maillon faible mais les autres protagonistes sont excellents – avec une mention particulière pour le Vieillard Hébreu admirablement chanté par Nicolas Cavallier qui lui donne un relief réel. Restent les deux rôles-titres : Aleksandrs Antonenko est le ténor qu’il faut pour Samson, grande voix héroïque avec parfois ces couleurs blessées à la Vickers, et une projection impeccable en même temps qu’un engagement dramatique impressionnant. Et il y a la Dalila d’Anita Rachvelishvili : elle est impressionnante, de timbre d’abord, bronze et braise conjuguées, avec un legato parfaitement maîtrisé, jusque dans ces pianissimi qu’elle s’autorise pour souligner tous les contrastes et même les contradictions de son personnage ambigu, avec aussi cette autorité qui s’impose d’emblée, avec enfin une sensualité dramatique dont elle use avec un art achevé pour réduire Samson à merci. C’est la Dalila d’aujourd’hui.
On aura compris que ce spectacle à regarder distraitement offre en revanche une des plus grandes émotions musicales du moment : à ne manquer sous aucun prétexte !
Samson et Dalila à l'Opéra Bastille | jusqu'au 5 novembre 2016
14 octobre 2016 | Imprimer
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