Une Lucia pour (presque) rien

Xl_lucia-damrau-erato © DR

La soprano allemande Diana Damrau est une des plus grandes interprètes de Lucia di Lammermoor aujourd’hui : elle chante le rôle sur toutes les scènes du monde et l’on comprend que le label Erato ait souhaité fixer son interprétation. Mais était-ce une bonne idée que celle d’enregistrer la version de concert donnée à Munich en juillet 2013 ? L’urgence de l’enregistrement en direct, durant une représentation, peut dynamiser un artiste et l’amener à se dépasser lui-même ; le temps passé dans un enregistrement de studio permet au contraire à l’artiste de reprendre, fignoler, faire aboutir telle ou telle intention.
Là, on est dans l’entre deux, dans le mi chair mi poisson, et le résultat est fade. Diana Damrau est parfaite en tout, beauté d’un timbre clair, un peu froid mais comme peut l’être la lumière d’un diamant, phrasés très construits et toujours équilibrés, traits exécutés avec soin, coloratures sans bavure, une vraie bonne élève assurément – mais en fait un peu indifférente. Jamais on ne perçoit la passion, la déchirure, l’humanité dans cette Lucia trop propre sur elle. Et si, bien sûr, elle emporte l’adhésion durant la célébrissime scène de la folie, c’est d’abord parce que sa voix semble devenir mystérieuse du fait de l’environnement sonore exceptionnel que crée l’harmonica de verre, voulu initialement par Donizetti pour créer ces sonorités un peu inquiétantes, celles de la folie qui a envahi l’esprit de Lucia – un instrument rare et malheureusement le plus souvent remplacé par la flûte. Est-ce cette atmosphère sonore irréelle qui motive alors Diana Damrau ? Toujours est-il qu’elle semble alors vivre le drame avec plus d’intensité intérieure – sans pour autant que l’on ne craigne pour sa raison : cette folie, qu’elle interprète magnifiquement, elle la garde à distance d’elle-même. En fait, cette Lucia est fort bien chantée mais bien peu incarnée.

Autour d’elle, des partenaires valeureux, Joseph Calleja d’abord, Edgardo au timbre chaud et au chant large, mais qui ne se montre pas non plus particulièrement investi. Au contraire, Ludovic Tézier, Enrico au timbre noir, au chant comme toujours riche d’émotion, sait faire entendre l’âme sombre de son personnage, son cynisme amer, et la solitude dans laquelle il s’enferme. Nicolas Testé, lui, semble avoir à cœur de démontrer qu’il n’est pas là seulement parce qu’il est le mari de Diana Damrau, en donnant au personnage de Raimondo une importance vocale plus grande que d’habitude. Quant à la direction de Jesus Lopez-Cobos, elle ne déborde pas de dramatisme mais offre un écrin suffisamment coloré pour que toutes ces belles voix s’épanouissent. Au final, un enregistrement sans réelle nécessité mais qui, dans des conditions différentes (direct ou studio) aurait sans doute permis de donner plus, d’aller plus loin. Dommage !

Alain Duault

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